Opinions - 18.12.2013

«Jumelage des mosquées ou jumelage des universités» :Une lectrice répond à M.L Bouguerra

Suite à la parution de l'article de Mohamed Larbi Bouguerra «Jumelage des mosquées ou jumelage des écoles et des universités?», nous avons reçu de notre lectrice, Sihem le commentaire suivant :

En réponse à votre interrogation : Quelle mosquée, quel kouttab, quel miracle pourrait nous permettre de rejoindre par exemple la Corée (score de 554)

Je sais que ce n’est pas sans occasionner un traumatisme pour certains de nos concitoyens , mais de deux choses l’une : soit on entre en confrontation et en conflit, ce qui n’est pas bon pour personne, soit on essaie de construire une nation pour tous et faire société. Une société commune, solidaire, fraternelle et prospère pour tous au delà du «vivre ensemble» , notion qui relève de verbiage creux.

Notre religion ne doit pas être transformée en option facultative, comme l’entend Olfa Youssef, Med Larbi Bouguerra et cie

On a assez du parti unique qui défendait un seul moule dans lequel tout le monde se coule: des barbes et moustaches rasées, cravate, costume et cheveux en l’air ; c’était la pente glissante vers le totalitarisme avec la barbarie contre les barbus, les foulards , ce qui continuent de nos jours avec les persécutions des mounaqubets jusqu’au burnous du président et sa chemise sans cravate.

Mais il n’y a pire insulte à l’intelligence que de confondre le conjoncturel  et le structurel. Il n’y a pas une culture musulmane, il y en a pléthore.  Je trouve affligeant  que plusieurs présidents des partis et médias s’appuient  sur des propos d’un jeune barbue ou mounaquba , car on ne peut pas décider qu’est irréductiblement islamique ce que dit un adolescent abruti dans une cité déshérité comme Ettadhamen.  Il n’en demeure pas moins que,  la Tunisie de nos jours , beaucoup souffrent d’une indigence culturelle terrible et d’un manque d’éducation grave, à cause d’une religiosité aliénante et crétinisante,  qui prospère dans un atmosphère  d’une peur irraisonnée  , maladive et pathologique de l’islam , ce qui signifie étymologiquement  «islamophobie».

Il faut trouver les moyens de guérir ceux qui  en sont malades et compatir à leur état. Mais je crains qu’il ne s’agisse d’une haine et d’une hostilité revendiquée comme telle et assumée, ce qu’on appelle aujourd’hui  hypocritement i l’islam moderne ou l’islam tunisien ou zeitounien, comme une misanthropie et misogynie, qui se nourrit d’une focalisation médiatique avec effet de zoom exclusif sur le vil, l’abject et le négatif, depuis le terrorisme ignominieux jusqu’au comportement archaïque de ces étudiantes voilées intégralement, que le doyen de la faculté de Manouba,  exclua du cercle d’apprentissage.

Je voudrais rappeler qu’être musulman  , c’est aussi hériter d’une grande civilisation impériale dont l’Alcazar, l’Alhambra, topkapi et le Taj Mahal défient l’éternité.

Les musulmans tunisiens veulent vivre dans la dignité et éprouver leur citoyennté d’une facon apaisée, harmonisée et banalisée, sans se sentir visés à chaque discussion de loi sur les mosquées ou le wakf
Il leur incombe de s’acquitter de leurs devoirs de citoyens mais aussi de pouvoir jouir pleinement de leurs droits inaliénables. J’en appelle à l’intelligence hybride du cœur et de l’esprit pour y arriver.

Or beaucoup disent aujourd’hui : laissez les gens faire ce qu’ils veulent: Les artistes  au nom de la créativité  et les journalistes au nom de la liberté d’expression et la nouvelle dictature des médias et des producteurs de feuilleton.

Cette liberté là n’a rien avoir avec les devoirs et  la justice avant les droits et le quatrième pouvoir, qui nous apprend que l’autonomie, c’est d’obéir à sa propre loi et de rester juste sans racisme ni haine, en nous rappelant que la Tunisie est carthaginoise avant d’être musulmane,  certes, la roche mère est carthaginoise , mais des apports enrichissants s’y sont sédimentés pour nous donner un bel édifice, qui doit beaucoup à Ibn sinaa ( Avicenne) et  Ibn rochd (Averroès). N’eut été  la lutte acharnée de Bourguiba et de Ben Ali contre l’islam, nous ne serions pas dans les basses eaux du débat sur l’identité nationale et le combat terroriste, alors que nous avions réussi pendant des siècles l’intégration  des gens de religions et de cultures différentes.
Notre désir aujourd’hui c’est d’encourager l’Islam des lumières, d’Ennahdha et d’Ettahrir, au lieu de quoi nous observons passivement la montée en puissance d’un religieux de plus en plus orthodoxe, voire de plus en plus fanatique en réponse à ce genre d’article et plateaux de télévision qui diffusent la haine.

Enfin c’est le Kottab et les mosquées qui ont relevé le défi démocratiquement, ou le pauvre à eu sa chance pour se cultiver, alors que votre système surtout avec ses cours de rattrappage payants n’a donné la chance qu’à une élite riche pour avoir accéder au savoir, en excluant les pauvres  et surtout les mounaqubets du cercle du savoir.
Alors vous n’etes pas obligé d’inscrire vos enfants dans les écoles coraniques, tant que ce respect de votre volonté est appliqué nous n’avons pas peur pour la démocratie.

Sihem

La mise au point de M.L. Bouguerra

Il faut d'abord remercier cette lectrice pour son intérêt mais un texte ne peut être critiqué à partir d'une citation sortie de son contexte.

Tout d'abord, loin de moi la haine et le conflit. Je laisse çà à MM. Sahbi Atig, Sadok Chourou et leurs mentors.
J'ai personnellement fréquenté le kouttab jusqu'à l'âge de neuf ans. J'y ai appris à lire et à écrire  notre langue. J'en suis parti pour aller à l'école franco-arabe où j'ai appris le français comme j'ai appris à compter et acquis quelques solides éléments de science. Mon père était zeitounien et imam; heureusement il a profité des enseignements de la Khaldounia (voir Leaders n°21, février 2013, p.68-70). Le problème posé est le suivant: la Chine, le Japon, Singapour, Hong Kong... qui se classent très haut dans PISA sont des pays où la religion est une affaire strictement privée. Ce sont des pays que je connais bien et où aucune interférence religieuse de la part de  l'Etat ou de l'école n'existe. Il s'avère qu'aucun Etat musulman n'est bien classé par PISA. Comment ne pas s'interroger sur ce retard?  Il s'agit pour les Tunisiens de savoir ce qu'il faut faire pour obtenir un meilleur classement la prochaine fois. Notre lectrice semble croire que je suis en faveur des cours particuliers; ce qui est complètement faux.  Enfin, il faut qu'on m'explique  comment une niqabé peut faire de la chimie, de la géologie ou de l'anatomie à la faculté(Voir mon article in La Presse de Tunisie,23 octobre 2011). Je renvoie enfin notre lectrice à l'ouvrage de ma collègue Mme Faouzia Farida Charfi "La science voilée" (Ed. Odile Jacob, Paris, 2013) et à mon article paru dans Le Monde du 13 mars 1991. Nul doute, elle  y trouvera des éléments utiles  relativement à cette problématique.

Bien cordialement
Larbi Bouguerra