News - 30.11.2013

Tunisie: C'est de démocratie qu'il s'agit

Décidément, le Palais de Carthage, s’il fait rêver ses prétendants, donne des cauchemars à ses locataires successifs. Convoité avec une rare effervescence par la quasi-totalité des chefs de parti et même de nouveaux entrepreneurs en politique, il est jalousement défendu par son occupant qui ne pense qu’à s’y cramponner. C’est le nœud gordien qui bloque en bonne partie le Dialogue national. Dès à présent, tous sont en mode élection présidentielle.

Moncef Marzouki, qui célèbrera ce 12 décembre 2013 sa deuxième année à Carthage, y a pris goût. Quitter la magistrature suprême, avec toute son aura, ne lui sera pas facile, mais ce qui le hante le plus, c’est un sort semblable à celui réservé à son ancien homologue égyptien, Morsi. Le spectre du complot ne tardera pas à l’envahir. Un complot en bonne et due forme annoncé en deux temps dans la presse étrangère, Le Monde, puis l’agence turque Anatol, avec même l’accusation d’un «pays arabe». Aucune dénonciation cependant de ce «complot» par la classe politique, encore moins les autres composantes de la Troïka et non-ouverture de toute instruction judiciaire, comme si la sûreté de l’Etat n’était pas concernée.

Fixation de Marzouki sur Carthage, radicalisation encore plus poussée de son parti, le CPR, retrouvailles avec des dissidents extrémistes et nouvelles alliances. Plus rien ne retient le président provisoire et ses troupes dans l’espoir de constituer le partenaire incontournable au sein de la Troïka et de garantir suffisamment de voix le jour du scrutin. Longtemps, il s’était convaincu que son unique salut est de faire de Carthage le recours de toutes les forces politiques et sociales du pays et d’y abriter tous les débats. Les clashs entre le gouvernement et l’opposition, ainsi que l’UGTT, l’avaient confirmé dans son raisonnement. En abandonnant cette position fondamentale, il risquait de perdre son rôle effectif et de plomber ses chances de rempiler. Le refus des concessions et l’affrontement avec l’opposition s’érigent en ligne de conduite. Ceux qui ne se sentent pas prêts à livrer la bataille des urnes ne peuvent mieux espérer et se plaisent dans cette victimisation. Les blocages se multiplient. On est loin de la démocratie tant espérée, loin de l’unité nationale à cimenter.

Paradoxalement et au risque de surprendre certains, c’est le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi, qui semble pousser le plus au consensus. Dans son propre camp, «un mouvement aux multiples opinions mais à l’unique position», au sein de la Troïka et vis-à-vis des autres partenaires du Dialogue national. Mais, il sait surtout que choisir la confrontation reviendrait à défier l’opinion publique la plus large, se mettre à dos les bailleurs de fonds internationaux et décevoir tous les amis de la Tunisie. Qui peut les aliéner et, encore plus, tous à la fois et en ce moment. Plus que la légitimité des urnes, seul le consensus doit l’emporter, surtout qu’il s’agira, après les élections, de trancher des dossiers aussi épineux que ceux de la compensation, des caisses sociales, de la réforme fiscale et autres. 

En chef de l’opposition, Béji Caïd Essebsi entend y œuvrer, lui aussi. A sa manière et avec son style. Le Quartet, conduit par un Hassine Abbassi aussi habile que patient, maintient toute sa pression. Enfin, Mustapha Ben Jaafar, souvent critiqué, mais n’hésitant pas à payer de sa personne pour calmer les esprits, ne rechignant pas à l’occasion à jouer le rôle de paratonnerre. Est-ce suffisant ?

L’apprentissage de la démocratie est bien dur. Il ne suffit pas qu’un despote soit éjecté, poussé par une révolution aux nobles fondements, pour que s’installe et s’enracine la démocratie. L’essentiel est d’atteindre le point de non-retour. Tout le reste n’est que futilité…

Taoufik Habaieb