News - 13.08.2013
Tunisie: Stratégies de Conflits ou Stratégies de Coopération ?
La Tunisie vit ces jours-ci sous les feux d’une crise politique sans précédent. Alors que le parti majoritaire au pouvoir, Ennahdha, veut sauver la face en sauvegardant son gouvernement ou du moins son chef de gouvernement, l’opposition, soutenue par plusieurs organisations nationales (UGTT, UTICA…), fait pression pour la dissolution du gouvernement, pour les plus souples, et de toutes les institutions émanant des élections du 23 Octobre, pour les plus radicaux. Loin des intérêts politiques partisans, cet article propose une analyse objective de la situation politique de la Tunisie dans un cadre d’un modèle de théorie des jeux.
Un modèle de théorie des jeux est un cadre d’analyse qui permet d’envisager les différents scénarios possibles lorsque deux parties prenantes, dans notre cas Ennahdha et l’opposition, ont des intérêts différents, voire opposés. Il présente comme résultante une situation d’équilibre entre les stratégies des deux parties. Cette situation d’équilibre ne serait pas forcément un optimum, elle ne serait pas la meilleure pour le bien du pays. Ce type de modèles distingue entre les stratégies dites de conflits où chacun des acteurs défend uniquement ses intérêts et les intérêts de ses partisans et les stratégies de coopération où les parties politiques se mettent sur la
table pour trouver une solution commune.
La stratégie de conflit : Tout le monde est perdant
Initialement, les partis optent pour des stratégies de conflits. Dans ce cadre, ils ont le choix entre deux solutions : une solution qui privilégie l’intérêt du pays et une autre qui privilégie l’intérêt de leurs partisans. Par « intérêt », on entend bien évidemment des intérêts économiques, politiques et idéologiques d’un parti politique donné, quel qu’il soit. Bien évidemment, la Tunisie maximisera son gain, si chaque parti politique privilégie l’intérêt du pays par rapport à son intérêt partisan. Cependant, ce résultat est loin d’être évident. En effet, chaque parti politique, par jeu d’anticipation, prévoit que l’autre choisisse l’intérêt de ses partisans et réagit en conséquence en faveur de ses partisans à lui. Le résultat final dans ce type de configurations est fortement préjudiciable pour le pays. Les deux partis politiques campent sur leurs positions, il n’existe pas de compromis et on est dans un cadre de conflits permanents où la Tunisie est la plus grande perdante. L’Egypte vit actuellement dans une situation similaire, fortement conflictuelle, et dont l’issue est complètement imprévisible. Bien évidemment ce résultat émane d’une stratégie initiale basée sur le conflit et non la coopération.
Du conflit vers la coopération : le rôle des intermédiaires
Comment transformer la stratégie de conflit en stratégie de coopération ? La réponse nous a été donnée par l’expérience politique tunisienne depuis les élections du 23 Octobre. A chaque fois que la situation se crispe, les médias et la société civile jouent un rôle prépondérant dans l’intermédiation et l’exercice de la pression aussi bien sur Ennahdha que sur les autres partis politiques pour se mettre sur la table et trouver des solutions consensuelles (on peut aussi penser à des pressions étrangères : les Etats-Unis, le Qatar, la France…). Les expériences du débat national lancées par l’UGTT et par la présidence de la république ont montré que la pression médiatique permet de modifier les stratégies de conflits en stratégies de coopérations.
Quels sont les caractéristiques des stratégies de coopérations ? Quelles sont les tenants et les aboutissants de ce type de stratégies ? Comment la décision finale est faite ? Et comment s’assurer qu’elle soit la meilleure pour le pays ?
La stratégie de coopération : un gain pas si sûr !!
La stratégie de coopération vient généralement suite au constat fait par les partis politiques de l’échec généralisé de la stratégie de conflit. C’est ce qu’on observe aujourd’hui : après une forte résistance d’Ennahdha sur ses positions concernant l’Assemblée Nationale Constituante et le gouvernement, le parti islamiste a assoupli sa position et appelle désormais au retour à la table du dialogue, donc à la coopération. Seulement voilà, contre-intuitivement, une stratégie de coopération ne garantit pas nécessairement le meilleur résultat pour le pays. En effet, dans une stratégie de coopération, une seule décision émane de toutes les parties prenantes. Cette décision se doit de convaincre le peuple de manière à le rassurer et à répondre à ses attentes. Or à ce niveau deux problèmes se posent : comment connaître les attentes politiques dominantes du peuple tunisien? Et comment peut-on être sûr que ces attentes, ces choix sont les meilleurs pour le pays ? Tout l’enjeu de la crise politique actuelle tunisienne est dans la réponse à ces deux questions.
Le choix dominant du peuple : la fausse bonne solution
Concernant la détermination des attentes dominantes du peuple tunisien, il semble que la c’est la rue qui en décidera. C’est ce qu’on observe aussi en Egypte : Rassemblement contre rassemblement. En Tunisie, la bataille des chiffres entre le rassemblement « légétimiste » d’El Kasbah organisé par Ennahdha et le rassemblement dit du « départ » du Bardo, bat son plein. Il est cependant clair que le rassemblement du Bardo est plus fort en termes de nombre et de durabilité. Le rassemblement du 6 Août en témoigne. Cela est très facilement explicable, vu l’incapacité du gouvernement de la Troïka à assurer le développement économique escompté et à créer un climat d’apaisement et de sécurité depuis les élections. Bien au contraire, la situation ne faisait qu’empirer.
Admettons alors, à tort ou à raison, que le choix dominant du peuple tunisien est le choix des manifestants du Bardo. Le rassemblant du Bardo ne demande pas moins que la dissolution de la constituante, du gouvernement, de la présidence de la république ainsi que les autres instances issues de la constituante et de mettre en place une nouvelle feuille de route avec de nouvelles institutions. Certes, l’extrémisme de ces demandes peut être compris sous l’angle de la stratégie de négociation : demander le plus pour avoir le moins ! Demander de tout dissoudre, pour faire tomber le gouvernement et accepter de garder une ANC à pouvoirs limités. Les attentes des tunisiens étant définies, on peut alors se poser notre deuxième question : Ce choix est-il le meilleur pour la Tunisie? Théoriquement, la réponse est que le choix dominant du peuple, ou de la majorité visible, n’est pas nécessairement le bon pour le pays. Rappelons-nous que la principale exigence d’El Kasbah 2 était de créer une Assemblée Nationale Constituante. Nous savons maintenant que cette solution n’était pas la plus efficiente : la preuve, une forte majorité de la population tunisienne, comme au départ, se soulève aujourd’hui contre cette assemblée.
Dans le cadre d’une stratégie de coopération, il n’existe qu’une seule solution possible : celle qui satisfasse la volonté dominante du peuple. Toutes les autres solutions ne sont pas applicables à cause du refus de la population, même si elles seraient plus efficientes et meilleures pour le pays. Le résultat d’une stratégie de coopération dépend alors énormément des attentes de la population, de celle rassemblée au Bardo. Mais alors, de quoi dépendent les attentes dominantes du peuple tunisien ? Comment le peuple fait-il ses choix politiques, économiques, sociaux ou même idéologiques ? Comment garantir que ces choix soient les meilleurs pour le pays et non pour une frange de la population ? Le rassemblement du Bardo, n’est-il pas accusé par les islamistes d’être élitiste, bourgeois et parfois même mondain.
Education, médias et société civile : les piliers de la réussite
Là encore, dans la définition du choix dominant du peuple, l’éducation, les médias et la société civile jouent un rôle prépondérant. Un peuple éduqué, averti et encadré est un peuple qui prend les bonnes décisions. L’ordre des mots n’est pas choisi par hasard. D’abord, l’éducation pilier du capital humain, de la conscience collective et de la capacité à comprendre, à analyser et à décider. L’éducation d’une population est le résultat de l’accumulation de plusieurs générations et c’est donc un travail de long terme. Ensuite, les médias jouent le rôle de la transmission et de la banalisation de l’information. Leur rôle est prépondérant dans la formation d’une opinion publique. Les médias doivent informer la population de manière à augmenter la probabilité de choisir la bonne conjecture et réduire le risque de choisir la mauvaise conjecture. Pour ce faire, les médias doivent être autonomes, professionnels et bénéficiant d’une structure légale claire. Dans ce cadre, le rôle de la HAICA en Tunisie est vital. Enfin, la société civile joue un rôle important dans l’encadrement de la population. Ces trois composantes sont indispensables. L’absence d’un de ces piliers endommage gravement la capacité d’un peuple à opter pour les bonnes décisions. Dans la réalité tunisienne, parmi ces trois piliers l’éducation est le pilier le plus solide et le plus neutre. Cette éducation, même si dévalorisée durant les années Ben Ali, demeure parmi les meilleures d’Afrique et du monde Arabe. Quant aux médias et à la société civile, leur positionnement est sujet à questionnement. Tiraillés entre les intérêts politiques et les intérêts économiques, et en l’absence des autorités de régulation, la couverture médiatique de la politique tunisienne est à améliorer à plusieurs niveaux. Les mêmes problématiques se posent pour les associations et organisations non gouvernementales dont les sources de financement sont douteuses.
En conclusion : coopérer et sauver le pays
Pour conclure, il est clair que tous les partis politiques se dirigent vers une stratégie de coopération. Espérons que dans ce cadre ils arriveront à prendre les bonnes décisions pour la Tunisie, reconstituer l’unité nationale souffrant d’érosion, et préparer les prochaines élections dans les meilleures conditions possibles. Les stratégies de conflits, plus orientées vers les partisans, reprendront de plus belle lors des prochaines élections, si elles auront lieu. Quant aux médias, leur rôle est primordial à plusieurs égards : ils contribuent à la formation des stratégies de coopérations au lieu de conflits et aident à la constitution d’une opinion publique capable de faire les bonnes conjectures à condition de respecter la neutralité et le professionnalisme.
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Les Commentaires
fathallah m - 14-08-2013 13:26
la syrie a ete completement detruite parce qu'il faut sauver bachar. ici ennahdha veut sauver laaridh. tant pis pour la tunisie du moment que l'interet d'une personne passe avant le pays. pourquoi pas abdelfattah mourou ou samir dillou au premier ministre des gens mille fois plus intelligent et cultive. Ca n'existe que chez nous les arabes de telles stupidite' qui consiste a dire telle personne est une ligne rouge.
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