L'existence de 15652 candidats est-elle un signe de bonne santé démocratique?
A ce jour 15652 citoyens et citoyennes se sont portés (ées) candidats (tes) aux 217 sièges au prochain parlement, soit en moyenne près de 72 candidats pour chaque siège. Si l’on s’amusait à choisir les candidats par tirage au sort, chaque candidat aurait 1,3 pourcent de chance de gagner, soit 13 pour mil, ce qui veut dire que si l’on effectue un grand nombre de tirages, la carte de chaque candidat ne sortira en moyenne que treize fois à chaque mil cartes tirées. Mais heureusement que les gagnants ne sont pas tirés au sort, car comme les chances de gagner sont les mêmes pour tous les joueurs, nous risquerions d’être gouvernés par des élus plus bougres que certains actuels (Brahim El Gassas, par exemple). Certains journalistes ont vu dans cette profusion la preuve de la bonne santé de la démocratie dans le Pays. D’autres se sont réjouis de l’existence de 17 listes en moins par rapport à 2011 (voir Essabah Al Ousbouï du 1er sept. 2014). Chacun se console comme il peut, ou comme il veut.
J’y vois plutôt l’expression de la méfiance des citoyens dans les détenteurs du pouvoir. Comment peuvent-ils avoir confiance dans une classe politique qui les a spoliés pendant deux décennies ou qui a fait preuve d’une incompétence et d’un esprit vorace pendant les trois années qui viennent de s’écouler. Comment peuvent-ile avoir confiance dans des députés qui se croient au dessus des lois, comme à l’époque du dictateur, en s’opposant à toute demande de levée de leur immunité et en se permettant de s’absenter fréquemment de l’hémicycle dans des débats cruciaux sur le terrorisme ou sur l’avenir de leurs enfants et des nôtres. Un des «bulldozers», candidat, et non des moindres, à la Présidence de la République, n’a assisté à aucune des 17 réunions d’une commission dont il est membre Bravo, on ne peut faire mieux !
Comment peuvent-ile faire confiance à des charognards qui, malgré un salaire de plus de 10 fois le SMIG, se sont rués sur un pays exsangue pour s’accorder une indemnité de logement conséquente avec effet rétroactif à tous les députés, y compris ceux qui habitent aux abords du palais du Bardo. Cette indemnité a été versée pendant quelques mois, puis interrompue suite à un jugement du tribunal administratif, d’où l’acharnement des députés pour faire voter la loi d’indépendance financière de l’ANC et s’affranchir ainsi de toutes contraintes Un groupe influent avait même menacé de ne pas voter la constitution si cette loi n’était pas soumise à l’assemblée..
Ceux qui se bousculent actuellement à la porte du palais du Bardo prétendent vouloir faire mieux. A voir ! La majorité d’entre eux est aussi avide de pouvoir, pour le pouvoir et les privilèges qui s’y rattachent, La preuve nous est fournie par le grand nombre de démissions que l’on a vu se produire dans presque tous les partis politiques à cause d’un désaccord sur des têtes de listes. Il faut être tête de liste, quitte à démissionner pour rejoindre un autre parti Que devient alors le programme électoral du candidat? Qu’à cela ne tienne, il changera en fonction du parti qui offre les meilleures places sur les listes électorales. Voilà où on en arrive! C’est le signe de la débauche démocratique, amplifiée par le nombre excessif de candidats, qui annonce une campagne rude où tous les coups sont permis, même les plus abjects.
Quant à nous, les électeurs, notre sort n’est pas enviable. Nous allons devoir cocher une feuille qui contient entre 31 (Tataouine) et 81 listes (Gafsa). C’est délirant, mais c’est aussi décourageant pour un grand nombre d’électeurs. Cette démocratie débridée (présente aussi dans les élections présidentielles) qui amène un grand nombre à plonger dans l’arène électorale sans programme défini, sans examen de conscience et sans réflexion sur les conséquences de ses actes. Le plus désolant est qu’elle adoptée aussi par des diplômés (journalistes, avocats, juges . .) censés avoir un peu plus de jugeote. Elle n’est pas le signe de bonne santé démocratique.
Mohamed Jemal
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