Quand l'ANC devient le refuge des ci-devant et des réactionnaires
Ce qui s’est passé dans notre auguste Constituante lors des discussions budgétaires tourne carrément à la farce, une farce de très mauvais goût. Passe que l’on y assiste depuis des mois à des spectacles affligeants de chamaillerie ridicule et d’obstruction systématique à toute avancée réelle sur le chemin de la rénovation. Passe encore que les membres de l’ANC s’octroient des avantages matériels sans commune mesure avec les réalités socioéconomiques. Passe encore que l’ANC étale aux yeux du monde un si haut degré de vulgarité, d’irresponsabilité et d’incompétence. Tout ça est devenu banal et triste à mourir. Mais ce qui vient de s’y passer dernièrement montre avec éclat que l’ANC est devenue, en plus, un nid de contre-révolutionnaires patentés. En effet, l’ANC a pris la décision de refuser à son propre gouvernement la levée du secret bancaire et ce pour la seconde fois dans son histoire.
Cette affaire est symbolique à plus d’un titre. Elle montre d’abord que l’ANC est peu en phase avec le gouvernement qu’elle a adoubé pourtant. Vous me direz que c’est son droit de recaler le gouvernement sur tel ou tel point, sauf que l’on ne peut pas contredire le gouvernement sur une disposition aussi capitale pour la transparence fiscale et les finances publiques. Le gouvernement a fait son devoir, sur ce point du moins, puisqu’il est arrivé à la conclusion que l’on ne peut pas exiger de l’administration fiscale qu’elle fasse son travail en lui refusant le seul moyen de vérifier l’état réel du patrimoine et des revenus de tout un chacun. Elle montre ensuite que c’est l’ANC qui s’institue en défenseur du vol et de l’iniquité fiscale. Autrement dit, c’est l’ANC qui est devenue le principal foyer de réaction dans notre pays et la source de blocage à toute réalisation des objectifs fondamentaux de la révolution tunisienne.
Vous me direz pourquoi insister sur cet aspect de la politique économique et financière du pays alors que toute la politique de la troïka est à condamner. Pourquoi faire ressortir du lot une décision qui reste méconnue ou insignifiante pour beaucoup de nos concitoyens ? J’ai eu l’occasion d’écrire et de démontrer que sans réforme fiscale, rien, absolument rien ne peut changer dans notre pays. J’ai aussi eu l’occasion de montrer qu’en matière fiscale, il ne s’agit pas simplement d’équité, encore que l’équité compte considérablement sur le plan politique et psychologique. Le fond de la question est essentiellement économique et donc social. Dans le cas d’une fuite fiscale systématique et avérée de la part des gros revenus, ce qui est le cas, l’Etat « compense » le manque à gagner par l’alourdissement des impôts indirects frappant aveuglement l’ensemble des revenus, les plus modestes tout particulièrement, ou bien encore par l’endettement public ou par l’amoindrissement des dépenses d’investissement ainsi que par une taxation disproportionnée des vrais « producteurs » de richesse. Dans un cas comme dans l’autre, ce sont les revenus moyens et modestes (les salariés et retraités à 75%), la production et l’emploi qui en souffrent le plus.
Se pose alors une question fondamentale: pourquoi fallait-il instaurer la levée du secret bancaire. De l’avis général, l’administration fiscale ne peut évaluer correctement l’assiette fiscale d’un contribuable si elle n’a pas accès le cas échéant à ses comptes bancaires. Ce n’est pas d’une inquisition fiscale qu’il s’agit en l’occurrence, mais du simple bon sens. Tous les pays modernes, les USA, les pays de l’Europe et même du G20 exigent ou appliquent une telle disposition. De l’avis général aussi, le blanchiment de l’argent sale devient problématique dans un pays où le secret bancaire est levé. Certains défenseurs du secret bancaire m’objecteront que sans ce secret, le pays coure le risque d’une fuite de capitaux doublée d’une désaffection des IDE, les investissements directs étrangers. Rien n’est plus faux. Posez la question aux investisseurs étrangers et ils vous répondront, au contraire, que le manque de transparence fiscale a constitué jusqu’ici plus un handicap qu’à un avantage pour la Tunisie. Quant aux « nationaux » désireux d’exercer un chantage sur leurs concitoyens, la dissimulation ou le départ, il est temps peut être de leur répondre, résolument, que la Tunisie vaut bien un sacrifice, si sacrifice il y a puisque payer ses impôts n’est ni plus ni moins qu’un devoir civique élémentaire et non un sacrifice.
D’habitude, les représentations nationales sont en avance en matière fiscale par rapport aux gouvernements. Mais dans notre cas, c’est plutôt le contraire. Rien n’est plus normal en fait pour une assemblée où les accaparateurs et les inconscients sont légion.
Habib Touhami