News - 07.09.2013

Pourquoi l'Occident se détourne de la Tunisie

Pas un seul mot lors de la récente réunion du G20 à Saint-Petersburg, même pas la moindre allusion!. Amère constatation que beaucoup sont contraints de faire : la Tunisie n’est plus au centre de l’intérêt des grandes puissances occidentales. Le vif élan d’enthousiasme et d’attention suscité en sa faveur lors du déclenchement de la révolution s’est rapidement émoussé. Du coup, les généreuses promesses de soutien économique et financier se limitent concrètement à quelques pacotilles. Pourquoi ?

Deux raisons au moins sont avancées par les spécialistes : l’évolution de la situation en Tunisie, d’une part et le contexte propre à chacun des pays occidentaux, de l’autre. La réussite des élections du 23 octobre 2011 a donné au monde un signal positif tant par la transparence incontestable du scrutin que par « l’espoir de voir islamistes modérés et séculiers gouverner ensemble ». Mais, rapidement, les erreurs commises par la Troïka au pouvoir et l’enlisement de l’Assemblée nationale constituante qui n'ont pas accordé à la situation économique et financière et à l’accroissement de la frustration sociale l'intérêt qu'ils requièrent ont entamé l’enthousiasme suscité par cette révolution à l'étranger.

La détérioration de la situation sécuritaire, le laxisme face aux salafistes violents et la multiplication des actes terroristes ont fini par réduire tout espoir en Occident de voir la situation se rétablir rapidement en Tunisie. A cela s’ajoutent les tiraillements internes au sein de chaque parti et les âpres confrontations sans volonté réelle de compromis entre la Troïka et l’opposition, dont les échos inondent la presse et parviennent jusqu’aux oreilles des analystes étrangers. Bref, la Tunisie perd son charme pour les démocraties occidentales, comme pour les investisseurs et les touristes.

« Il n’y a plus rien d’intéressant chez-vous! »

Certes,  le contexte international et la conjoncture difficile à laquelle font face les grandes puissances concernées y sont pour beaucoup. Partenaire historique, la France, déjà embourbée au Mali, fait une fixation sur la Syrie. Essayant de justifier sa position en flêche par rapport au reste des pays européens et son alignement aveugle sur les Etats-Unis, elle se trouve aujourd'hui dans une situation pour le moins inconfortable. Mais, ce n’est pas tout. La crise économique et la situation intérieure en plus de la personnalité de son président François la fragilise. Malgré les bonnes dispositions affichées lors de la visite de Hollande début juillet à Tunis, et la volonté de faire oublier le mauvais souvenir de la France sous Sarkozy jusqu’au 14 janvier 2011, il ne faut pas espérer plus que « les traditionnelles marques d’amitié ». Même si l’ambassadeur de France à Tunis, François Gouyette, à peine rentré de vacances a multiplié les contacts avec les différents acteurs politiques.

Pour les Etats-Unis d’Amérique, c’est aussi la Syrie – et à un degré moindre, l’Egypte – qui retiennent le plus son attention dans la région. Le traumatisme causé dans l’opinion publique par l’assassinat de l’ambassadeur américain à Benghazi et la responsabilité qui en est portée à l’Administration Obama et plus personnellement à la Secrétaire d’Etat, Hillary Clinton incitent aujourd’hui Washington à une prudence totale, surtout après l’attaque le 14 septembre 2012, de l’ambassade et de l’Ecole américaine à Tunis. Les équipes en poste à Tunis ont été réduites au strict minimum, la plupart des familles ne les accompagnant pas. Certes, la diplomatie américaine reste active à Tunis et l’ambassadeur Jacob Wallace entretient des relations suivies avec le gouvernement et les principaux partis politiques, recevant aussi diverses personnalités. Première puissance à soutenir l’indépendance de la Tunisie et à lui fournir une assistance substantielle dès ses premiers pas, les Etats-Unis gardent toujours espoir d’y voir naître une véritable démocratie. Mais la Tunisie a cessé d'être une priorité ppour les USA.

Comment expliquer l’intérêt de l’Allemagne ?

Reste l’Allemagne, elle refuse d’abandonner son soutien actif  au processus de transition démocratique en Tunisie. Les deux chefs du gouvernement successifs de la Troïka, Jebali et Laaraeyedh ont été reçus à Berlin par la Chancelière Merkel, avec beaucoup de chaleur. Les présidents de l’ANC et du Bundestag ont échangé des visites et le ministre des affaires étrangères allemand Guido Westerwelle, s’est rendu pas moins de trois fois en Tunisie, en deux ans. Début août, en pleine crise après l’assassinat de Brahmi, le carnage au Chaambi et les motions de l’UGTT et de l’UTICA pour la démission du gouvernement de la Troïka, il a fait le voyage à Tunis incitant « au rapprochement et au compromis en faveur d’une sortie de crise rapide pour aller droit vers des élections incontestables ».

Comment expliquer ce regain d’intérêt allemand pour la Tunisie, le seul d’ailleurs qui se manifeste avec autant de persévérance et s’exprime aussi par une aide économique et financière plus substantielle ? « Tout simplement par une volonté de soutenir la transition démocratique dans la région, explique à Leaders, un analyste à Berlin. L’Allemagne a vécu après l’épreuve de la guerre l’expérience de la réunification et n’a pas manqué, après la chute du mur de Berlin, d’apporter son aide à tous les pays voisins et limitrophes dans leur propre transition. L’espoir de voir les pays arabes instaurer leur démocratie, ne pouvait qu’être vif et les relations étroites avec la Tunisie (investissements, tourisme, etc.) ont forgé un contexte particulier. Il y a aussi un autre élément intéressant à prendre en considération. L’Allemagne qui jouit d’une bonne croissance économique, entend développer sa nouvelle diplomatie (après la réunification) et jouer un rôle actif sur la scène internationale. Le « Printemps arabe » pouvait lui en offrir une bonne opportunité. Déjà, son ancien ambassadeur à Tunis, Wolf Kerll, avait été un témoin actif de la résistance contre la dictature, avant d’apporter le soutien de l’Allemagne à la révolution dès ses premières heures et jusqu’à son départ à la retraite. Son successeur, Jens Plötner, a embrayé sur le même élan, fort des encouragements de Berlin. On ne se fait cependant pas d’illusion sur les limites de cet appui allemand à la Tunisie, même si après le recyclage d’une bonne partie de la dette en investissements dans de nouveaux projets et la multiplication d’autres actions, des crédits seraient disponibles. Le problème est essentiellement politique. Une fois, l’issue trouvée, l’économique et financier n’est pas difficile à résoudre ».

Ghannouchi, capable de sceller un compromis ?

Cette même analyse sur le blocage politique en Tunisie, alors que les crédits peuvent être mobilisés, est partagées un peu partout dans les capitales occidentales. Beaucoup estiment que le modèle du printemps arabe ne semble plus voué au succès jadis escompté par Washington et ses alliés. Ayant échoué partout ailleurs (Egypte, Libye, etc.), son concept de base ne subsiste plus qu’en Tunisie dans l’attente d’une démonstration d’efficience. Le chef d’Ennahdha, Rached Ghannouchi en est pleinement conscient et se déploie pour en apporter la preuve. Ses premières réponses de principe aux  demandes de démission du gouvernement s’inscrivent dans ce sens, bien qu’elles aient été rapidement « recadrées » par les siens.

Aussi, en allant voir à Paris le leader de Nidaa Tounes, Béji Caïd Essebsi, et au-delà de toutes les supputations d’accords conclus, il voulait surtout envoyer un message d’ouverture à toutes les forces significatives dans le pays. Parviendra-t-il à entrainer ses partisans vers les concessions nécessaires  et sceller avec l’opposition un compromis salutaire ? Le peu d’intérêt encore porté par les grandes capitales à la Tunisie est braqué sur ce compromis.

Taoufik Habaieb