Opinions - 30.06.2013

Les états généraux de l'économie

L’état de l’économie

La présente communication s’inscrit dans le cadre du débat national sur l’état de l’économie organisé par l’UTICA à l’effet de partager le diagnostic sur la situation économique et de dégager, ensemble, avec le gouvernement, les partis politiques, les représentants de l’Assemblée nationale constituante, les partenaires sociaux, les représentants des régions, les chefs d’entreprise et, plus généralement, toutes les forces vives de la Nation, les voies pour la relance de l’économie, condition nécessaire à un développement plus inclusif, que tout le monde appelle aujourd’hui de ses vœux.

1. Les fondamentaux

L’économie tunisienne a été heurtée par la Révolution, ses multiples soubresauts, mais aussi par un environnement régional et international adverse. Après un pilotage difficile tout au long de 2011, on pouvait espérer un redressement rapide courant 2012. En réalité, l’absence de projet économique et social, la faible gouvernance des affaires publiques, le non-engagement des réformes nécessaires et l’absence d’arbitrage sur des questions majeures ont accru les vulnérabilités et les fragilités. Dans ce contexte, la plupart des fondamentaux ont souffert.

• Après une baisse de près de 2% en 2012, le PIB a rebondi en 2012 de 3,6%. Cette augmentation est fragile et insuffisante. Elle ne permet pas de créer, sur l’année, plus de 50.000 emplois économiques, soit largement en dessous de la demande additionnelle d’emplois. Elle est fragile et peut être expliquée par 3 facteurs ponctuels et peut-être non reproductibles : une meilleure tenue en 2012 des secteurs des mines et du tourisme, gravement affectés en 2011, et une forte augmentation des salaires dans la fonction publique et des dépenses sociales du gouvernement ;
• Le déficit budgétaire aura été de 5,1% du PIB en 2012, en retrait de 2% par rapport aux prévisions à cause de la très faible réalisation des projets dans les régions. Les marges de manœuvre sont réduites, étant donné la structure du budget où 67% des dépenses sont relatives aux salaires et aux transferts sociaux ;
• Le déficit commercial s’est élevé à 13,4% du PIB en 2012 contre 10,3% en 2011, soit un niveau jamais atteint. Le déficit courant s’est situé autour de 8% du PIB et l’endettement extérieur total est estimé par la Banque mondiale à 52,6% du PIB en 2012 avec des prévisions d’évolution à la hausse sur les 2 ou 3 prochaines années;
• Corrélativement à cela, la situation des réserves de change s’est dégradée et la couverture des 100 jours d’importations n’est tenue que grâce à des tirages récurrents sur de nouvelles lignes de crédit. Le taux de change s’en est ressenti, voyant la parité du dinar se dégrader à un rythme accéléré, surtout depuis le début de l’année en cours; ce mouvement devant probablement s’approfondir sur les prochaines années, au nom d’une gestion plus flexible du taux de change, comme cela vient d’être négocié avec le FMI;
• L’économie est de plus en plus liquide : elle relève de ce qui est communément appelé cash economy. Après les retraits massifs d’argent des banques en 2011, retraits qui n’ont jamais retrouvé le chemin des guichets, on assiste à une explosion de l’économie informelle, de l’économie souterraine, et des circuits courts, à l’image des produits agricoles, évitant les marchés de gros, les intermédiaires et le paiement des taxes et des redevances;
• L’épargne nationale a fondu, passant de 21,2% en 2010 à 16,6% en 2011 et 15,5% en 2012. Elle restera en 2016 à 20,5% à un niveau inférieur à celui de 2010 !
• Le chômage s’élève à 16,7% de la population active en 2012 contre 13% avant la Révolution. Son aggravation traduit l’incapacité du modèle économique à faire face à ce phénomène, quantitativement et qualitativement. L’amélioration annoncée en 2012 est relative aux recrutements dans la fonction publique et au probable retour en Libye d’une partie des demandeurs d’emploi.
D’après des études récentes, réalisées conjointement entre le gouvernement tunisien et la Banque africaine de développement, la croissance potentielle générée par le modèle économique hérité plafonne à 4,9% l’an, créant un maximum de 70 000 emplois par an, contre une arrivée de 90 000 nouveaux demandeurs d’emploi par an, soit une aggravation annoncée du chômage d’un minimum de 20 000 candidats supplémentaires tous les ans. Qualitativement, cela ne va pas mieux : la structure de l’économie tunisienne présente un taux d’encadrement de l’ordre de 10%, créant près de 7 000 emplois de cadres par an,  face à  l’arrivée de diplômés de l’enseignement supérieur sur le marché de quelque 80 000 par an, laissant le solde d’un minimum de 72 000 par an au chômage ou dans un emploi sous-qualifié et insatisfaisant ;
• L’inflation connaît une évolution rapide, atteignant 6,5% en 2013 contre 5,9% en décembre 2012 et 3,5% en 2011. Elle est portée par les prix des produits alimentaires et par les facilités de crédit à la consommation. Elle est structurelle, car une part importante des prix est administrée et ne pourra pas continuellement continuer à être subventionnée. Elle mine le pouvoir d’achat des populations, lamine l’effet des augmentations salariales, érode la compétitivité des entreprises et installe une spirale infernale ;
• L’investissement connaît un fort ralentissement depuis la révolution, passant de 26,5% du PIB en 2010 à 24,1 % en 2011, 23,5% en 2012. Les projections indiquent qu’il restera à l’horizon 2016 (25,9% !) à un niveau inférieur à celui de 2010 ;
• L’investissement direct étranger a crû de 85% en 2012, tiré par des investissements essentiellement dans le secteur de l’énergie et par des opérations de cession de biens saisis. Cette situation n’est pas reproductible et n’est pas créatrice d’emplois ;
• Depuis fin 2012, la note souveraine de la Tunisie et celle de la BCT ont été doublement dégradées par la plupart des agences internationales, plaçant la Tunisie et la BCT dans la catégorie risque spéculatif et les maintenant sous observation négative. Cette accélération de la dégradation de la note souveraine de la Tunisie rend de plus en plus difficile le recours au marché financier international, en dehors des cas de garanties apportées par des gouvernements de pays tiers, à l’image des emprunts garantis par le gouvernement américain ou celui garanti par le gouvernement japonais. Dans de telles conditions, la sortie du gouvernement tunisien annoncée pour 1 milliard de dinars en sukuks risque d’être compromise.

2. L’approche sectorielle

Tous les secteurs sont touchés par le facteur risque.

L’industrie

• Textile : longtemps, premier secteur exportateur, il souffre de la concurrence asiatique et turque, de la faiblesse de son positionnement et de son incapacité à dépasser la situation de sous-traitance pour passer à la cotraitance et enfin de l’atonie de la demande européenne qui reçoit 80% de ses exportations ;
• L’industrie mécanique et électrique: très liée à l’industrie automobile européenne, elle-même en recul en 2012 de 8,2% globalement et de 13,9% en France. L’incidence sur le secteur IME tunisien aura été un recul de 1,5% en 2012.

Depuis la Révolution, ces deux secteurs ont souffert des perturbations sociales, des blocages, de la détérioration de la qualité de la production (risque d’instabilité politique et sociale). Leur avantage compétitif était jusque-là fondé sur leur capacité à livrer en Europe «just in time». Ce n’est malheureusement plus le cas avec la dégradation du climat social et sécuritaire;
• Les phosphates : ce secteur aura été fortement impacté par les grèves et blocages en tous genres. La production plafonne à 25% de son niveau de 2010, avec des effectifs 3 fois supérieurs.
La stabilité et la sécurité font encore défaut dans certaines délégations du bassin minier (Redeyef et Moularès).

Le tourisme : fortement impacté en 2011 (-50% par rapport à 2010), le secteur connaît une embellie relative en 2012: +30%. Cette embellie ne semble pas se confirmer en 2013. Les quatre premiers mois de 2013 sont en effet en retrait par rapport à ceux de 2012. Ils pâtissent du risque sécuritaire et de l’image de la Tunisie dans les médias internationaux. L’année 2012 était elle-même une année en retrait par rapport à 2010 (-35%).

Le tourisme était en crise avant la Révolution. Celle-ci a eu bon dos en jouant à l’arbre qui cache la forêt. La multiplication des visites de prédicateurs dans les régions touristiques et l’image que cela véhicule de la Tunisie ont fini par asséner au secteur des coups terribles. Le recul du tourisme impacte encore plus certaines régions que d’autres: plus de 40% de la valeur ajoutée à Djerba-Zarzis est liée au tourisme.

L’agriculture

Après 3 années de bonne pluviométrie, la saison actuelle semble plus difficile dans le centre et le sud. La Tunisie est un pays semi-désertique où la sécheresse est la règle et les bonnes années l’exception. Les règles de la statistique devraient nous amener donc à nous préparer à des années difficiles. Là aussi, l’impact régional est important : plus de 60% de la valeur ajoutée au Kef est d’origine agricole. Des risques nouveaux affectent le secteur. Ils concernent notamment le vol ou le saccage des récoltes.

L’artisanat et les métiers

Ce secteur est fortement pourvoyeur d’emplois. Sa viabilité est fortement liée à celle du secteur touristique. Il est donc normal qu’il aille mal depuis la Révolution.
Tout comme le tourisme, ce secteur était déjà essoufflé avant la Révolution: il souffrait déjà de la faiblesse du design, de la folklorisation du produit, d’une forte concurrence des produits asiatiques mais aussi d’une mauvaise gouvernance du secteur.

Le commerce

Le commerce parallèle a explosé depuis la Révolution. Il porte atteinte au commerce organisé et à l’industrie. Son développement est lié à celui des importations illégales, de la contrebande, de la contrefaçon et de la fraude. Il emploie des effectifs importants, mais l’essentiel des bénéfices sont entre les mains de ses caïds. Il met en danger la santé des populations, la sécurité des installations et les recettes de l’État. Il devrait être combattu sans réserve.
• Les services
Globalement, les secteurs marchand et non marchand représentent 60% du PIB. La croissance globale du secteur aura été de 5,3% en 2012, tirée par le tourisme +11,7%, les TIC +9,4% et les dépenses publiques (6,4%).
• Le secteur bancaire
Le secteur bancaire tunisien est émietté. Il manque de fonds propres, présente des taux de créances douteuses élevé et souffre de la faibleses de sa gouvernance. La composante publique du secteur nécessite des montants élevés pour sa recapitalisation, estimés entre 3 et 5% du PIB, soit entre 2 et 3,5 milliards de dinars.

Dans ce contexte difficile, il faut relever la résilience du secteur privé grâce, notamment, à l’export et à la Libye, ballon d’oxygène et levier fort. Mais en même temps, les entrepreneurs perdent confiance, leur moral est bas, ce qui n’incite pas à l’investissement et pourtant cela est nécessaire.

3. L’environnement international

La Tunisie s’est mue ces deux dernières années dans un environnement régional et international adverse. L’Europe, notre premier partenaire commercial, est atone, même si elle reste le premier marché mondial. La Libye, après un conflit long et meurtrier, retrouve un certain équilibre. Elle présente aujourd’hui pour la Tunisie de grands défis, mais en même temps d’immenses opportunités. Le Maghreb est un marché naturel et de proximité. Sa construction économique est une nécessité absolue, mais la mauvaise gouvernance de l’UMA empêche d’aller de l’avant. La seule instance décisionnelle au sein de l’UMA est son Conseil des présidents qui ne s’est jamais réuni depuis 1992! Et pourtant, le coût du non-Maghreb est connu de tous. Il est estimé à 2% du PIB de chacun des États le composant. L’Afrique se réveille aujourd’hui. Elle présente un immense potentiel, mais la Tunisie est handicapée face à ce continent par l’absence d’une vision politique et d’une stratégie nationale. Les handicaps sont multiples. Ils concernent la logistique, le transport aérien, l’absence de réseaux bancaires tunisiens et la faible synergie entre entreprises publiques et secteur privé…  Les pays du Golfe, présentés de plus en plus comme des partenaires privilégiés, manquent de profondeur économique et de maîtrise technologique. Ils ne peuvent en aucun cas représenter ni un débouché à nos exportations industrielles ni des marchés d’émission significatifs pour notre produit touristique.

4. Les modalités de la relance

4.1 Que faut-il faire à court terme ?

Rien ne sera possible sans la restauration de la confiance, sans l’adhésion franche de tous à un référentiel de valeurs qui nous unit, sans le rejet inconditionnel par tous du terrorisme, du crime organisé et de tout ce qui peut porter atteinte aux fondements de la République et de la Nation.

Les priorités se déclinent comme suit :
• Assurer la sécurité, la visibilité et la stabilité institutionnelle ;
• Favoriser le retour de la confiance, préalable à l’investissement et à toute prise de risque ;
• Favoriser le consensus et la solidarité ;
• Doter l’économie sociale et solidaire d’un cadre juridique favorable et veiller à son épanouissement afin de lui permettre de jouer son rôle complémentaire aux côtés des secteurs public et privé ;
• Inscrire dans la Constitution le Conseil économique, social et environnemental comme deuxième chambre consultative ;
• Reconnaître haut et fort le rôle de l’entreprise privée au cœur du processus de développement et de création d’emplois et de richesses ;
• Légiférer, en matière économique et sociale, par ordonnances, afin d’éviter les situations d’engorgement à l’ANC et de ne pas retarder l’adoption de la Constitution et des textes relatifs à l’organisation des élections ;
• Trouver rapidement un consensus pour le bassin minier de Gafsa, de manière à y restaurer la stabilité et revenir à un rythme de production normal, en adéquation avec les besoins de la région et du pays et en rapport avec le rang international de la Tunisie dans le secteur ;
• Revoir les politiques budgétaire et monétaire de manière à s’engager sur la voie du redressement des comptes publics et de la maîtrise des déficits ;
• Aller au plus vite vers les élections.
Mais aussi :
• Faire aboutir les différents chantiers en cours :
- Code des investissements
- PPP
• Respecter les engagements pris par la Tunisie vis-à-vis des differents bailleurs de fonds et notamment dans les Programmes d’appui aux réformes économiques 2011-2012 ;
• Mettre en place une instance nationale de l’investissement et y associer le secteur privé afin de statuer sur les grands projets proposés ;
• Réviser le Code des marchés publics pour dissoudre la commission supérieure des marchés, donner la priorité dans l’attribution des marchés publics à la qualité, dans le respect des budgets et réserver 30% de la commande publique aux PME ;
• Engager les discussions pour donner un véritable contenu au statut privilégié ;
• Lancer un large programme de formation complémentaire et de recyclage destiné à améliorer l’employabilité des diplômés chômeurs en direction des secteurs à fort potentiel d’emplois et de la Libye ;
• Lancer des fonds d’amorçage pour la création d’entreprises dans les régions marginalisées de l’intérieur, les faire parrainer par des pôles universitaires et en confier la gestion à des équipes professionnelles, dans le cadre du PPP ;
• Lancer 10 institutions de microfinance dans les 10 gouvernorats de l’intérieur en partenariat public-privé, dotées chacune de fonds propres de 10 millions de dinars et en confier la gestion et la responsabilité à des groupes privés à impliquer dans le capital de ces institutions ;
• Transformer le programme Amal en exigeant un travail effectif en contrepartie de la rémunération servie ;
• Lancer un large programme de lutte contre l’analphabétisme numérique, destiné à vulgariser l’usage de l’ordinateur et des technologies de l’information et permettant de créer 10 000 emplois parmi les diplômés chômeurs ;
• Procéder au remboursement du trop-perçu d’impôts et d’excédent de retenues à la source aux entreprises, sur simple présentation de comptes audités par un commissaire aux comptes agréé.

4.2. Que faut-il faire après les élections à moyen terme?

Encore une fois, rien ne sera possible sans la restauration de la confiance, en direction des citoyens, des opérateurs économiques nationaux, des investisseurs extérieurs, des partenaires internationaux et des candidats au tourisme en Tunisie. La Tunisie a perdu de son efficacité et de son positionnement international comme étant le partenaire proche, fiable et capable de répondre à des commandes de réassortiment «just in time».

La corruption, la contrebande, la contrefaçon, l’économie souterraine et l’instabilité politique et sociale génèrent des surcoûts que le consommateur local paie, mais aussi des pertes de marché à l’exportation.

Le modèle économique hérité était fondé sur la rente, le privilège et la proximité du pouvoir. La Tunisie nouvelle doit favoriser l’émergence d’une économie qui valorise le travail, la prise de risque, la valeur ajoutée et l’innovation.

Le nouveau modèle à inventer devra être social, solidaire, inclusif, durable et compétitif. Ce modèle devra être capable d’inventer de nouvelles solidarités modernes entre les régions, entre les catégories sociales et entre les générations. Il doit être capable de mobiliser toutes les forces vives de la Nation. Chacun doit s’y reconnaître, y retrouver l’essentiel de ses convictions dans la coexistence respectueuse des spécificités et des différences.

Il est urgent de lancer sans plus tarder toutes les réformes structurelles et profondes qui permettront de transformer l’économie tunisienne et de la mettre sur l’orbite de la modernité, de la solidarité et de la performance.

Seules ces transformations profondes permettront de relever les défis de l’emploi, notamment des jeunes et des diplômés.

Il ne s’agit plus pour nous de retrouver la croissance, même à des niveaux élevés, car la croissance ne fait pas le développement et ne permettra pas de résoudre structurellement le problème du chômage qui mine la cohésion sociale et la solidarité nationale.
Quelques pistes à cet effet :
• Dégager la vision : un modèle plus social, plus durable, plus performant, plus ouvert, basé sur l’innovation, la modernité, l’esprit d’entreprise et la coexistence des trois secteurs ;
• Moderniser l’administration : attirer les compétences ;
• Engager toutes les réformes :
- Banques : pour un secteur plus fort, mieux structuré, axé sur la culture du risque,
- Tourisme : assainir, revoir la gouvernance, enrichir les produits,
- Fiscalité : plus juste, plus inclusive, au service de la durabilité et de l’inclusion sociale et régionale,
- Caisse générale de compensation : pour un meilleur ciblage, une réduction du périmètre d’intervention, une revue de la gouvernance et des méthodes de gestion,
- Douane : avec l’allègement des procédures, la lutte contre la fraude et la contrebande et le contrôle a posteriori,
- Logistique : engager la mise en œuvre de la stratégie nationale en matière de logistique par la mise en place de plateformes, le désengorgement du port de Radès, la revue de sa gouvernance et l’accélération de la réalisation du projet de port en eaux profondes.
• Réformer profondément le système de formation et d’enseignement et le mettre à l’abri des tiraillements idéologiques et au cœur du projet de développement : le relever aux standards internationaux, privilégier l’acquisition des méthodes à la mémorisation des contenus, miser sur la formation des formateurs et impliquer l’entreprise dans sa gouvernance et dans l’accueil des stagiaires selon des mécanismes incitatifs à inventer ;
• Libérer les énergies : l’investissement n’est pas libre aujourd’hui, trop de secteurs restent assujettis à autorisation, les IDE restent souvent limités à 49% dans des secteurs qui n’ont rien de stratégiques ;
• Intégrer systématiquement, la solidarité, l’inclusion et la participation des populations, comme critères essentiels dans la programmation et l’évaluation des projets de développement ;
• Améliorer la compétitivité de l’entreprise : l’approche doit être par cluster : tous les intervenants doivent être impliqués dans la solution, en commençant par les opérations d’importation, en passant au dédouanement, à la production et à la mise en marché ou à l’exportation ;
• Favoriser l’ouverture économique et l’internationalisation de l’entreprise ;
• Libéraliser l’investissement privé dans les pays du Maghreb et parallèlement négocier la réciprocité avec les pays de l’UMA ;
• Mettre la diplomatie au service du développement économique ;
• Faire preuve de discernement dans le choix des investissements directs extérieurs : trop d’éléphants blancs ont été proposés par des investisseurs du Golfe sous couvert de développement thématique (sport, finances…) et qui ne sont en réalité que des projets immobiliers spéculatifs ;
• Reconvertir les réserves foncières destinées initialement aux grands projets non réalisés et les réaffecter à des fonds d’investissement à capitaux tunisiens en partenariat public-privé et à gouvernance privée pour y lancer la réalisation de plateformes intégrées destinées à recevoir des activités à haute valeur ajoutée (nearshoring, offshoring…) ;
• Donner un cadre légal et fiscal incitatif pour la participation des salariés aux résultats de leurs entreprises ;
• Veiller à une plus grande participation des populations (les jeunes, la diaspora, les femmes…) aux processus politiques, économiques et sociaux ;
• Investir dans les élites, dans l’innovation et favoriser la diffusion de la culture de l’entrepreneuriat ;
• Identifier et engager un large programme d’infrastructures destiné à désengager les régions intérieures, à interconnecter le pays à son environnement proche et à répondre aux besoins urgents des populations, notamment en matière de transport en commun, de connexion et de maillage du pays en réseau de fibres optiques à large bande, de capacités de production d’électricité, de traitement des eaux usées…,
• Assurer les conditions d’une plus grande durabilité du modèle de développement, en engageant notamment le pays dans une gestion plus économe des ressources : eau, terres, littoral, faire des énergies nouvelles et renouvelables un axe central du développement.

5. A quels risques la Tunisie doit-elle faire face?

Au-delà des risques sécuritaire et terroriste, plusieurs risques guettent la Tunisie aujourd’hui. Ils concernent notamment :
• La fuite des élites intellectuelles et des compétences: ce phénomène commence à faire son apparition. Il faut y faire attention. Un pays qui se coupe de son élite est un pays voué à la régression et à l’enfermement ;
• La clochardisation de l’économie, avec la prégnance de l’économie informelle, de la contrebande et de la contrefaçon. La tentation de céder à la démagogie et au populisme peut porter un coup fatal à la compétitivité de l’entreprise et du site Tunisie ;
• La fuite des investisseurs internationaux, mais également des entrepreneurs locaux: l’insécurité et l’instabilité politique ne favoriseront ni l’investissement national ni celui extérieur ;
• Le repli économique et identitaire: la Tunisie est un trop petit pays pour concevoir son avenir en dehors d’une plus grande insertion dans des espaces économiques plus larges et de sa capacité à soutenir la compétition internationale en matière de production de biens matériels, mais aussi de création intellectuelle, culturelle et artistique ;
• L’approfondissement de la fracture sociale: ce risque est réel si on s’entête à vouloir retrouver la croissance, sans rechercher la durabilité, l’inclusion et une plus grande association de toutes les forces vives de la Nation à toutes les étapes du développement ;
• La superposition d’une fracture idéologique à la fracture sociale: le repli identitaire et la fermeture risquent de faire apparaître une nouvelle fracture idéologique qui se superpose à la fracture sociale. L’extrémisme fleurit toujours sur fond de misère sociale et économique.

6. En conclusion

Malgré l’ampleur des problèmes et des risques qui nous guettent, il est encore possible de relever le défi.
Les chefs d’entreprise ont toujours été mobilisés à cet effet. Ils le sont plus que jamais, mais, pour retrouver la confiance et s’investir encore plus, ils réclament des signes forts, une vision, un calendrier, des politiques sectorielles et des réformes structurelles.

R.M.