News - 06.09.2013

Ouided Bouchammaoui: L'UTICA devient incontournable

«Nous ne pouvons pas demander au nouveau gouvernement des miracles, mais au moins de restaurer la sécurité, de s’attaquer à la contrebande et à l’économie parallèle et de relancer l’économie ». La présidente de l’UTICA, Ouided Bouchammaoui,  est montée au créneau en faisant porter la responsabilité de la gravité de la situation au gouvernement et à l’Assemblée nationale constituante. Dans une motion votée par son conseil administratif, la centrale patronale sort pour la première fois, depuis sa création il y a 66 ans, de sa réserve politique, et réclame la formation d’un gouvernement de compétences nationales, fixant une date butoir aux travaux de l’ANC et exigeant un calendrier électoral clair. La convergence avec l’UGTT est totale. De quoi déclencher contre Ouided Bouchammaoui et l’UTICA une forte campagne de dénigrement qui a fini par s’apaiser.

Avec la Ligue tunisienne des droits de l’Homme et l’Ordre des avocats, les deux centrales historiques formulent une initiative de sortie de crise qu’ils soumettent à l’ensemble des parties concernées en plateforme de base pour aboutir à un accord salutaire. Investis au centre des consultations, concertations et négociations, les quatre parrains de cette initiative ont la lourde tâche de rapprocher les positions pour faire enclencher le « dialogue national ».

Ouided Bouchammaoui a désormais pris l’habitude de se rendre Place M’Hamed-Ali, siège de l’UGTT, pour se réunir avec ses partenaires. Mais aussi de recevoir, Cité El Khadhra, siège de l’UTICA, les dirigeants des partis politiques. On a vu y défiler Rached Ghannouchi, Hamadi Jebali,  Hamma Hammami,  Samir Taieb à la tête d’une délégation de sit-inneurs du Bardo et de nombreuses autres personnalités politiques de différents bords. Prêtant l’oreille à ses visiteurs, elle a constamment souligné l’indépendance de la centrale patronale et plaidé en faveur de ses revendications face à l’urgence de la situation. Ses interlocuteurs découvrent en elle, derrière sa sérénité et son ton mesuré, une grande fermeté et une réelle détermination. S’est-elle trop rapprochée de l’opposition, notamment celle bien ancrée à gauche ? «Nous ne sommes ni avec l’opposition, ni avec le gouvernement, balaie-t-elle d’un revers de la main. Nous sommes une organisation patronale indépendante, soucieuse de faire entendre sa voix». Bouchammaoui plaide pour un super-ministère de l’Economie et des Finances  au sein du nouveau gouvernement, avec à sa tête une grande personnalité de haute compétence et appelle à une grande réconciliation nationale, sauf pour des crimes commis, et étendue à tous ceux qui n’ont fait qu’exécuter des ordres reçus sans se compromettre ni en tirer un profit personnel ! Interview.

Vos prises de position  politiques n’ont pas manqué de surprendre?

Pas ceux qui suivent de près nos activités et débats. En fait, l’initiative de l’UTICA est l’aboutissement d’une série d’alertes quant à la détérioration continue de la situation économique et de mises en garde adressées au gouvernement face à la gravité de la situation. Le 15 décembre dernier, nous avons tenu une conférence nationale sur l’économie informelle et la contrebande, suivie le 11 mai d’un congrès national pour la relance économique, en présence des trois présidents, dressant un tableau réel de l’état des lieux et réitérant un cri d’alarme que tous devaient écouter. La paralysie, début juillet, du port de Radès pendant cinq jours, fait inhabituel dans le monde entier et aux lourds préjudices pour nos opérateurs économiques, s’est ajoutée à l’exacerbation générale.

Nous n’avons cessé de réclamer des ministres compétents et efficaces. Nombre d’entre eux se soucient beaucoup plus de leurs propres agendas politiques que de la gestion de leur ministère. Vous voyez le résultat.

Sans recevoir des signaux concrets du gouvernement?

Nous savions que nous ne pouvions pas demander au gouvernement d’éradiquer les problèmes structurels hérités, mais au moins qu’on résolve les urgences pour débloquer la situation et déclencher l’investissement. Nous avons épuisé notre capacité de rassurer nos adhérents et de les faire patienter davantage. La réunion du conseil administratif le 25 juillet coïncidant avec le soir même de l’assassinat de Mohamed Brahmi fut très animée.

Les présents étaient quasiment unanimes à faire endosser au gouvernement et à l’Assemblée nationale constituante la responsabilité de l’échec général et plus particulièrement l’enlisement de l’économie et la détérioration de la sécurité. Le conseil était prêt à aller plus loin que cette dénonciation.

La deuxième réunion du conseil le 29 juillet 2013, après le carnage du Chaâmbi, s’est-elle tenue dans la même ambiance?

Ce fut une réunion décisive, marquée par de vives interventions et des débats houleux. Un projet de motion était soumis et nous avons dû passer au vote pour l’adopter. Ce fut pour nous tous le moment ou jamais pour l’UTICA de prendre une décision à la mesure du contexte que vit la Tunisie. Nos revendications sont claires : création d’un gouvernement restreint de compétences nationales, revoir les récentes affectations dans l’administration tunisienne, poursuivre les travaux de l’Assemblée nationale constituante dans un délai ne dépassant pas le 23 octobre 2013, et charger un comité d’experts spécialisés de revoir le dernier projet de  constitution avant de le passer à l’ANC pour adoption dans les plus brefs délais, et arrêter un calendrier fixe pour les prochaines échéances électorales.

Pour la première fois depuis sa création en 1947, l’UTICA s’engage en politique et prend des positions aussi tranchées...

C’est le contexte qui l’impose. Nous n’avons pas le droit  de garder le silence et de  fuir nos responsabilités.

D’ailleurs, vous vous retrouvez sur la même ligne que l’UGTT ?

Nos intérêts sont convergents. Servir l’intérêt national, éviter à la Tunisie une grave crise qui risque de tout emporter, préserver l’entreprise, protéger les emplois, appeler à la restauration de la sécurité et à la relance de l’économie : autant d’impératifs que nous partageons ensemble. Il faut dire que nous avons trouvé en l’UGTT un partenaire social solidaire. Le courant passe très bien entre nos équipes. Hassine Abbassi est un homme intègre qui tient sa parole.

Quitte à vous attirer des campagnes de dénigrement?

Oui, au départ, menaces et insultes se sont multipliées par divers moyens  pour nous intimider et nous dissuader d’assumer notre responsabilité. Ils veulent d’une UTICA soumise et pas d’un patronat fort, représentatif, indépendant et agissant. Maintenant, avec notre ténacité et notre persévérance, notre initiative, partagée avec l’UGTT, la LTDH et l’Ordre des avocats,  s’est révélée la plus appropriée.

Comment voyez-vous l’architecture du nouveau gouvernement ?

Nous avons besoin d’un super-ministère de l’Economie et des Finances, confié à  une personnalité reconnue pour sa haute compétence, qui sera secondée par des ministres délégués.

Avez-vous  des candidats à proposer?

Nous n’avons pas de noms à avancer. Si nous avons confiance dans le futur chef de gouvernement, c’est à lui de choisir son équipe.

Quelles mesures urgentes demanderiez-vous au futur gouvernement de prendre?

D’abord, assurer la sécurité dans le pays, s’attaquer à la contrebande et  à l’économie parallèle. Mais aussi, arrêter tout de suite les nouvelles nominations et réviser immédiatement toutes celles prises précédemment, quitte à remonter au 14 janvier 2011.

Nous savons tous qu’on ne peut pas demander à ce gouvernement des miracles ou de grandes réformes. Mais, il peut prendre sur le plan économique et financier une série de mesures urgentes à même de produire des effets bénéfiques. Je pense surtout aux petits métiers, aux très petites entreprises, aux PME qui attendent depuis longtemps l’assouplissement de la réglementation et des mesures incitatives en leur faveur. Je pense aussi aux régions intérieures impatientes de recevoir les premiers investissements. Il y a aussi ce dispositif de partenariat public-privé à activer afin de permettre aux investisseurs étrangers d’y participer et surtout de déclencher la mise en œuvre de grands projets à haute densité d’emplois.

Quant aux grands dossiers de la Caisse de compensation, de l’énergie et autres maux profonds, si on ne peut pas les résoudre illico presto, il appartient au futur gouvernement de préparer les plateformes appropriées pour leur analyse et l’élaboration des pistes de solution.

Voilà un vaste programme. La politique ne vous tente-t-elle pas?

Si j’ai un rôle à jouer, c’est au sein de l’UTICA. Ma mission est de faire entendre la voix de nos adhérents. Si on a critiqué le gouvernement, ce n’est pas pour prendre sa place, mais pour exprimer notre position et faire aboutir nos revendications.

Que diriez-vous aux futurs gouvernants?

Rien ne peut se faire sans une confiance et un respect mutuels entre toutes les parties. Nous devons travailler ensemble pour réussir cette délicate transition et sauver notre économie. Pour cela, il faut cesser de diaboliser l’homme d’affaires. L’entrepreneur ne mérite pas cela. Nous devons lui redonner confiance en lui-même et l’encourager à investir et à gagner de l’argent. C’est ainsi qu’il pourra créer des emplois et de la richesse.

Que pensez-vous de la justice transitionnelle?

J’opterai en faveur d’une grande réconciliation générale immédiate,  sauf pour les crimes commis. Nous avons besoin de restaurer un climat de confiance et de remettre tous les Tunisiens au travail. Ceux qui n’ont fait qu’exécuter des ordres reçus, sans s’en mettre plein les poches, ne doivent pas être poursuivis en justice. Cette réconciliation générale ne doit pas se limiter à la période antérieure au 14 janvier 2011 mais doit s’étendre jusqu’à ce jour. Nous devons savoir tourner la page pour avancer tous ensemble.

Vous êtes optimiste quant à l’avenir immédiat ?

Le contexte est extrêmement délicat. Mais, il va falloir garder espoir. Grand espoir.