News - 13.09.2013

Disparition d'Albert Jacquard, un éminent savant, un grand humaniste et un fidèle défenseur du peuple palestinien

Le généticien Albert Jacquard, disparu le 11 septembre 2013 à Paris, à près de 88 ans, n’est pas un inconnu pour les Tunisiens et pour la communauté scientifique de notre pays. Il a été professeur associé à l’Université de Genève et professeur titulaire à l’Université Paris VI.  Il a aussi exercé comme expert à l’OMS. Il fut « un intellectuel au parcours extraordinaire à la fois sur le plan scientifique, philosophique ou social », d’après son ami Georges Séguy, ancien responsable  du syndicat CGT.

Il était d’abord un humaniste qui,  à la fin de sa vie professait : «Devenir soi nécessite un détour par les autres».
Il a  écrit  de passionnants  ouvrages tels  « Eloge de la différence»,  «Petite philosophie à l'usage des non-philosophes», «A toi qui n'es pas encore né(e) - Lettre de ton arrière-grand-père sur le monde qui t'attend.» …
Antiraciste militant, ce polytechnicien – qui a étudié la génétique aux Etats Unis à l’âge de 40 ans- est issu d’une famille catholique stricte de Lyon qui l’a élevé, regrette-t-il, « dans la soumission et le conformisme ». Dans un entretien à un magazine, il se désolait : « …En 1961, je vivais près de l’endroit où des Algériens ont été jetés dans la Seine. Lorsque je l’ai appris, le lendemain, j’ai eu honte. J’aurais pu prendre position, mais je n’ai pas bougé. Je suis resté du côté des salauds, ceux qui laissent faire, pendant deux décennies encore. » Homme d’action, il a tenu  à contredire cette éducation individualiste et renfermée sur elle-même. C’était un grand scientifique doublé d’un homme d’action. Il se plaisait à dire : « Agir, c’est plonger, faire basculer un absolu, se comprendre mortel et donner sa chance à la vie. Donner, qu’il est beau, qu’il est difficile de donner ! Les chemins de la réflexion, douloureux méandres, ne sont que jeux inutiles si, de balise en balise, ils n’aboutissent pas à la bifurcation du passage à l’acte».

Il était de tous les combats pour l’humain. Il me rappelle  ce mot du grand poète russe Maïakovski : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger».  Il a été la cible du Front National pour avoir dit que si tous les hommes sont tous différents- génétiquement parlant-  aucune de ces différences  ne permet de dire qu’un groupe  humain  se croit  supérieur. Fils d’un directeur à la Banque de France, il a été d’un appui  capital  pour  l’association DAL (Droit au logement). Lors d’une manifestation en faveur du logement pour les travailleurs africains à Paris, la police a brutalement chargé les militants  du DAL et en a arrêté un certain nombre. Il a dit à la police : « Moi aussi, j’ai participé à la manifestation, vous devez m’arrêter.» Au commissariat, on s’est rendu compte qu’il s’agissait du Professeur Jacquard et on lui dit : « Professeur, vous êtes libre". Il  a répondu aux policiers : « Non, je ne sortirai pas d’ici tant que tous mes compagnons ne seront pas relâchés».

La défense de la Nature et de l’environnement le préoccupait et il s’est battu contre la détérioration du  cadre de vie par l’invasion tous azimuts de panneaux publicitaires. C’est ainsi qu’en  2005, Albert Jacquard est devenu membre d’honneur de l’association Paysages de France.

Il a fait partie du Tribunal Russell pour la Palestine aux côtés de l’éminent  professeur de linguistique juif américain Noam Chomsky du MIT à Boston ou du  Prix Nobel de littérature (1998) le Portugais José Saramago. Ce Tribunal, créé en 2009, avait pour  vocation de  “mobiliser les opinions publiques pour que les Nations unies et les États membres prennent les mesures indispensables pour mettre fin à l’impunité de l’État d’Israël et pour aboutir à un règlement juste et durable de ce conflit”.

En 2002, le professeur Jacquard avait participé à un voyage de soutien aux Palestiniens et à Yasser Arafat, à Ramallah, une mission conduite par  la Confédération paysanne française avec José Bové, pour dénoncer “la terreur du gouvernement Sharon” et pour exiger “l’envoi d’une force européenne de protection du peuple palestinien, la rupture de l’accord commercial entre l’Union européenne et Israël”.

Militant pour la paix, il était contre l’énergie nucléaire aussi bien civile que militaire et avait publié, en 2012,  avec le regretté Stéphane Hessel un ouvrage : « Exigez ! Un désarmement nucléaire total » chez Stock à Paris. Seule  la maladie l’a empêché de s’exprimer pour la paix en Syrie dans les colonnes du journal  « L’Humanité ». On notera que ce journal organise ce weekend une réédition de sa très célèbre  fête annuelle à la Courneuve près de Paris, fête qui  mêle harmonieusement culture, musique et militantisme.  La question syrienne ainsi que de nombreux débats traitant de la Palestine sont au programme. Une grande soirée est même prévue ce vendredi en faveur de la libération des détenus palestiniens et de Marwan Barghouti (en présence de Fadwa Barghouti, son épouse). 
 

Mohamed Larbi Bouguerra