Nouvelle mobilisation de solidarité avec le Doyen Kazdaghli
Le procès du Doyen Habib Kazdaghli reprendra le jeudi 3 janvier 2013 et avec lui le travail de Sisyphe des syndicalistes tunisiens, des militants de la société civile et des instances académiques plus que jamais solidaires de cet universitaire, devenu depuis une année un emblème de la défense des libertés académiques, et plus que jamais déterminés à faire partager à l’opinion publique et au monde entier leur conviction qu’il est innocent, que sa mise en examen est inique et qu’elle vise à éliminer de la scène universitaire, surtout après la requalification des charges retenues contre lui, un farouche défenseur des valeurs académiques et de toutes les libertés. De fait, les responsables universitaires syndicaux et les militants associatifs n’ont pas chômé pendant ces vacances scolaires pour reprendre la mobilisation et préparer de nouvelles actions de solidarité avec le doyen de la FLAHM.
La solidarité des doyens des institutions des lettres et des sciences humaines
La première réaction est venue de la conférence périodique des doyens des facultés de lettres et sciences humaines du pays. Ces derniers, réunis à Sousse le 19 décembre 2012, expriment, dans une déclaration publiée par l’Agence TAP le 28 décembre 2012, « leur confiance dans l’indépendance de la justice » mais aussi leur inquiétude devant les tentatives « d’instrumentalisation politique » de l’affaire de leur collègue Habib Kazdaghli et considèrent que la longueur du procès, qui traîne et se poursuit même après l’achèvement du premier semestre de l’année universitaire, constitue « une menace flagrante pour l’exercice des libertés académiques et une atteinte délibérée à l’autorité décanale qui représente l’éminent prestige de l’université et des universitaires ». Ils déplorent l’ambiance délétère dans laquelle ils travaillent et qui est caractérisée, en général, par la violence et le désordre provoqués par certaines parties estudiantines rebelles au respect du règlement intérieur et des directives émanant des conseils scientifiques. Ils mettent l’accent en particulier, sur « les pressions et les violences perpétrées par des groupes d'extrémistes religieux tout au long de l'année dernière à l'encontre des enseignants, du doyen et des étudiants de la faculté des lettres de la Manouba ». Ils rappellent « l’impossibilité dans laquelle ils se trouvent de poursuivre leur travail dans des conditions pareilles qui dilapident leur énergie et qui s’accompagnent de menaces quotidiennes pour leurs vies et leur sécurité personnelle » d’autant que leurs doléances ne trouvent pas d’écho auprès du ministère qui refuse «d'engager un dialogue véritable et une réflexion concernant les difficultés rencontrées ».
La mobilisation du milieu associatif
Le bureau élargi de l’Association tunisienne des valeurs universitaires (ATDVU) qui comprend, outre les membres du bureau de l’association, les représentants des associations et organisations concernées par la défense de l’autonomie institutionnelle et des libertés académiques et particulièrement le Forum universitaire tunisien (FUT), l’Observatoire des libertés académiques, l’association de défense des libertés académiques et de la création, réuni le 20 décembre 2012 pour préparer la mobilisation en prévision de l’audience du 3 janvier 2013, a publié un manifeste rapidement relayé par le tissu associatif et adopté par la coalition des ONG, parrainée par la LTDH. Les associations signataires de la déclaration ( une ciquantaine) réaffirment «que l’obstination à traduire le Doyen devant le tribunal constitue une tentative désespérée d’instrumentalisation de la justice par des parties à l’intérieur et à l’extérieur du pouvoir pour porter atteinte à l’inviolabilité de l’université et outrepasser les organes de direction élus et porter atteinte aux libertés académiques et aux libertés publiques » et ajoutent que « cet entêtement fait partie d’un plan orchestré pour mettre au pas les intellectuels, les journalistes, les artistes, et constitue un prélude pour ouvrir la voie au contrôle de la société tunisienne et imposer un projet de société totalitaire ».
Le pouvoir exécutif dominé par Ennadha est en effet devenu depuis quelque temps, du point de vue du milieu associatif et des acteurs politiques démocrates, l’ogre prêt à tout pour dévorer la magistrature en vue de réprimer toute volonté d’autonomie et d’indépendance et d’étouffer toutes les libertés pour imposer un projet de société rétrograde et installer à court ou à moyen terme un régime dictatorial.
Habib Kazdaghli, Sami Fehri, les artistes d’El Abdellia ou le combat pour les libertés et l’indépendance de la justice
On peut citer, à l’appui de cette thèse, tous les procès et les poursuites qui ont ciblé les défenseurs des libertés dans notre pays et qui ont défrayé la chronique et fait couler beaucoup d’encre : l’affaire Persépolis en novembre 2011, le procès Kazdaghli et les assignations en justice des artistes d’El Abdellia et, cerise sur le gâteau et tragique cadeau de fin d’année offert aux Tunisiens, l’affaire Sami Fehri, directeur de la chaîne de télévision privée Attounsia, en détention illégale malgré la décision de la plus haute juridiction de Tunisie de casser sa mise en examen et le mandat de dépôt prononcé contre lui, entré dans une grève de la faim sauvage en raison de la décision arbitraire prise par les autorités de ne pas le libérer et admis depuis deux jours dans une unité de soins intensifs à cause de la dégradation de son état de santé. Suspecté de contribution aux pertes financières de l’Établissement de la télévision tunisienne, en tant qu’associé, dans la société de production télévisuelle Cactus de Belhassen Trabelsi, gendre de Ben Ali, il n’a été inculpé et arrêté qu’après la diffusion sur sa chaîne d’une émission de guignols fort réussie et ayant crevé l’audimat nommée « La Logique politique », tournant en dérision les dirigeants politiques du pays. C’est pourquoi plusieurs observateurs estiment que la raison véritable de son arrestation puis du maintien de la décision arbitraire de le garder en prison est l’exercice de son droit à la liberté d’expression qu’il est en train de défendre au prix de sa vie.
Conscients dès lors que c’est l’avenir du processus démocratique qui se joue aujourd’hui en Tunisie , les associations, dont l’Observatoire des libertés académiques dépendant de la Fédération générale de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique, ne lâchent pas prise et appellent « les universitaires et toutes les forces de la société civile et démocratique à un nouveau rassemblement le jeudi 3 janvier 2013 à 9 heures du matin devant le Tribunal de première instance de la Manouba pour exprimer leur solidarité avec le Doyen, les intellectuels, les journalistes et les créateurs qui ont fait l’objet dans la dernière période d’actes de violence, d’intimidation et de traduction devant la justice, à l’image de ce qui s’est passé pour l’universitaire et artiste plasticienne Nadia Jelassi et pour réitérer leur attachement aux libertés académiques, aux valeurs universitaires et à la liberté d’expression et de création ».
La solidarité syndicale
Le bureau syndical de la FLAHM a appelé lui aussi, dans un communiqué diffusé le 28 décembre 2012, à un rassemblement, le même jour à la même heure et pour les mêmes raisons.
La FGESRS, dont quelques sections ont observé un mouvement de débrayage de deux heures largement suivi à l’occasion de l’audience du 22 novembre 2012, qui a constamment apporté son soutien au doyen de la FLAHM et qui a mobilisé les universitaires depuis le début de la crise du niqab autour de la défense des valeurs universitaires s’est, de nouveau, engagée dans la bataille. Elle a annoncé la tenue d’une conférence de presse, qu’elle organisera conjointement avec le bureau exécutif de l’UGTT, le mercredi 2 janvier 2013 à partir de 14 heures au siège de la centrale syndicale. Dans un communiqué de presse publié le 25 décembre 2012, son secrétaire général, Houcine Boujarra, convie les universitaires et les acteurs de la société civile à participer à cette rencontre avec les médias pour « dénoncer le procès inique intenté au doyen de la FLAHM et tous les procès en vertu desquels des universitaires syndicalistes ont été traduits devant la justice et pour défendre la libre parole, les libertés académiques et l’autonomie de l’université tunisienne ». La FGESRS et ses sections de base n’ont pas recouru à la grève générale, pourtant envisagée par certains militants de base comme une action possible lors de l’assemblée générale du 22 novembre 2012, pour ne pas perturber le déroulement des examens semestriels qui commencent le 3 janvier 2013 dans plusieurs établissements.
Outre le soutien à Habib Kazdaghli et aux défenseurs des libertés, le dénominateur commun de toutes ces initiatives et prises de positions est de dénoncer la tendance hégémonique du pouvoir exécutif et de saluer les aspirations et le combat des magistrats tunisiens, à travers leur association et leur syndicat, pour l’indépendance de la justice et l’élection d’un Conseil de l’Ordre des magistrats autonome et représentatif. C’est dans ce sens que les associations signataires de l’appel à un rassemblement de solidarité « réitèrent leur appui aux magistrats qui militent pour résister aux différentes formes de pression exercées à leur encontre par plusieurs parties pendant cette période transitoire pour les détourner de l’administration d’une justice équitable et de la préservation de l’institution judiciaire contre toute ingérence et sont certaines de la capacité des magistrats tunisiens à résister à toutes les tentatives d’instrumentalisation » et que le syndicat de la FLAHM précise que l’un des objectifs du rassemblement « est la revendication d’un pouvoir judiciaire indépendant » selon les termes du communiqué susmentionné. Du coup le rassemblement du 3 janvier, comme ceux qui l’ont précédé, ne doit pas être pris, comme veulent le faire accroire des commentaires tendancieux, pour une remise en cause de l’honnêteté des juges mais pour une riposte de la société civile et des syndicats à la volonté de mainmise du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire.
Soutien de l’Université du Mirail Toulouse, du groupe CRC de la ville de Toulouse et de l’Université libre de Bruxelles
La conférence de presse de la FGESRS, qui sera suivi d’un séminaire sur les libertés académiques, verra la participation d’une forte délégation toulousaine. Ce groupe est d’abord composé de responsables à la fois académiques et syndicaux. Ils représentent en même temps l’Université du Mirail Toulouse – qui s’est distingué en envoyant, chaque fois, à l’occasion des précédentes audiences, des messages de solidarité et dont les professeurs ont organisé, à la fin du mois de novembre 2012, une manifestation de soutien au doyen de la FLAHM devant le Consulat général de Tunisie à Toulouse – et le SNESUP. Les autres membres de la délégation sont des élus municipaux toulousains appartenant au groupe des élus communistes, républicains et citoyens. Xavier Lambert, membre du bureau national du SNESUP et Alet Valero, membre de son bureau toulousain ainsi que Jean Marc Barés, adjoint au maire de la ville de Toulouse et Chloé Rigal, conseillère déléguée à l’action en faveur des jeunes publics « viendront exprimer leur soutien lors de son procès» au doyen de la FLAHM . Dans un communiqué daté du 28 décembre 2012, intitulé, à juste titre, Soutien aux démocrates tunisiens, Pierre Lacaze , président du groupe des élus communistes, républicains et citoyens de la ville de Toulouse ne manque pas de souligner le lien entre le combat mené par le doyen de la FLAHM et « les multiples atteintes aux droits politiques et les multiples atteintes aux droits sociaux et démocratiques du fait de ligues qui partout dans le pays suscitent de nombreux incidents violents, notamment l’attaque des locaux syndicaux sans que le pouvoir islamiste en place n’exerce de véritables pressions sur eux ». Il fait également part de l’ engagement des élus du groupe CRC de la ville de Toulouse à continuer à exprimer leur soutien « jusqu’à ce que justice soit rendu au doyen de l’université » et « à poursuivre leurs actions contre les atteintes à la démocratie en Tunisie », confirmant par là même que le les universitaires, les journalistes, les artistes, les syndicalistes, les acteurs de la société civile et les démocrates tunisiens se battent, chacun dans sa sphère, pour faire avorter le projet liberticide des ennemis de la démocratie.
Mais si la venue de la délégation toulousaine était programmée depuis le mois de novembre 2012, celle de la délégation de l’Université libre de Bruxelles constitue une belle surprise fort appréciée par les universitaires et les militants associatifs qui ont connu ses membres lors de leur dernier séjour en Tunisie, au moment de l’audience du 25 octobre 2012 et qui ont été séduits par leur générosité. La vice-rectrice, Annémie Schaus, le Professeur Jean Philippe Schreiber et l’avocate pénaliste Michèle Hirsh seront présents au procès. Son compatriote et confrère, Laurent Philippe, en habitué des rassemblements de solidarité avec le doyen de la FLAHM, sera lui aussi, mais comme franc-tireur, un observateur du procès. La Fédération internationale des droits de l’homme, toujours présente, déléguera cette fois-ci l'historienne Sophie Bessis ainsi que l’avocate Marie Guiraud. L’Association des Tunisiens en France et La Fédération tunisienne pour une citoyenneté des deux rives, elles aussi fidèles au rendez-vous, enverront en mission d’observation judiciaire, respectivement Maître Naceur Khémiri et Maître Bardi. Des représentants des ambassades de l’Union européenne, de la Suisse et de l’Autriche sont attendus. Des initiatives similaires ont été prises lors des audiences précédentes par des membres du corps diplomatique d’autres ambassades européennes, à l’instar de celle de la France. Ces derniers ont toujours pris soin de préciser que leur présence au procès ne devait pas être perçue comme une ingérence dans les affaires tunisiennes mais comme un soutien au processus démocratique encore balbutiant en Tunisie.
La quatrième, et en principe, dernière audience, sera consacrée au réquisitoire du ministère public et aux plaidoiries des avocats avant la proclamation du verdict. Les militants syndicaux et associatifs sont persuadés que ce sont les faits contrôlés, les choses examinées qui formeront la conviction des juges et non la conviction tenace et irréfutable, parce que partisane qui déforme les faits et les choses. La tournure factuelle prise par le procès, la conduite des dernières audiences avec un respect scrupuleux de la procédure – excepté à l’occasion de l’épisode controversé de la comparution des étudiantes en niqab -, une louable impartialité et un grand professionnalisme plaident en faveur de l’exercice par la Cour d’une justice équitable qui disculpera le doyen de la FLAHM des accusations calomnieuses portées contre lui.
Habib Mellakh,
universitaire, syndicaliste, professeur de littérature française à la FLAHM