Opinions - 08.09.2013

Syrie: La morale à géométrie variable des Etats-Unis et de la France

‘Go back as far as you will into the vague past, there was always a Damascus… She has looked upon the dry bones of a thousand empires and will see the tombs of a thousand more before she dies.’(Aussi loin que vous voulez remonter dans le vague passé, il y a toujours une Damas… Elle a vu la carcasse d’un millier d’empires et elle verra les tombes d’un millier supplémentaire avant de disparaître.)

Mark Twain, The Innocents Abroad, 1869

Face aux déclarations françaises et américaines à propos d’attaques punitives contre  la Syrie, des questions viennent immédiatement à l’esprit :
 
Comment sanctionner Bachar al Assad sans ajouter des morts aux morts et la guerre à la guerre ? 
 
Comment bombarder les dépôts d’armes chimiques  sans provoquer un désastre environnemental ?
 
Comment punir ce dictateur, fils de dictateur, sans vouloir l’écarter du pouvoir ? 
 
Quelles sont les motivations de François Hollande et de tous ces va-t-en-guerre qui infestent les plateaux des
télévisions alors que tout le monde sait que la solution ne peut être que politique?
 
Comment se passer de l’aval des Nations Unies pour mener une attaque contre un Etat souverain ? Agit-on au nom du droit ou au nom de la morale ?  Obama n’a-t-il pas affirmé à l’Université du Caire qu’il n’y aura plus de guerre au Moyen-Orient ?
 
Marque de fabrique du PS ? La social-démocratie libérale à la Guy Mollet (celui de la guerre d’Algérie et du fiasco de  l’attaque de Suez quand la France s’est alliée avec Israël en 1956) est de retour à l’Elysée, alliée cette fois de la machine de guerre américaine que commandent  le complexe militaro-industriel et le lobby sioniste.  François Hollande   - qui n’arrive à maîtriser l’insécurité ni à Marseille ni  en Corse, pour ne rien dire du chômage,  de la désindustrialisation du pays et de son  abyssale impopularité  -  bombant le torse, veut assurer la sécurité de tout le Moyen-Orient ! Un nouveau Bonaparte s’élance vers ces contrées compliquées -  comme dirait le Général de Gaulle. Et en faisant fi de l’autorisation du Machin (l’ONU pour le Général). 
 
Rappelons à M. Hollande ce que son pays a infligé au peuple syrien le 18 octobre 1925,  quand ce dernier s’est révolté contre l’occupation française (Mandat français),faite dans  le cadre du dépeçage du Moyen-Orient au profit de la France et de la Grande Bretagne. Ce jour-là, la France a bombardé de manière barbare et englouti dans un déluge de feu le quartier historique de Sidi Amoud de Damas. La vieille cité et ses admirables édifices, livrés aux flammes, furent réduits en poussière. Le quartier a été reconstruit et porte depuis  le nom – ô combien évocateur - de Harika !
 
Aujourd’hui, celui que Jean-Luc Mélenchon qualifie de « capitaine de pédalo » envoie-t-il à l’est de la Méditerranée la frégate « Chevalier Paul » pour intimider la Syrie ou lancer une nouvelle « harika » contre Damas? La politique de la canonnière reprend du service avec M. Hollande ! Pourtant, en  2003, lors de l’intervention américaine en Irak, alors qu’il était premier secrétaire du PS, François Hollande était d’avis que “l’emploi hors du territoire national des forces françaises soit soumis à une consultation préalable du Parlement.” Aujourd’hui, dans ses habits de monarque élu par une Constitution conçue par un homme de droite, Charles de Gaulle, son propos est tout autre. Mais, depuis l’expédition néocoloniale au Mali, Hollande se sent pousser des ailes. Il déclare au Monde (31 août 2013, p.2) : « Il y a peu de pays qui ont des capacités d’infliger une sanction par des moyens appropriés. La France en fait partie. Elle y est prête. » Hollande devrait se souvenir de ce que disait Pascal : « La force sans la justice est tyrannique. » Lors de sa campagne électorale, M. Hollande parlait du « redressement de la France ». Aujourd’hui, le politologue américain Ezra Suleiman relève qu’en France  « quand on regarde les chiffres importants, la dette, l’emprunt continuel, le chômage, en particulier celui des jeunes, ils sont partout mauvais. » (Le Monde, 25-26 août 2013, p. 15). M. Hollande espère qu’une attaque de la Syrie permettrait de faire oublier ces mauvais indicateurs et donnerait l’occasion à  son pays de s’accrocher encore à son statut de «grande puissance » légué par la dernière guerre mondiale. On est loin de la morale et de l’humanitaire s’agissant des frappes visant la Syrie ! 
 
Nul ne peut garder le silence face à l’horreur du 21 août 2013 en Syrie mais ni les Etats Unis ni la France ne sont des parangons en matière d’indignation morale ni en matière d’emploi d’armes chimiques et de destruction massive (ADM). D’autant que lors du massacre de Hama – 30000 morts - perpétré par Hafèz al Assad en février 1982, l’Occident a été aux abonnés absents. 
 
L’indignation de l’Occident face à l’emploi du gaz Sarin en Syrie est pure hypocrisie car ces gens n’ont pas levé le petit doigt quand Israël a utilisé le phosphore blanc à Gaza contre des civils faisant plus de 1500 victimes ni quand Israël a utilisé des herbicides pour chasser  les Palestiniens de leurs terres et pour empoisonner leurs puits. Ce même Occident voue aujourd’hui aux gémonies le Conseil de Sécurité dont les décisions seraient menacées par le veto chinois ou russe. Mais les Etats Unis n’ont-ils pas utilisé 37 fois le veto, au cours des dernières années, pour empêcher la condamnation de l’Etat sioniste ? L’Occident nous rabâche les oreilles avec ce terme :  « la communauté internationale ». Considère-t-il comme quantité négligeable les 2,5 milliards de Russes, de Chinois et des nations opposées aux frappes impérialistes et néocoloniales contre   la Syrie? De son côté, le SG des Nations Unies M. Ban Ki Moon, affirme : « Une solution politique est le seul moyen d’éviter un bain de sang. »
L’Occident  ne s’est pas indigné quand Saddam Hussein a utilisé le gaz moutarde  à Halabcha contre les Kurdes irakiens et lors de la guerre contre l’Iran (1980-1988). C’est seulement après la chute de Saddam que son cousin, Ali le Chimique, a eu sa juste rétribution et a été pendu pour cet affreux massacre. 
 
Quarante ans après la signature des accords de paix, le  peuple vietnamien  continue de souffrir, dans sa chair, des dégâts causés par les défoliants chimiques – contaminés par la dioxine, le plus puissant poison connu à ce jour -  utilisés par les Américains. L’environnement est encore pollué par cette  dioxine et le pays est le triste champion du monde  en matière d’avortements spontanés et de malformations congénitales. Lors de l’invasion dévastatrice infligée au peuple irakien, les Américains et les Anglais ont employé des munitions  à uranium appauvri (UA). Ce qui a eu  un terrible impact sur la fertilité des Irakiens et a induit un grand nombre d’atteintes cancéreuses dans  la population. 
 
Américains et Français veulent punir le dictateur  Bachar al Assad. Cela pourrait  se comprendre si la morale et l’indignation n’étaient pas à géométrie variable. Ainsi, les Etats Unis refusent obstinément de livrer le PDG d’Union Carbide, Warren Anderson, condamné par la justice indienne pour avoir provoqué la mort de 4000 personnes à Bhopal  (Madhya Pradesh)  suite à des fuites de gaz toxiques (MIC) dans une usine de pesticides en décembre 1984. Ladite usine n’était pas aux normes réglementaires en usage aux E.U, Union Carbide ne visant en Inde que le profit, au mépris  de la sécurité de ses employés et des populations avoisinantes.   « La ville entière était devenue une gigantesque chambre à gaz. » ont affirmé les survivants. N’empêche ! Warren Anderson, assassin de 4000 Indiens – pour ne rien dire des dizaines de milliers de victimes handicapées à vie - joue au golf et coule des jours heureux entre  New York et sa résidence secondaire en Floride (Newsweek, 18 juillet 2010). 
 
Vouloir détruire les dépôts d’armes chimiques en Syrie peut paraître logique mais la France, les Etats Unis et bien d’autres puissances en ont d’immenses quantités… pour la dissuasion, arguent-ils. Pour certains, France et Etats Unis visent,  en fait,  à protéger Israël des gaz toxiques en possession de la Syrie. N’a-t-on pas distribué ces derniers jours, des masques à gaz aux Israéliens ? Pourtant, ni Bachar ni son père n’ont jamais marqué d’hostilité envers Israël en dépit de l’occupation du Golan et des attaques sionistes à répétition du pays. En attaquant la Syrie, il se pourrait que l’on cible en réalité  l’Iran et ses efforts dans le domaine nucléaire. Israël a le droit de posséder l’arme atomique mais aucun autre pays de la région ne peut y avoir droit. L’Iran a beau avoir signé le traité de Non-Prolifération Nucléaire contrairement à Israël, l’Occident n’en démord pas et continue à protéger ce chancre étranger à la région –Israël-  par tous les moyens. 
 
Voir ce qui se passe en Syrie et un crève-cœur pour tout Arabe. Voir que l’Arabie Saoudite – gardienne des Lieux Saints de l’Islam - a signé le communiqué du G20 « appelant à une réponse internationale forte » contre la Syrie prouve à quel point le monde arabe est divisé et sert les intérêts de nos ennemis. La Turquie,  dirigée par des islamistes,  a signé, elle aussi, ce communiqué. Mais, ce samedi 7 septembre 2013, le Pape François appelle à des prières au Vatican pour la paix et condamne toute intervention en Syrie.  Que font  les autorités religieuses de l’Islam face au massacre du peuple syrien ? Silence de mort ! Silence des cimetières !
 
Enfin, on peut  se demander si la Ligue Arabe a encore une mission à remplir autre que celle de se dissoudre.
Bachar al Assad et sa clique sont des criminels. Ils ont utilisé le fer et le feu contre des manifestants pacifiques. Leurs sbires ont torturé et assassiné puis mutilé des enfants coupables d’inscriptions anti-régime sur les murs.
 
Ce qui  nous afflige, ce sont les souffrances infligées au peuple syrien, ce sont les 100 000 victimes de cet atroce affrontement, ce sont ces deux millions de réfugiés sous les tentes dans les pays voisins,  obligés de fuir les combats et les exactions. Ce sont les menaces  qui planent sur la région. Nulle part l’intervention étrangère n’a apporté la paix que ce soit au Kosovo, en Irak ou en Libye. 
 
Aujourd’hui, toute aide doit aller à la composante démocratique de la Révolution syrienne. 
Ce qui nous révolte, c’est la morale à géométrie variable de la France et des Etats Unis pour lesquels la défense d’Israël passe avant l’intérêt bien compris de leurs peuples. En intervenant en Syrie, ils risquent de provoquer une déflagration générale. 
 
Le conflit syrien ne peut être résolu que politiquement et essentiellement par les Syriens eux-mêmes car comme le dit Harry Patch, dernier soldat encore vivant de la Première Guerre Mondiale : « La guerre, c’est le meurtre organisé et rien d’autre. »
 
La Syrie ne doit pas mourir. Damas ne peut pas mourir. 
 
Mohamed Larbi Bouguerra