Opinions - 25.04.2014
Les otages tunisiens en Libye : La nécessaire conjonction du politique et de l'humanitaire
La prise en otages de deux diplomates tunisiens en Libye est un événement bouleversant. Les supplications de l’un d’entre eux sur internet est un véritable crève-cœur pour eux, leur familles et nous tous. Cependant, mettre fin à leur captivité et les ramener au pays est d’une urgence qui dépasse de loin l’aspect humanitaire et émotionnel. Il soulève également des interrogations politiques fondamentales qui ont un impact direct sur les relations non seulement entre la Libye et la Tunisie en tant qu’Etats, mais aussi entre les deux peuples frères.
En effet, à travers l’histoire commune, les liens de fraternité entre les deux peuples ont toujours prévalu sur les méandres et les complications des relations d’Etat à Etat. A chaque fois que les relations officielles entre la Tunisie et la Lybie venaient à se compliquer –en arrivant quelques fois à des confrontations directes et graves- voilà qu’intercède le tissu sociologique entre les deux peuples ramenant les gouvernants des deux bords à une entente inéluctable. Aucun gouvernement tunisien ou libyen ne pouvait ou pourrait altérer durablement ou substantiellement les liens ancestraux entre les deux peuples.
Il en va autrement dans cette prise d’otage!
Cet acte touche indifféremment les enfants des deux peuples car, ils se retournent les uns contre les autres en commettant une atteinte aux fondements et à l’essence même des relations entre les deux peuples. En fait et à part les otages et leur famille, la victime globale de cet acte est ce que j’appellerais «l’entité populaire tuniso-libyenne».
Dans ce contexte, loin de moi l'idée de re jeter les accusations ou les indignations. Loin de moi également, l’idée de faire appel à des principes généraux ou d’utiliser la langue de bois, aussi juridique ou diplomatique soit-elle. Mon argumentaire est autre et ne tend aucunement à jeter l’anathème sur les uns ou sur les autres. Ainsi, ces quelques lignes se veulent un appel et un message aussi bien aux autorités tunisiennes qu’à ceux qui détiennent les diplomates, quels qu’ils soient et à quelque obédience politique ou idéologique qu'ils appartiennent.
Au gouvernement tunisien, je dirai qu’il est important de ne pas se draper dans une pseudo-rigidité sur le principe trop dogmatique qui consiste à «refuser de négocier avec les preneurs d’otages». Une telle attitude négationniste ne mènera à rien car elle exclut le dialogue et pousse à la radicalisation des positions. A dire vrai, je n’ai pas l’impression que le gouvernement tunisien est en train d’adopter une attitude intransigeante et des indices clairs laisse penser qu’il n’exclut pas le dialogue. C’est déjà un point positif important. Faudrait-il tout simplement le clamer encore plus fort et le faire parvenir à qui de droit par des canaux crédibles et fiables? Je le pense sincèrement. Une fois exprimée publiquement une telle position est de nature à rassurer l’autre partie pour se prêter à une négociation réaliste et honnête. Ce genre de « confidence bulding measure» ne pourra qu’accroitre les chances de l’enclenchement d’un processus pour arriver à une solution heureuse de cette crise.
Pour des négociations loyales avec les ravisseurs
A l’autre partie, je dirais, en me référant au peu d’expérience que je possède dans ce domaine, il serait également important qu’elle prenne, à son tour une «confidence bulding measure» en donnant des preuves tangibles que les otages sont vivants et bien traités. Sans ces preuves, la négociation n’aura donc aucun objet et ne pourra donc même pas démarrer. Par ailleurs, la partie qui détient les otages, devra réaliser qu’une telle négociation ne devra jamais ressembler à un chantage ou à une supercherie, politique ou financière. De toutes les manières, il serait vain de le tenter car ce serait contre-productif…..pour tout le monde. Il en va de l’intérêt, commun ou individuel, de toutes les parties de mener loyalement une telle négociation. Ces intérêts qui peuvent paraître contradictoires pourront, en définitive, se réconcilier dans un package de compromis équilibré où toutes les parties reconnaitront leurs objectifs et n’insulteront pas l'avenir…commun.
Bien sûr, il faudrait un appui et des facilitateurs pour que de telles négociations réussissent. L’appui des autorités libyennes est certainement fondamental, mais d’autres acteurs pourront jouer aussi le rôle de facilitateurs ou d’intermédiaires de bonne volonté. Ils peuvent être d’autres Etats, des organisations internationales ou régionales et, on le voit de plus en plus, même des personnes privées. Ces facilitateurs et intermédiaires doivent être dépositaires de la confiance des uns et des autres.
Cette affaire est sans précédent dans le cours (parfois tumultueux) des relations tuniso-libyennes. C’est pour cela qu’il est urgent de la traiter en urgence et avec doigté. Ainsi j’appelle toutes les parties à entamer une négociation des braves et d’éviter de faire un marché de dupes.
Il en va de la continuité et de la pérennité de l’entité populaire tuniso-libyenne.
Maître Taoufik Ouanes
Ancien diplomate de l’ONU
et expert en relations internationales
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