Rage, paludisme, incendies … crise politique mais aussi crise environnementale
Une crise chasse l’autre. Après les cas de paludisme dans le voisinage de l’aéroport de la capitale au mois de juin dernier, voilà maintenant que la rage fait la une des médias.
Dans le silence assourdissant des autorités et de l’establishment médical et vétérinaire. Il est vrai que les deux médecins à la tête de l’Etat et les autres toubibs membres du gouvernement ont trop à faire avec les tractations politiciennes actuelles pour s’occuper de cette « futilité » : un pauvre berger de Sejnane est passé de vie à trépas après avoir été mordu par une brebis, contaminée probablement par un chien errant.
Comme on est loin des déclarations casuistes et jésuitiques de MM. Rached Ghannouchi et du Dr Abdellatif Mekki ou des effets de manche et des péroraisons bien senties des autres acteurs politiques ! Un cas de rage au gouvernorat de Bizerte ! La belle affaire, diront ceux qui visent un maroquin ou ceux dont l’horizon est la prochaine élection, dans « ce monde politique somnambule » (Edgar Morin)! Espérons que le nouveau gouverneur de Bizerte, M. Ridha Lahouel, inscrive en haut de ses priorités, cette question ainsi que celles relatives à l’environnement dans une région qui n’en manque pas hélas !
La rage ! Il s’agit pourtant d’un terrible symptôme du lamentable état de l’environnement du pays. Mais comme dit la sagesse populaire chez nous : « L’oued emporte la vieille… »
Le vieux dictionnaire Littré définit ainsi cette grave affection: « Maladie particulière au genre chien, qui se caractérise par le désir de mordre, des accès de fureur et une salive propre à inoculer la maladie. L’horreur des liquides n’est pas constante dans la rage. La rage inoculée à l’homme par une morsure ne se guérit, quoi qu’on en dise, par aucun remède… » Plus récent, le Lexis précise : « Maladie virulente, transmissible des animaux à l’homme, et caractérisée par des phénomènes d’excitation, puis de la paralysie et enfin la mort. » La rage est, de nos jours, la caractéristique des pays les plus pauvres d’Afrique et d’Asie. Il semblerait que, sur ce plan, nous rejoignions cette cohorte des damnés de la terre. Pourquoi ?
Parce que notre environnement se dégrade dans l’indifférence générale. Quelle meilleure preuve de cette indifférence coupable que la disparition, dans le gouvernement de M. Ali Laareyad, du Ministère de l’Environnement?
Les chiens errants forment des meutes menaçantes qui rôdent du nord au sud du pays, la capitale même n’échappant pas à cette invasion canine. Un mien ami a dû patienter de longues minutes, dans sa voiture, devant chez lui, à El Manar, avant de pouvoir accéder à son domicile : des molosses hirsutes, crocs dehors, lui en interdisaient l’entrée. Dans la plupart de nos villes, les aboiements nocturnes de ces chiens perturbent le sommeil de tous. Il n’y a pas si longtemps, à Tunis, comme dans les grandes villes, des équipes municipales faisaient la chasse aux chiens errants. Il faut réactiver ces équipes. Il faut amplifier les campagnes nationales de vaccination antirabique. Il faut enfin obliger les propriétaires de chien à les tatouer afin de pouvoir en faire le suivi. Il faut réactiver la Société Protectrice des Animaux (SPA) et lui donner les moyens nécessaires. Il faut enfin sensibiliser la population aux dangers de ces chiens et lui apprendre les premiers gestes à faire en cas de morsure et à reconnaître les animaux enragés (bave, difficultés à déglutir, phobie de l’eau…). Il faut enfin que tous sachent que la rage est toujours mortelle et n’a point de remède… même si le vaccin, lui, a été mis au point, dès 1885, par le chimiste Louis Pasteur.
La rage est un marqueur de l’état de notre environnement. Elle s’inscrit en droite ligne des nombreuses manifestations qui en disent long sur la détérioration inacceptable et honteuse de notre milieu : les incendies qui ravagent nos forêts, la pollution du bassin minier – mise en exergue par un tout récent colloque à Metlaoui - et les ordures ménagères qui « ornent » le moindre coin du territoire et même les plages… jonchées de couches de bébé usagées, de canettes et de reliefs de repas !
Nos compatriotes passent beaucoup de temps à se plaindre des moustiques mais nombreux sont ceux qui jettent négligemment leurs ordures dans (et autour) de ces affreux conteneurs - conteneurs jamais nettoyés et toujours ouverts - véritables bouillons de culture et gîtes pour toutes les vermines : mouches, cafards, rats et bien entendu chiens et chats errants. Et c’est ainsi que le Tunisien se voit contraint de recourir, tête baissée, aux insecticides, aux raticides et autres produits chimiques qui grèvent le budget des ménages et introduisent souvent des molécules toxiques dans l’environnement du bébé, de la femme enceinte et du vieillard avec, au final - cerise sur le gâteau - la résistance des vecteurs aux pesticides et à toute forme de lutte chimique. Quelques gestes de bon sens et un traitement correct des ordures ménagères lui auraient évité ces dépenses superflues et ces graves désagréments.
Les psychologues et les spécialistes des sciences du comportement devront nous dire un jour pourquoi le Tunisien se conduit ainsi, lui qui crie si souvent et si fort son amour de la patrie, sur l’Avenue, au Bardo et ailleurs. Schizophrénie collective ? Du temps de Ben Ali, le laisser-aller des municipalités pouvait être attribué au fait que ses membres n’avaient de compte à rendre qu’au locataire de Carthage et que l’opinion de leurs concitoyens n’avait aucune valeur. Mais aujourd’hui, les délégations spéciales – souvent dominées par les nahdaouis qui savent pourtant que « Propreté est Islam » - sont censées être au service du citoyen. Pourtant, rien ne change et la lèpre de la pollution et des ordures continue à défigurer les villes et les campagnes… comme si le 14 janvier 2011 de la Dignité n’avait jamais eu lieu. C’est pourquoi lundi 26 août 2013, les militants de Sfax vont réclamer la démission de la délégation spéciale de la capitale du sud.
Il est clair que les élections municipales doivent se tenir au plus vite. C’est aussi urgent que les présidentielles et les législatives. Sinon le tsunami des ordures risque de nous emporter tous au moyen de la rage, de la peste et du choléra ! En attendant, pourquoi ne pas mobiliser les jeunes, les scouts, les retraités… pour faire face à ce chaos ? Pourquoi ne pas provoquer un mouvement populaire contre ce tsunami ?
A l’heure où fleurissent les Fronts et les Comités politiques et politiciens, il est urgent de créer un large « Front du Salut Public en faveur de l’environnement » pour protéger notre bien le plus précieux : notre environnement- Mère Nature- qui pourvoit à notre pain quotidien et commande notre bien-être et notre santé. Nous devons transmettre, en bon état, aux générations montantes une Tunisie dans laquelle personne – vétérinaire ou berger - ne mourra victime de la rage.