Elections: nos politiciens auraient-ils oublié l'essentiel?
« Pratiquement durant tout le siècle écoulé, la croissance économique a été alimentée par ce qui a paru avoir une certaine vérité : l’abondance des ressources naturelles. Nous avons miné notre chemin vers la croissance. Nous avons brûlé notre chemin vers la prospérité. Nous avons cru en une consommation sans conséquences. Ces jours-là sont partis… Au fil du temps, ce modèle est la recette pour un désastre national. C’est un pacte pour un suicide global».
Ban Ki-Moon, Secrétaire Général des Nations Unies
Forum Economique Mondial, 29 janvier 2011.
La Tunisie, plongée dans le passionnant feuilleton du dépôt de candidatures à la Présidence de MM. Zouari, Morjane, Zenaïdi… et tutti quanti, ne s’est apparemment pas rendue compte de ces grandes manifestations qui ont eu lieu dimanche 21 septembre 2014 à Paris et celle, énorme, avec Ban Ki Moon en tête, à New York mardi 23 septembre 2014.
Aucun intérêt : elles ne portaient que sur le climat!
Une bagatelle!
Parlez-moi plutôt de BCE, de son fils, de l’argent que va toucher X ou Y pour sa campagne, du Qatar, çà c’est du solide.
Pourtant, 123 Etats vont débattre du climat dont les changements sont prouvés… depuis 1988.
Mais pour nos politiciens… le climat, pfft!
La preuve? Quel est le parti qui présente un programme cohérent traitant de l’écologie, de la qualité des eaux, des transports, de l’eau, de l’emploi des pesticides par l’agriculture et les ménages avec son cortège d’intoxications, de maladie, de résidus dans le lait, la viande, les légumes et les fruits? Quel parti aura le courage d’interdire les épandages de pesticides par avion?
Le pays vient de traverser une période de canicule sans précédent mais nous continuons notre bonhomme de chemin….
Surtout, pas de questions qui donnent la migraine… Mais la NASA est formelle : le mois d’août a été le plus chaud au niveau mondial depuis 1880. En 2012 déjà, en Arctique, 97% du couvert de glace du Groenland fondait.
Quel intérêt pour nous, voyons?
Il suffit de regarder l’érosion de nos côtes du Cap Blanc à Zarzis et avoir à l’esprit la montée du niveau de la mer. Avons-nous oublié les inondations de Bou Salem, les neiges sur Aïn Draham, avec les glissements de terrain et leurs gros dégâts matériels et humains?
Pour Rajendra Pachauri, Président du Panel Intergouvernemental sur le Changement Climatique (GIEC) et directeur de l’Institut Indien de l’Energie et des Ressources : « Personne sur cette planète ne peut échapper aux retombées du changement climatique ».
La Tunisie a intérêt à s’y préparer. A avertir la population sans l’alarmer. A ne pas l’anesthésier. Un peuple avertit en vaut deux… pour éviter que d’autres ne prennent des décisions à sa place ou ne lui imposent leur diktat. Pourquoi ? Parce que le changement climatique va aggraver les problèmes de pauvreté, de maladie, de violence et de réfugiés des sociétés humaines, affirme le rapport du GIEC. Les perturbations climatiques agiront comme un frein qui ralentira les progrès des sociétés modernes tels qu’une croissance économique régulière et une production agricole plus efficace. De plus, il faut savoir que « le changement climatique élargira le fossé entre riches et pauvres, malades et bien-portants, jeunes et moins jeunes, hommes et femmes » affirme Maarten van Aalst, un haut responsable de la Fédération Internationale de la Croix et du Croissant Rouges.
Jerba croule sous les déchets depuis des mois sans qu’aucune force ou autorité n’arrive à résoudre cette équation?
Mais il n’y a pas que Jerba hélas! Allez voir du côté des Ports Puniques à Salammbô! A un jet de pierre du Palais Présidentiel!
Rien ne se passe ni à Jerba ni ailleurs.
C’est toujours la faute à l’Autre, au gouvernement, au ministre, au gouverneur, à la municipalité, à l’esprit tribal là-bas, sur l’autre rive… aux manigances de Jha ou de Abdelaziz Laroui ! Nous ne faisons rien. On attend que l’Autre agisse ! Comment ne pas réaliser que nous sommes en présence d’une effroyable bombe à retardement? Comme passer à côté sans ciller?
Nous faisons l’autruche et continuons à jeter, inconscients, sacs en plastique, bouteilles d’eau et pots de yaourt… Pourquoi mettre le feu à ces déchets pour en répandre les effluents toxiques partout ?
Autant en emporte le vent!
Pas du tout! La pollution de l’air tue 7 millions de personnes annuellement dans le monde, dit l’OMS. Prenons garde à ces feux anarchiques qui ne nettoient rien.
Un vent mauvais nous a poussés, tête baissée, dans la société de consommation, gavés de clips télé vantant le yaourt, la margarine, les jus de fruit synthétiques, la mayonnaise et les limonades gorgées de sucre. Mais, dans le même temps, certains continuent à confier leurs déchets… à d’improbables ustensiles et nos agents municipaux continuent à utiliser les branches de palmier comme balais !
L’incontournable question de l’eau
Comment oublier la lancinante problématique de l’eau?
Bien sûr, les ¾ du territoire national sont en zone aride ou semi-aride. Les Romains, Okba Ibn Nafaa et les colons français le savaient eux aussi. Mais les problèmes s’aggravent continuellement: fuites, vieillissement du réseau, urbanisation, irrigation, tourisme, vols sur le réseau SONEDE, négligences des municipalités, gaspillages, forages et puits illégaux… Il y aurait tant à dire, Messieurs les politiciens ! Mais vous êtes des gens pressés et pour vous permettre d’agir - l’espoir fait vivre - voici pêle-mêle quelques informations étant entendu, Messieurs, que « pour désirer laisser des traces dans le monde, il faut en être solidaire » comme disait Simone de Beauvoir :
- En cette rentrée, 300 écoles rurales sur 2735 situées en milieu rural n’ont pas d’eau, écrit Le Maghreb (9 août 2014) et la TV1 parle de 4% d’écoles non alimentées en eau (le 08 août 2014 à minuit). Jusqu’à quand allons-nous accepter cet état de choses ? Des enfants ont la gale et d’autres en sont déjà à la dialyse, l’eau polluée ayant eu raison de leurs petits reins (voir notre article dans LEADERS le 03 juin 2014)
- Au Kef, la ville a été privée d’eau quatre jours (RTCI, 7 août 2014)
- A Maknassi, les égouts débordent et envahissent le centre-ville (TV1, 18 août 2014)
- Les 21 hôtels de Tabarka étaient sans eau en août 2014 et les 600 touristes des hôtels de Zarzis ont été alimentés par camions citernes (TV1, 15 juillet 2014)
- L’autoroute Tunis-Hammamet a été coupée quatre heures par des citoyens réclamant de l’eau (25 mars 2013). Mais il y a aussi des problèmes à Jemna (Kébili), à Bouhajla (Kairouan), à Hay Zouhour à Kasserine, à Mahdia, à Sfax, à Tatahouine….
J’arrête là en rappelant toutefois que pour les hydrologues de l’UNESCO à Paris la Tunisie est dans la cohorte des pays qui auront des problèmes d’eau à l’horizon 2025. De son côté, la Banque Mondiale à Washington prophétise que dans notre pays « les problèmes de gestion de l’eau seront de plus en plus complexes».
Loin de moi l’idée de croire que tous ces problèmes peuvent être résolus en un tour de main! Non. Mais ils ne sauraient être absents d’un programme politique sérieux. La durabilité exige de réconcilier la demande environnementale, la justice sociale (équité) et la demande économique (Les trois E : Environnement, Equité et Economie). Nous ne pouvons changer la physique du climat et les lois de la Nature mais nous pouvons changer les systèmes sociaux et économiques. Un tout petit exemple : les Parisiens sont actuellement appelés à décider de 5% du budget de la ville. Démocratie participative et subsidiarité active. Beau concept qui responsabilise et implique les gens. Et si on l’appliquait à Jerba, pour voir?
Oui, il faut oser insuffler de la vitalité dans le débat démocratique. Il ne faut craindre ni les conflits créateurs ni la vigilance de l’opinion.
En un mot, en cette période d’élections, comme disait Hugo, la République s’appelle Liberté et elle s’appelle aussi Chose publique…en faisant rimer honnêteté et politique.
C’est sur ces critères, Messieurs les politiciens, que vous serez jugés car la Chose publique n’est rien d’autre que l’environnement – l’air, la terre nourricière, la mer, l’eau, la forêt, l’essentiel en un mot. C’est là qu’évolue et vit le Tunisien, celui qui va voter demain et souvenez-vous «son bulletin est plus fort qu’une balle de fusil» affirmait Abraham Lincoln.
Mohamed Larbi Bouguerra