Cérémonie en l'honneur de Mandela ou le bal des hypocrites
Une centaine de chefs d’Etat et de gouvernement ainsi que le Secrétaire Général de l’ONU se sont pressés ce mardi 10 décembre 2013 à l’imposante cérémonie à la mémoire du Président Mandela au FNB Stadium de Soweto, endroit symbolique par où passait jadis «la frontière» de l’apartheid.
Nombreux parmi eux sont les gens qui n’ont rien à voir avec les idées et l’œuvre de Madiba.
C’est le cas de Nicolas Sarkozy qui déclarait à Dakar en juin 2007: «Le drame de l’Afrique c’est que l’homme africain n’est pas assez rentré dans l’Histoire.» Prononcées à l’Université de Dakar, ces paroles ont été unanimement condamnées par tous les grands intellectuels et les progressistes africains. Ceux-là mêmes pour qui Mandela est une icône et un symbole de l’émancipation et de ce que peut réaliser l’homme noir quand il brise ses chaînes et proclame comme Mandela : «Je suis le maître de mon destin». Et rappelons à Sarkozy cette parole de mon regretté ami, le Burkinabé Joseph Ki-Zerbo, premier agrégé d’histoire africain: «S’il y avait quelque chose de bon dans la guerre, dans l’agressivité, les chiens l’auraient trouvé.»
A cette cérémonie en l’honneur de Mandela, symbole de la lutte contre l’apartheid, et au premier rang, le Président et deux ex-Présidents des Etats Unis ainsi que le Premier Ministre anglais, c’est-à-dire les représentants des Etats qui soutinrent envers et contre tous le régime d’apartheid, notamment sous la présidence de Reagan, acteur de films de série B qui qualifiait d’ « organisation terroriste », l’organisation de Mandela, l’ANC. Lors du passage de Margaret Thatcher au 10 Downing Street, son soutien au régime de l’apartheid a été aussi sans faille. Alors que Reagan était aux commandes, le 24 août 1984, le régime de l’apartheid pendait 14 nationalistes africains en une semaine ! Cette répression n’a alors ému ni la Maison Blanche ni Whitehall.
Comment oublier que David Cameron, l’actuel Premier Ministre, membre en vue du parti conservateur, effectua en 1989, un voyage en Afrique du Sud parrainé par la société Strategy Network International, farouche partisan du régime d’apartheid et opposée à toute sanction contre les racistes blancs? Quant à l’ancien Président Bush Jr, il a mis sur pied le Commandement Africa, instrument de la politique américaine sur le continent noir - et dont le siège est en Allemagne. Sa sanglante intervention en Irak a été fermement condamnée par le Président Mandela. Il pleure aujourd’hui - larmes de crocodile - «un grand combattant pour la liberté». Est présente aussi à cette cérémonie, Hillary Clinton qui a toujours arpenté l’Afrique avec une multitude de multinationales désireuses d’exploiter ses richesses en faisant la pauvreté et le malheur de ceux dont la terre natale regorge de minerais, de pétrole, de gaz, de diamants, de métaux rares et de lithium… Quant à M. Obama qui maintient Guantanamo au mépris de tous les droits humains, il aurait pu associer à son hommage la mémoire de Crispus Attucks, esclave fugitif, qui fut le premier à défier les Britanniques en Amérique, le 5 mars 1770, et fut le premier martyr de la guerre d’indépendance des Etats Unis.
Tous ces puissants sont là et pleurent Mandela, l’homme qui a mis fin au régime d’apartheid. Ils s’accommodent pourtant de l’existence d’un autre Etat raciste et occupant par la force un autre peuple: Israël. Vaincue en Afrique du Sud, l’idéologie raciste peut continuer à prospérer en Palestine avec le soutien des politiciens américains, allemands, français ? Peut-on continuer à mettre en cage 1,7 million d’humains à Gaza en les affamant et en les privant d’eau potable et d’électricité alors que le monde pleure ce géant qui abattu l’infamie et le racisme? Peut-on laisser en place ce Mur de la Honte condamné par le Tribunal International de la Haye ? Peut-on accepter qu’à Hébron, par exemple, 600 colons mettent en coupe réglée la vie de 130 000 Palestiniens et disposent de routes et de rues interdites aux Palestiniens? L’hommage rendu par la terre entière à Madiba a montré avec une grande clarté l’isolement de l’entité sioniste qui a brillé par son absence. Pouvait-il en être autrement?
Non.
Dès sa proclamation unilatérale, Israël a fait de la Rhodésie et de l’Afrique du Sud – Etats racistes et anciens soutiens des nazis - ses alliés privilégiés. Il est vrai que Cecil Rhodes, fondateur de la Rhodésie - Zimbabwe actuel - et propriétaire de la société de diamants De Beer a énormément échangé de lettres avec Theodor Herzl - le théoricien du sionisme - une correspondance si compromettante que le gouvernement anglais en a interdit la divulgation pour le centenaire de la mort de Rhodes en 2002. Dès mars 1896 pourtant, le Zimbabwe se soulevait contre le pouvoir colonial : c’était le premier chimurenga, musique de lutte contre le pouvoir anglais.
Rappelons que l’Assemblée Générale des Nations Unies a condamné en 1976 « l’alliance entre le racisme sud-africain et le sionisme ». Shimon Perès, « grippé », n’a pu être là, disent sans rire les officiels israéliens, et Netanyahou a reculé devant la dépense pour entreprendre ce voyage ! Le vieux cheval de retour qu’est Pérès craint probablement que le peuple sud-africain ne se rappelle que, lorsqu’il était ministre de la Défense en 1975, il avait les contacts les plus amicaux et les plus assidus avec Eschel Rhoodie, le directeur sud-africain de la propagande, et Henrik van den Bergh, le directeur des services secrets sud-africain, et qu’il les a reçus à Jérusalem, à la résidence du Premier Ministre Yitzhak Rabin. Pour ne rien dire de la coopération nucléaire entre Israël et le pays de l’apartheid. Un éditorialiste dénonce ainsi dans les colonnes du journal Haaretz, l'hypocrisie du président Shimon Peres, louant "un leader d'une immense stature", alors même qu'il était "impliqué jusqu'au cou dans la coopération entre Israël et le régime de l'apartheid. Israël accueillait alors les Premiers ministres sud-africains en grande pompe, pendant que Mandela moisissait en prison".
Les Haoussa du Nigéria ont un proverbe qui dit : «Le mensonge peut courir un an, la vérité le rattrape en un jour.»
Il est dommage que ces puissants d’aujourd’hui viennent faire croire qu’ils pleurent l’homme qui a instauré de manière pacifique la démocratie en Afrique du Sud et signé la première page du post-colonialisme.
Quant aux Palestiniens, qu’ils méditent ce proverbe peul : « Si longue que soit la nuit, le jour viendra. » et qu’ils sachent que leurs amis de par le monde affirment avec Madiba : "We know too well that our freedom is incomplete without the freedom of the Palestinians".(Nous savons parfaitement que notre liberté est incomplète tant que les Palestiniens ne sont pas libres) . C’était le 4 décembre 1997, devant le Conseil National Palestinien, à Gaza.
Ce matin, lors de la cérémonie d’hommage, Monseigneur Desmond Tutu qualifiait ainsi Madiba: «Il a été le laborantin qui a permis à la chimie de ce pays de se faire.»
Puissent le quartet et les partis tunisiens s’inspirer de l’action politique de Madiba -homme de paix et de dialogue, qui a mis son mouchoir sur le ressentiment et la vengeance- pour que la chimie de notre pays, la Tunisie continue ses traditionnelles réactions de concorde et de modération.
Mohamed Larbi Bouguerra