Faut-il participer au nouveau gouvernement ?
Une personnalité tunisienne ayant été approchée pour faire partie du nouveau gouvernement a décliné et s’en explique auprès d’un ami.
Cher ami,
J’ai été sollicité et tu me demandes pourquoi je n’ai pas accepté de participer au prochain gouvernement. Permets-moi de ne pas te répondre directement et d’explorer plutôt avec toi le sens d’une telle participation et son utilité éventuelle.
Je ne fais pas partie de la majorité et si on m’a contacté, c’est soit au titre de mon appartenance à l’opposition soit à celui de mes compétences réelles ou supposées.
Dans le premier cas, cela n’a de sens que s’il s’agit d’un gouvernement d’union nationale. Toutes les forces, absolument toutes, s’uniraient pour sortir notre cher pays de l’ornière politique dans laquelle le gouvernement actuel l’a mis. Toutes les forces, du Front Populaire (Al Jebha Chaâbia) à l’Appel de la Tunisie (Nida Tounes) sans oublier Ennahdha, ses partenaires de la Troïka, le Parti Républicain (Al Joumhouri) ou El Massar. Je ne pense pas que ce soit vers cette direction que l’on s’oriente. Et si ce n’est effectivement pas le cas, quel est l’objectif de cette ouverture si ce n’est de diviser l’opposition ?
Mais peut-être as-tu raison. Ce n’est pas mon engagement politique qui est recherché mais ma compétence. Ce n’est pas de division qu’il s’agit, mais d’union même si ce n’est pas une union nationale. Appelons-là plutôt union sacrée (sans mauvais jeu de mots) pour imprimer une dynamique nouvelle à notre pays. Peut-être l’objectif n’est-il effectivement pas de sortir de l’ornière politique mais de désembourber notre économie et d’apporter de premières réponses aux attentes sociales et sociétales qui n’ont, à ce jour, reçu que des réponses en termes de charité alors que le peuple réclamait la dignité. Mais si c’est l’objectif recherché, il faudrait alors une équipe gouvernementale resserrée, soudée et d’une cohésion à toute épreuve. Une équipe de choc pour promouvoir un plan d’action globale s’attaquant de front aux sujets économiques, sociaux et sociétaux. Les attaquer tous les trois de front car ils sont intimement liés et imbriqués. Nous ne sortirons pas notre pays de cette mauvaise passe sans un nouveau contrat social, sans une refonte totale de la politique fiscale pour une meilleure politique de redistribution. Nous n’apporterons aucune ouverture sur le front du chômage si nous ne parvenions ensemble à une adéquation entre éducation, enseignement supérieur, formation professionnelle et emploi. Seule une action énergique et concertée sur ces fronts permettra d’avancer.
Nous avons déjà perdu et du temps et le momentum. Ennahdha avait la légitimité électorale et aurait été encore plus légitime, si elle s’était attelée à établir la justice sociale, mis en place les outils à même de garantir la dignité et renforcé la justice tout court. Et elle aurait pu s’appuyer sur la ferveur d’une population encore toute émue de sa participation à des élections libres, légitimement fière d’avoir insufflé un vent de liberté et une revendication de dignité à travers le monde dont les échos se sont fait sentir jusqu’à Wall Street.
Ce moment historique a été lamentablement manqué par impréparation et par des démarches politiciennes voire revanchardes et auto-centrées selon la sévérité du jugement. Pour l’instant, l’arène politique est loin d’avoir favorisé l’émergence des hommes d’Etat dont notre pays a besoin.
Aujourd’hui, on parle beaucoup d’un gouvernement de compétences. Certes la compétence est une condition nécessaire pour provoquer un sursaut de notre pays. Mais elle est loin d’être suffisante. La somme de compétences individuelles est loin d’être garante d’une compétence collective. Il y faut la cohésion !
Je reviens alors à ta question. Fallait-il accepter ? Oui ! Assurément oui, si je pensais pouvoir agir en cohésion totale avec les autres membres du gouvernement. On ne les connait pas encore ? Et pour cause, les consultations sont en cours ! Nous savons cependant de manière certaine que nombre d’entre eux seront à l’image de ce que le gouvernement actuel nous donne à voir. Fallait-il accepter ? Non, définitivement non, lorsque l’on est porteur d’une vision sociale et sociétale orthogonale à celle d’une partie importante des membres présumés de ce gouvernement. Oui ? Non ? La réponse n’est pas aisée.
Sache en tout cas, qu’il est vain de penser que l’économique pourra être traité de manière isolée, quelle que soit la compétence et la vision en la matière. Et puisque c’est sur le terrain de la compétence que la discussion a convergé, il est vain d’espérer pouvoir imposer ses conditions pour que la cohésion se fasse autour de la vision que je partage avec de nombreux autres. Dans la négociation politique, on ne pèse que du poids des troupes auxquelles on appartient. Et pour pouvoir compter sur ces dernières, ce n’est pas seulement au titre de ses compétences mais aussi et surtout au titre de son engagement partisan, de son engagement politique, que l’on doit participer. Mais comme nous l’avons vu, cela ne peut être envisagé que dans le cadre d’un gouvernement d’union nationale seul à même de retrouver ce momentum dont je parlais plus haut.
La boucle est bouclée. J’ai comme l’impression de me répéter. J’ai assumé mes responsabilités ! Je suis sûr que tu comprendras.