Opinions - 18.12.2013

Tunisie: Justice transitionnelle et faits historiques

La loi sur la justice transitionnelle, adoptée par l’ANC à une heure tardive de la nuit du samedi 14 décembre, à un moment  où les tractations sur le choix du chef du gouvernement battent leur plein , est passée presque  inaperçue. Par-delà ses objectifs éminemment politiques, il est utile de signaler que les limites chronologiques supérieures fixées par  les  initiateurs d’une loi censée traiter les «crimes du régime de Bourguiba » sont injustifiables  au regard des faits historiques .

La nouvelle loi  stipule que  les travaux de l’instance de justice transitionnelle couvriront la période comprise entre le 1ier juillet 1955 jusqu’à  la publication de la Loi. De prime abord, le choix de cette dernière date  interpelle à plus d’un titre. Manifestement , le législateur a cherché à réhabiliter, ainsi, la mémoire des  youssefistes , pris à parti par les bourguibistes. Ne considérant que les dommages humains et moraux du conflit, il n’a pas jugé utile de le  situer dans son contexte historique.  

Ce faisant, il réveille un trauma historique que le temps a partiellement enveloppé, au risque d’élargir la fracture politique actuelle. Combien même cherche-t-on à «réécrire» l’histoire de cet épisode douloureux , sur lequel tout a été presque dit, on découvrira que la responsabilité de ce trauma incombe aux deux camps. Car il est, aujourd’hui, établi que pour les années 55-56, la lutte fratricide qui a pris les allures  d’une guerre civile opposant  bourguibistes et youssefistes, n’est  pas le fait de l’Etat et encore moins du «régime », et pour cause : Bourguiba n’a accédé à la primature que le 11 avril 1956, soit quelques mois après le départ en exil de Salah Ben Youssef le 28 janvier 1956 et la fin de la « guerre fratricide ». Dans ces conditions, la question se pose de savoir si on va demander des comptes à feu Tahar Ben Ammar, dernier chef du gouvernement  avant l’indépendance et représentant officiel de l’Etat  tunisien, pour un conflit que ni lui, ni Lamine Bey, dernier monarque husseinite n’ont suscité.

Noureddine Dougui
Universitaire