Opinions - 17.04.2013

Universités tunisiennes, le présent et l'avenir

Le dernier classement des universités dans le monde, publié par 4icu.org, suscitera sûrement parmi les universitaires tunisiens un sursaut de consternation : pour l’Afrique, la première université tunisienne classée (celle de La Manouba) figure au 70e rang parmi les 100 premières, après celle de Mogadiscio.
On se dira peut-être avec un certain soulagement que ce classement, contrairement à ceux qu’effectue l’Université de Shanghai ou Times Higher Education, ne se base pas sur les résultats académiques des universités mais sur leur notoriété dans le monde, ce qui est beaucoup moins sérieux et revient à pénaliser les universités qui gèrent mal leur image.

Mais nos universités peinent-elles seulement à être visibles au regard international, ou bien ces classemements reflètent-ils le niveau académique de nos chercheurs?
Du point de vue de la visibilité, des réformes techniques simples pourraient en effet améliorer immédiatement notre  image. Conformément aux usages dans le monde,

  • Chaque chercheur publiant ses résultats devrait obligatoirement indiquer, avec son nom et le titre de sa publication, le nom de l’université à laquelle il appartient et ses coordonnées (site web de l’université, nom complet de l’université, adresse géographique, etc.). Actuellement, par manque fréquent de ces données, les universités tunisiennes sont peu visibles sur scholar.google.com qui contient toutes les publications des revues référencées.
  • Les adresses des sites académiques tunisiens devraient se conformer aux standards internationaux : nom-de-l-université.edu  comme aux Etats-Unis d’Amérique, ou bien nom-de-l-université.ac suivi du symbole du pays comme pour la plupart des autres pays dans le monde. Actuellement, nos sites sont nommés abréviation-obscure.rnu.tn (par exemple  www.uc.rnu.tn pour l’Université de Sousse !) ce qui ne permet à aucun chercheur étranger de les repérer.
  • Tout site académique devrait obligatoirement se doubler d’une version en anglais, condition sine qua non à la visibilité internationale puisque l’anglais est la seule langue universelle de communication entre les universitaires et les chercheurs.
  • Chaque site académique devrait comporter une page personnelle par enseignant-chercheur, mentionnant son adresse e-mail, ses intérêt de recherche, les matières qu’il enseigne, la liste complète des ses publications et fournissant, de préférence, une version en ligne de ses cours.

En ce qui concerne le niveau académique de nos travaux en Tunisie, nous pourrions sûrement aussi faire mieux  puisque les classements de Shanghai et du Times eux-mêmes  ne font figurer dans les 500 premières dans le monde que trois universités arabes ! Dont aucune tunisienne. Des décisions d’orientation des recherches dans notre pays peuvent être prises, des réformes de fond peuvent être mises en route, dont on verra les résultats sur le moyen et le long terme.

  • Nos chercheurs devraient donner plus d’importance au fait que leurs travaux débouchent sur beaucoup plus que l’obtention de leur diplôme de doctorat.
  • Ils devraient travailler à l’établissement de plans de recherche, par institut et pour le pays entier, qu’ils devraient présenter aux décideurs académiques et politiques de notre pays avec des pistes de réflexion. Actuellement, ni le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche, ni les universités tunisiennes, n’ont en général de politiques propres. Ils s’en remettent à ce qui se décide ailleurs, en France notamment, dans des réunions auxquelles ils ne sont pas conviés. De vastes programmes sont ainsi mis sur pied, dont ils ignorent tout (militaires par exemple) et dont ils sont la main d’œuvre partielle dans le cadre de la coopération bilatérale. Ces programmes ne conviennent pas nécessairement à nos besoins et possibilités, limitent le champ de nos recherches et entravent à la fois le niveau de nos universités et le développement de notre pays.
  • Les plans tunisiens de développement de la recherche universitaire devraient se faire avec la participation d’acteurs économiques nationaux ou étrangers, publics ou privés, qui pourraient envisager des applications économiques (commerciales, industrielles, d’équipement) et participer au financement des recherches.
  • Un meilleur financement devrait permettre d’acquérir des outillages techniques de niveau international pour les manipulations expérimentales scientifiques, d’enrichir les bibliothèques de recherche actuellement sinistrées, et en général, d’améliorer les outils de travail des étudiants et des chercheurs.
  • Nos enseignants chercheurs et nos étudiants devraient tous avoir une certaine connaissance de la langue anglaise, sans laquelle il leur est impossible de consulter les documents publiés au niveau mondial et de communiquer leurs propres travaux.  La seule maîtrise de la langue française restreint à la fois la diffusion et le niveau des travaux, comme le savent bien les chercheurs français qui, eux publient toujours en anglais.
  • La coopération de nos universités devrait s’ouvrir largement sur les universités dans le monde (échange d’étudiants, échange d’enseignants, postes de post-doc, programmes communs de recherche, échange d’expériences, ...) et dépasser l’horizon actuellement presque exclusivement limité à la France.

Ces vastes perspectives, enthousiasmantes pour nos jeunes, leur donneraient une bouffée d’oxygène qui les pousserait à amplifier leurs efforts et démultiplierait les effets de leur intelligence.

Toutes ces propositions sont réalistes et faciles à mettre en œuvre, pour peu que les universitaires, les chercheurs et les responsables administratifs et politiques de notre pays s’y impliquent. Nous qui avons réussi l’une des plus belles révolutions de l’histoire de l’humanité, qui venons de propulser notre pays dans le peloton de tête des pays démocratiques dans le monde, sommes capables de rejoindre le peloton de tête pour la qualité de nos universités.

Ahmed Bouazzi
universitaire

 

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