La Tunisie sens dessus dessous !
Une expression familière qui écrite convenablement évoque une inversion de repères, d’objectifs. Plus d’un s’y trompe en substituant « sens » par « sans », une locution qui alors suggérerait une absence totale de visées, de jalons. Mais voilà, cette seconde expression qui serait fort utile pour décrire notre situation, n’existe pas en français ! Une langue truffée, -comme nulle autre pareille-, de subtilités hermétiques et nébuleuses.
De quoi donner raison à ceux qui demandent son abandon et son remplacement par l’anglais. Toutefois cette expression rhétorique a une puissance figurative certaine. Elle peut simultanément désigner, représenter, incarner les vicissitudes, les revers, les afflictions, que connaît le pays depuis quelques temps. En termes simples, des coups du sort qui se transforment, -eu égard à ce qui était espéré-, en cruauté du sort.
La liste des tribulations et des calamités est bien trop longue. Une constitution en panne. Un gouvernement de ministres dépités qui claquent les portes de studios TV, courroucés, qui poursuivent en justice pour de vagues insultes, irascibles, qui font arrêter patrons de presse. Une atmosphère délétère qui ayant envahi l’espace politique se propage à la sphère publique.
L’INS fait œuvre de falsification délibérée des réalités de la situation économique et sociale, au point que l’Utica menace, -par l’entremise de sa présidente très exaspérée-, de dévoiler les supercheries, de rendre public les données crues discordantes et dissonantes. Un gouverneur, d’une BCT aux abois, qui courre le monde, pour sauver ce qui peut encore l’être mais qui perd son sang-froid légendaire à la vue de critiques irrécusables. Bien d’autres choses encore qui révèlent l’écart grandissant, irréconciliable, entre d’une part des attentes simples de travail, de conditions d’existence dignes, de libertés recouvrées et d’autre part, une troïka, ses déboires, infortunes et insuccès qui au fil du temps se sont transformés en débâcle avant de finir en déroute. N’en déplaisent à certains celle-ci aura bien lieu. Nul besoin de mentionner d’autres faits saillants comme l’instrumentalisation délibérée de groupuscules violents, l’inertie face à des crimes odieux, ou bien encore le désir puissant de prendre le contrôle des appareils d’Etat. Une tentative de main mise qui rappelle à beaucoup de trop mauvais souvenirs.
Trop peu, trop tard a dit l’un, la goutte qui fait déborder le vase a dit l’autre, au point pourrions nous dire que le pays est à l’arrêt. Pas tout à fait ! Seules les institutions le sont réellement. Alors il faut croire que la rentrée sera chaude, riche en péripéties et rebondissements.
Qui bouclera le budget ? Qui décidera d’une loi de finances complémentaire ? Un gouvernement de compétences nationales, telle paraît être la terminologie consacrée du moment. Reste à trouver ces personnalités dites : « compétentes, expérimentées, à la moralité irréprochable, désintéressés, libre de toute allégeance, au dessus de tout soupçon, au dessus des partis…des oiseaux rares, convenons-en ! A moins que cela ne soit jamais qu’un habillage dont au fond personne ne serait véritablement dupe, pas même les dirigeants du parti dominant. Un homme, des hommes providentiels !
D’évidence, ils ne vont pas se bousculer au portillon ! 12 à 18 mois, peut être moins, cible de toutes les critiques et pour quelles gratifications ? L’impossibilité de se présenter aux futures élections, voire l’improbabilité d’être reconduit à un poste ministériel ; de quoi tout de même faire réfléchir ! Des noms circulent bien évidemment, mais les intéressés eux restent dubitatifs, sceptiques et hésitants. Un ex cacique de l’ancien régime ? Un ex gouverneur de la BCT ? On aura observé la disparition fortuite, le non-usage momentané de la référence langagière au terme de «technocrate », notant cependant et au passage que ces compétences seront issues des grandes écoles ou des grands corps, de la haute fonction publique. Suivez mon regard ! Elitisme quand tu nous tiens !
Dans cet imbroglio de légitimités, l’une légale, l’autre populaire, la prochaine, sorte de légitimité de l’excellence, propulsée sur le devant de la scène, mais issue des rapports de forces du moment…Il y a tout de même de quoi s’interroger sur le devenir de la prochaine étape.
Les urgences demeurent et mériteraient un traitement proprement politique en lieu et place de s’abandonner à une hypothétique et illusoire supra-rationalité de la compétence avérée…. Comprenne qui pourra !
Cacophonies, hiatus et contradictions politique et idéologique auxquelles s’ajoutent ou se superposent une crise agricole à peine divulguée, une dévaluation qui n’a plus rien de rampante, un recul industriel manifeste, sans parler du creusement inexorable, sévère et sourd, de nos déficits extérieur, public, parapublic. Sens dessus dessous vous dit-on !
Une impéritie, une ignorance perfide des élites politiques qui confinent à l’entêtement aveugle et à l’inconséquence redoutable que les choses peuvent attendre. Des droits inscrits dans le marbre d’une constitution, qu’un régime politique soit précisé, qu’un code électoral soit édicté, qu’un calendrier définitif soit décidé ; pas sorti de l’auberge.
Une solution de répit, de rémission, qui présente l’avantage du placebo: celui de calmer les tensions exacerbées des derniers temps (et de reporter à plus tard la résorption de ces contradictions) mais qui n’en reflète pas moins aussi des paradoxes insolubles: des louanges (suspectes) à ce qu’il convient d’appeler une dépolitisation provisoire du politique, sous couvert de « raison triomphante ». Une sorte de rhétorique à rebours célébrant les mérites de l'apolitisme et de ses prodiges de consensualité par des politiques qui le sont jusqu’au bout des ongles. On croit rêver!
Décidemment ce pays ne veut rien faire comme les autres.
Nous ne sommes pas au bout de nos surprises !!!
Hédi Sraieb,
Docteur d’Etat en économie du développement.