Opinions - 10.03.2014

Après celui de la cigale, voilà venu le temps de la fourmi!

Ce nouveau gouvernement semble décider à vouloir faire une «opération vérité». Mais jusqu’où? Un degré de liberté qui reste soumis, ou pour le moins «encadré» par les conditionnalités du dialogue national: Restaurer la sécurité publique, assainir la situation économique. Il y a aussi les legs de l’ancien régime, les habitués dirait Bourdieu dans la conduite des affaires du pays; une gestion subtile des dits et des non-dits. Comme toute équipe gouvernementale ne disposant que d’une légitimité restreinte et limitée dans le temps, il ne faut donc pas en attendre des miracles. Elle tâchera de coller au plus prêt d’une opinion publique passablement échaudée et malmenée. Un semblant d’apaisement est d’ailleurs perceptible. L’horizon étant borné par la future échéance électorale, il y a donc fort à parier que ce gouvernement s’évitera à lui-même les pièges de révélations par trop fracassantes. Humains trop humain, ces compétences nationales ne sont nullement candidates au suicide politique et donc risquer d’adopter des postures qui insulteraient leur avenir…

Très habilement, le chef du gouvernement a choisi de procéder tout d’abord à un état des lieux. Il n’aura échappé à personne que son souhait d’audit-diagnostic ne porte pas exclusivement sur la seule dernière période (Gouvernement Larayedh) mais bien sur la totalité de la période de transition dont on retiendra les maitres mots: 25 Milliards d’emprunts nouveaux, pour une productivité collective en baisse de 0,4%. En clair le choix de la cigale a prévalu sur celui de la fourmi. Fable, que d’évidence l’équipe gouvernementale connaît de mémoire: La cigale ayant chanté tout l’été se trouva fort dépourvu quand la bise fut venue….Elle alla crier famine chez la fourmi sa voisine, la priant de lui prêter quelques grains pour subsister jusqu’à la saison nouvelle. Je vous paierai lui dit elle avant l’Août foi d’animal, intérêts et principal.

Mais a contrario de la péroraison éthique de La Fontaine qui renvoie la cigale à ses turpitudes,  les bailleurs de fonds ne lâcheront  pas le pays et seront encore au rendez-vous des demandes de rallonge de 1 à 2 milliards en devises fortes…Une bagatelle, une broutille quasi insignifiante? Mais aussi à quel prix? De facto les créanciers du pays ne prendront pas le risque de torpiller les derniers moments de cette transition. Bien trop dangereux…les comptes se règleront après. Possiblement exigeront-ils dans la foulée du FMI, et des doctes des agences de rating de nouvelles garanties. Mais lesquelles? Rien ne filtre pour l’heure! Cela étant, évitons les mauvais procès avant l’heure, et les spéculations abusivement et tapageusement outragées. Une grande spécialité du pays!

Les vrais cadavres sont encore dans les placards

Mais tout de même et en attendant d’en savoir plus, on peut légitimement s’interroger sur cette «nouvelle logique de réverbère» que tente d’emprunter ce gouvernement ! Un clair obscur, donc, qui fait mine de vérité. Catastrophique serait la situation, martèle le Chef du gouvernement, mais pas désespérée répond comme en écho le ministre des finances. Ouf! Et nous qui pensions être dans une conjoncture équivalente à celle de la Grèce. Nous voilà rassurés! Mais si peu à vrai dire, car de notoriété publique, les vrais cadavres sont encore dans les placards. Un secret de polichinelle que nos dirigeants ont toutes les peines du mal à masquer arguant du besoin d’un audit plus complet. Quid des dettes du secteur hôtelier? Quid du volume de créances douteuses qui plombent le secteur bancaire? Quid des pertes d’exploitation des sociétés publiques dont on a attribue un peu vite la cause aux sureffectifs? Certes les effets de déliquescence sont perceptibles tout comme le délitement de l’administration centrale. Mais insinuer, par là même que «plus personne ne travaille plus» est pour le moins une formule rhétorique excessive et dommageable… «Tout le monde» n’a pas perdu dans cette affaire ! Une formule quasi insultante pour les quelques 600.000 déclarés à la recherche d’un travail.

D’évidence ce gouvernement de 12 mois joue la seule partition qui lui est autorisée et dévolue : redresser la barre, redresser un tant soit peu les comptes.

Accueillons, l’augure d’un grand emprunt national, dont nous avons été parmi les tout premiers à avoir lancé l’idée (dans ces mêmes colonnes). Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Abandonnons pour l’heure les «éclairages» que ce cabinet ministériel tente de nous prodiguer. Une lumière qui, nonobstant, cache la pénombre, pour ne pas dire l’obscurité des certitudes-tabous, sorte de dogmes institués au fil des années, qui restent et demeurent bien ancrés. Enumérons-en quelques uns.

Hérésie que de parler d’une possible renégociation de la dette pour cas de force majeure. Blasphème que de mentionner l’inéquitable «revenue sharing scheme» partagé avec les exploitants d’hydrocarbure. Sacrilège que de remettre en cause un code des investissements rafistolé à la va vite pour «attirer les IDE» et renforcer la compétitivité du pays. Impiété et outrage que de signaler qu’aucune clause réelle de transfert de technologie n’y figure. Offense exécrable que de dire que la compensation n’est pas la priorité des priorités mais bien plutôt celle d’une mise à plat de tout le système de financement de notre économie. Vergogne éhontée que de pointer les activités non salariés et les optimiseurs fiscaux qui échappent à l’impôt. Un manque à gagner indicible. Mais l’Omerta règne et l’ordre de préséance toujours le même.

Alors dans une logique de comptable pointilleux, le nouveau cabinet tente de freiner d’un côté (gel de la moitié des projets déjà dans le tuyau, et autres joyeusetés à venir) et d’accélérer de l’autre (rentrées fiscales sans changement de périmètre, emprunts). Une quadrature du cercle pour le moins effréné aux limites de la névrose sous l’égide d’un risque-épouvantail de défaut de paiement, d’insolvabilité surement pas!

Reconnaissons tout de même que l’exercice est périlleux à plus d’un titre. Outre les immuables inconnues liées à tout exercice du pouvoir, se surajoute une conjoncture défavorable: un spectre politique (et des rapports des forces), versatile et fuyant, et pour ainsi dire totalement imprévisible du fait d’une recomposition inachevée. Du coup un premier ministre hésitant qui sonde l’opinion et ses inclinaisons. Le passage en force étant exclu, il scrute en lançant des ballons d’essais. Privatisations? Peut-être, mais partielle ! Une simple ouverture du capital, murmure-t-il, mais dans les faits une privatisation rampante qui ne dirait pas son nom.

L’hyperactivité pour reprendre un terme à la mode de ce gouvernement, masque en fait un besoin de temporisation qui cherche encore les points d’inflexion possibles.

De l’audace et du courage pour rompre avec le mimétisme hérité du passé. Il nous faut encore attendre ….

Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement.

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