Gaza et la désinformation: il faut lire le courageux «La France malade du conflit Israelo-Arabe» de Pascal Boniface
Ce week-end, des manifestations de soutien à Gaza la martyre, des marches pour la paix et la justice en Palestine, contre la barbarie de l’armée sioniste et l’extraordinaire disproportion des forces ainsi que pour l’application du droit international ont eu lieu partout dans le monde et pour qu’enfin cesse l’assassinat délibéré des enfants et le bombardement des hôpitaux: à Vienne, Londres, Bruxelles, Washington et même à Tel Aviv. A New York, les juifs orthodoxes eux-mêmes ont manifesté contre la guerre ! Car il faut mettre un terme à l’inhumain blocus qui asphyxie 1,7 million de personnes depuis 7ans, libérer les prisonniers palestiniens notamment ceux soumis à l’inique emprisonnement administratif sans inculpation, en finir avec la colonisation, le Mur, les routes réservées aux seuls Israéliens, les humiliants checks points, l’arrachage des oliviers, le hold-up de l’eau par les colons et l’arrogance de l’administration militaire à l’égard des Palestiniens.
Paris Singularise
Cas unique, extraordinaire parmi les pays démocratiques: Paris s’est singularisé en interdisant de manifester, un droit constitutionnel pourtant …. pour éviter les débordements, nous dit-on, débordements au final… si bénéfiques au Front National! Et c’est précisément ce qui s’est produit… car les organisateurs n’ont pas pu mettre sur pied un service d’ordre d’où la présence d’éléments incontrôlés. De plus, la police avait pour mission samedi d’empêcher la foule de s’engager Boulevard Magenta plutôt que de la canaliser, comme cela se fait habituellement, dans les conditions normales. Ailleurs, à Marseille, à Lyon, à Strasbourg, à Avignon, à Châtellerault… aucun incident n’a été relevé.
Autorisez, c’est donc bien mieux.
Etrange coïncidence cependant : M. Christian Estrosi, député-maire de droite de Nice – un Sarkozy boy affirmé - a lui aussi interdit la manifestation pro-palestinienne… comme l’a fait la gauche dans la capitale ! En visite en Israël, il se s’est pas embarrassé de finesse et a « apporté son soutien au peuple d’Israël, cette grande nation. » (Déclaration à la télévision i24 news)
Interdire une manifestation à Paris me rappelle - toutes proportions gardées - les douloureux évènements de la guerre d’Algérie… lorsque le ministre de l’Intérieur, M. Raymond Marcellin sévissait… et s’acharnait non seulement sur les Algériens, les Arabes et leurs amis, mais aussi sur les librairies progressistes comme celle de M. François Maspéro, rue Saint Séverin.
De graves declarations officielles
Mais au cours de ce week-end, des déclarations des plus hauts dignitaires de l’Etat – guère émus, semble-t-il, par le dimanche sanglant de Chadjaiya, sa centaine de morts et ses rues encombrées de cadavres - ont provoqué la stupeur lorsqu’on a parlé d’«un antisémitisme d’une forme nouvelle» qui «se répand aussi dans nos quartiers populaires, auprès d’une jeunesse sans repères, sans conscience de l’histoire et qui cache sa « haine du juif» derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’Etat d’Israël.»
Pour le Front de Gauche - qui condamne l’interdiction prononcée par le gouvernement Valls en se basant sur des faits controversés - on est bien loin de «l’engagement 59 du candidat François Hollande visant à agir pour favoriser la paix et la sécurité entre Israël et la Palestine, à soutenir la reconnaissance internationale de l’Etat palestinien.»
Sans vouloir procéder à un concours de propos haineux, faut-il rappeler que le 18 juillet dernier, Mme Ayalet Shaked, politicienne, député au Parlement israélien et membre bien connue du parti du raciste Avigdor Liberman (Le Foyer Juif), qualifie de «terroristes» tous les Palestiniens et appelle au meurtre de toutes les mères palestiniennes qui donnent naissance, selon elle, à des «petits serpents» ? Cette dame ajoute : «Elles doivent mourir, et leurs maisons doivent être détruites de telle sorte qu’elles ne puissent plus abriter de terroristes. Elles sont toutes des ennemies, et leur sang devrait être sur nos mains. C’est aussi valable pour les mères des terroristes morts.» Nul n’a critiqué ces propos insensés, cet appel au génocide dans la classe politique. Seul le Premier Ministre turc l’a comparée à Hitler. Ces propos justifient ainsi ce que signe Gidéon Lévy dans Haaretz (13 juillet 2014) : «Le vrai but de l’opération de Gaza ? Tuer des Arabes.» et de citer le major général Oren Shachor (retraité) qui déclare : «Si nous tuons leurs familles, ils seront terrorisés. Nous devons créer une situation telle que quand ils sortent de leurs tanières, ils ne reconnaîtront plus Gaza.»
Quoi qu’il en soit, les déclarations des responsables français ne pouvaient faire mieux pour précisément importer le conflit israélo-palestinien dans l’Hexagone!
Ces hauts responsables français devraient lire «la France malade du conflit israélo-arabe » d’autant, affirme le Front de Gauche dans un communiqué du 21 juillet 2014, qu’ils ont fait le «choix d’une stratégie de la tension… potentiellement dangereuse pour le débat et la démocratie.»
La necessaire lecture d’un livre courageux
Pascal Boniface est un spécialiste de géostratégie, proche du PS. Il est le directeur de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques) et enseignant à Paris VIII. Il a publié de nombreux et décapants ouvrages comme «Les intellectuels faussaires. Le triomphe médiatique des experts en mensonge», «Le Monde selon Sarkozy», «Géopolitique du sport» et en 2014, «La France malade du conflit israélo-palestinien». Ce dernier opus a été refusé par de nombreux éditeurs parisiens et a finalement paru chez Salvator, une petite maison catholique. Il est étayé par des statistiques et fourmille d’exemples. A noter que cet ouvrage n’a pas eu la moindre critique sur les colonnes de journaux comme Marianne, Le Canard Enchaîné ou Médiapart. Depuis la parution de cet ouvrage, Boniface est «oublié» par les médias français et a perdu certaines chroniques dans des journaux de province.
Pour Boniface, la société française est une victime supplémentaire du conflit israélo-palestinien. Elle est travaillée, rongée de l’intérieur par ce conflit qui divise les Français. En réponse aux récentes affirmations officielles, il dit au Figaro: «La société française ne devient pas la victime collatérale du conflit du Proche-Orient, elle l’est depuis longtemps.» Il affirme que les juifs français ont peur de l’antisémitisme mais d’autres Français estiment que l’antisémitisme est plus nettement combattu par les pouvoirs publics (Loi Lellouche de 2002) et les médias que les autres formes de racisme et de discrimination comme le racisme anti-noir ou l’islamophobie. Il donne l’exemple des agressions contre les femmes voilées qui ne suscitent pas la même mobilisation que lorsqe des hommes en kippa sont agressés ajoutant que : «Certains journalistes présentent le port du voile comme faisant partie d’un complot contre la République, ce qui a contribué à créer un climat malsain… le 22 février 2011, la voiture et la moto de Dounia Bouzar, anthropologue de l’Islam, ont été vandalisées… avec des «non aux minarets»…
Imaginons que la même mésaventure soit arrivée à BHL ou Finkielkraut, cela aurait fait la une de tous les journaux et toute la classe politique aurait manifesté sa solidarité.» On a aussi (page 199) le témoignage de Salah Hamouri, emprisonné en Israël sans preuves, qui déclare, après sa libération : «J’ai senti que je n’ai pas été traité comme un citoyen français à part entière. Nicolas Sarkozy a refusé plusieurs fois de recevoir ma mère alors qu’il a reçu tous les parents des autres Français détenus dans le monde.»
L’auteur souligne avec brio la confusion opérée entre sionisme et antisémitisme et affirme que « l’immense majorité de ceux qui se déclarent solidaires des Palestiniens combattent l’antisémitisme et le racisme ». Il critique l’action du gouvernement israélien qui contribue à l’importation du conflit comme il critique celle du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) et celle de certains intellectuels pour lesquels la défense de la politique du gouvernement israélien prend le pas sur la lutte contre l’antisémitisme.
Pour bien saisir l’importance du travail de Boniface, il faut lire sa note d’avril 2001 envoyé aux instances du Parti Socialiste et qu’il a inclus dans son ouvrage. Elle n’a pas pris une seule ride ! Il y traite du Proche-Orient, des socialistes, de l’équité internationale et de l’efficacité électorale. On y lit (page 213): «On m’a reproché de préconiser de prendre une position pro-palestinienne parce que pour certains «il y a plus d’arabes que de juifs en France»… J’ai dû m’expliquer mille fois… J’ai plaidé non pour qu’on prenne en compte le poids des communautés mais au contraire pour qu’on fasse prévaloir des principes universels… Car si on fait valoir les principes universels, il faut condamner l’occupation d’un peuple par un autre, une anomalie historique au XXIème siècle… Ce n’est pas parce qu’il y a plus d’Arabes que de juifs qu’il faut condamner l’occupation israélienne, c’est parce qu’elle est illégale et illégitime, contraire aux principes universels et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.»
En fait, Boniface juge odieuse l’instrumentalisation de l’antisémitisme pour protéger toutes les actions d’Israël, sans exception. Comme il juge sévèrement les pressions exercées par le CRIF sur la politique française - intérieure et extérieure - aux dépens des intérêts bien compris de la République. Et de faire un rappel historique : en 1953, le nouvel ambassadeur d’Israël à Paris rencontre les représentants de la communauté juive qui lui disent : «Nous sommes des citoyens français et vous êtes l’envoyé d’un Etat étranger.»
Il est clair que ces temps-là sont bel et bien révolus!
Mais aujourd’hui déplore notre auteur : «Nombreux sont ceux qui ont payé un prix fort pour avoir osé critiquer le gouvernement israélien. Il est d’ailleurs assez paradoxal qu’en France, il soit moins risqué pour quiconque de critiquer les autorités nationales que celles d’un pays étranger, en l’occurrence Israël. Je connais beaucoup de personnes qui se disent entièrement d’accord avec mes analyses» mais ont peur de l’afficher craignant d’être traités d’antisémites et de conclure : «Je pense qu’à terme cette stratégie est très dangereuse même si elle peut s’avérer favorable à court terme à la protection du gouvernement israélien.» (Le Figaro 19 juillet 2014.
Voilà comment fonctionne actuellement la désinformation en France.
En fait, Pascal Boniface nous ramène aux racines de l’universalisme de la République française qui va de Rousseau, Montesquieu à Sartre. Il s’oppose à ceux qui militent en faveur des politiques indéfendables du gouvernement israélien et qui enterrent avec armes et bagages les acquis et les principes des Lumières et des luttes anticoloniales.
Le conflit israélo-palestinien n’est pas un conflit entre telle ou telle foi : il s’agit d’occupation et de colonialisme(1)
. Du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Du respect de la Vie.
Tous les hommes de bonne volonté devraient méditer ces fortes paroles de M. Jonathan Sacks, Grand rabbin de Grande Bretagne : «Israël est sur une voie tragique. Ce qui le conduit à adopter des postures qui, sur le long terme, sont incompatibles avec nos idéaux les plus profonds.» (The Guardian, 27 août 2002, première page). En France, « Les intellectuels faussaires» - dont les turpitudes sont exposées par Boniface - devraient en prendre de la graine car, comme on le voit, les avertissements n’ont jamais manqué à Israël (2).
Mohamed Larbi Bouguerra
(1) Lire Maxime Rodinson «Israël, fait colonial ?» in numéro spécial Les Temps Modernes, n° 253 bis, 1967, p. 17- 88.
(2) Un autre livre intéressant - qui a eu aussi des déboires - est celui de Michel Bôle-Richard, ancien journaliste au Monde « Israël, le nouvel apartheid » (LLL, Les Liens qui Libèrent, éditeur, Paris, 2013 ». Nous en parlerons prochainement.