Voila pourquoi la Tunisie a besoin de la France
Des voix se sont élevées récemment, certaines irresponsables dans la rue, pour dénoncer la France, suite aux déclarations de Manuel Valls, le Ministre français de l’intérieur, condamnant le premier assassinat politique après la Révolution.
Certes, Sarkozy n’a pas vu venir cette Révolution et son ministre des affaires étrangères de l’époque a eu l’indécence de proposer une assistance technique répressive à l’ancien régime en pleine Révolution. Mais la France est la patrie des droits de l’homme. Elle a ouvert ses portes aux réfugiés politiques, exilés par la dictature, et dont certains sont maintenant au pouvoir. Ses intellectuels et sa presse de gauche ont soutenu le combat libérateur du peuple tunisien tout au long de la lutte anticoloniale. Contrairement à un pays comme la Belgique au Congo, la France a ouvert des écoles, dont certaines de qualité internationale, aux enfants tunisiens et a contribué à former les élites tunisiennes. Elle a ouvert ses universités aux étudiants tunisiens et africains, leur octroyant souvent des bourses pour financer leurs études. Le français, en tant que langue véhiculaire, nous a permis d’entrer de plain-pied dans le monde moderne. Cette France-là, à moins d’être ingrat, personne ne peut l’oublier.
Avec l’arrivée de la gauche française au pouvoir (Mendès France, l’auteur de la déclaration de Carthage dans laquelle il avait proclamé l’autonomie interne de la Tunisie, suivie deux ans après par l’indépendance, était un leader de gauche) nos relations devaient être au beau fixe. François Hollande, candidat, a tenu à venir en Tunisie, saluer la Révolution tunisienne. Malheureusement, ces derniers mois, les dividendes de la Révolution ont été gaspillés sous le poids des luttes politiciennes, aussi égoïstes qu’infructueuses. François Hollande, le Président, devait venir en Tunisie en visite d’Etat. Suite aux vagues de violence dont l’attaque de l’Ambassade et de l’école américaines, non seulement Angela Merkel, la chancelière allemande, mais aussi le Président français ont évité de venir. Notre diplomatie a été tellement défaillante qu’il a fallu attendre l’entretien du Secrétaire Général de l’UGTT, Houcine Abbassi, avec le ministre français des affaires étrangères à Paris pour soulever la question essentielle de la conversion de la dette française en aide au développement.
La France est le partenaire économique principal de la Tunisie. Nos exportations vers la France représentent presque le tiers de nos exportations totales. Les importations de France représentent 28% des importations totales de notre pays. Les touristes français représentent le cinquième du total des entrées et 27% des nuitées des hôtels et sont parmi les mieux payeurs, ne se contentant pas des plages, mais achetant nos produits d’artisanat et visitant nos musées.
La France, deuxième puissance européenne, constitue dans le couple franco allemand, la locomotive de l’Union européenne, avec laquelle la Tunisie a un accord d’association depuis les années 90. L’UE est le plus grand bloc économique du monde avec un PIB de 16,2 mille milliards de dollars devançant les Etats-Unis avec 15,7 mille milliards et la Chine avec 8,3 mille milliards. La plupart des entreprises du secteur offshore sont de cet espace et un grand nombre d’entre elles sont françaises. Malgré les déboires subis ces deux dernières années, ces entreprises, pour la plupart, sont restées en Tunisie et continuent d’employer une bonne partie de notre main d’œuvre. Ceci sans parler de la main d’œuvre tunisienne en France et, plus généralement en Europe, dont les transferts sont un des piliers principaux de notre balance des paiements.
La France est le premier créancier bilatéral de la Tunisie. En 2011, sur un total de 7,2 milliards de dinars de dette bilatérale, la France détient 3,4 milliards soit 47,2 %. L’Allemagne qui a, spontanément et par sympathie pour la jeune Révolution tunisienne, converti sa dette en aide au développement, a une dette de 350 millions seulement, comme l’Italie qui a une dette de 352 millions. Mais si la France convertit sa dette, non seulement cela soulagera d’une manière significative le poids de la dette extérieure mais cela donnera l’exemple au deuxième créancier bilatéral qu’est le japon avec 1,6 milliards de dinars. Cette bouffée d’air serait non seulement salutaire en diminuant les pressions sur nos réserves de change, dans les graves circonstances actuelles, mais permettrait aussi d’accélérer le rythme des investissements publics en matière d’infrastructure, d’éducation et de santé.
Faut-il rappeler ici le poids de la France, cinquième puissance économique dans le monde ? Elle occupe une place de choix aux Conseils d’administration du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. Son concours est fondamental dans l’approbation de tout programme avec le FMI dont dépendra à l’avenir tout financement multilatéral à la Tunisie.
Il est temps de donner à la France le respect et la gratitude qu’on lui doit.
Dr.Moncef Guen
Ancien Secrétaire Général du Conseil économique et social