Endettement des ménages : Prudence en Tunisie, limites en Algérie et engouement au Maroc
« En plein creux de la vague, l’économie cherche souvent la relance aussi dans l’accroissement de la demande intérieure. La stimulation de la consommation offre un bon levier s’il s’agit d’une consommation utile et non futile, et sans obérer l’endettement des ménages. » C’est ce que rappelle un économiste tunisien, M. Malek Serrai, attentif à ce qui se passe dans les pays du Maghreb.
« Malgré les appels répétés à la prudence lancés par les autorités monétaires en Tunisie qui ne cessent d’encourager la mobilisation de l’épargne, il faut dire que les ratios demeurent très acceptables. Tout compte fait, et en dépit d’une tendance naturelle à la surconsommation et le recours à l’endettement auprès des proches d’abord et des banques ensuite, le Tunisien reste raisonnable. Les taux officiels de l’endettement des ménages se situent à moins de 20%. Si on en déduit la part consacrée au logement et aux voitures, ils seront significativement plus bas. Quant aux incidents de remboursement, ils restent confinés dans des proportions très raisonnables. »
Comment faut-il apprécier la nouvelle dynamique commerciale des banques qui multiplient les offres de crédits immédiats et de crédits à la consommation ? « Elle reste nécessaire, estime-t-il. Evidemment, n’oublions pas qu’elle est bien encadrée par les autorités monétaires, tant au niveau de l’approbation des nouveaux produits financiers que du suivi des incidents de remboursement. Une centrale de risques est déployée en toute vigilance au sein de la Banque Centrale et mise à la disposition des établissements financiers. Ce qu’il faut retenir, c’est que, autant l’épargne est encouragée, autant les crédits à la consommation, indispensables, sont bien encadrés. Mais, la prudence demeure toujours de rigueur. »
Quid de l’Algérie ?
Avec une population trois fois supérieure et une forte demande d’équipement et de logement, la situation est légèrement différente, même si des analystes la juge critique. Face à la profusion de l’offre et la multiplication des demandes, le montant des prêts comme celui des emprunteurs augmentent considérablement, ce qui engendre inéluctablement l’accroissement des difficultés de remboursement. «L’Algérien est au bord du surendettement », estime M. Malek Serraï. Citant une enquête récente, il révèle que « 38% des jeunes endettés se déclarent incapables de rembourser leurs dettes».
Concurrence oblige, « les banques ne donnent aucun délai aux clients pour décider et réfléchir avant d’emprunter, explique t-il. Cette situation est à double tranchant pour les banques: d’un côté, les emprunteurs augmentent rapidement et de l’autre, les risques d’impayés s’accroissent». « Le ratio du crédit dans le secteur privé était de 17,6% en 2004. Il est passé à 23,3% en 2008».
Et au Maroc ?
«Au cours de ces dernières années, indique Bank Al-Maghrib dans son rapport annuel publié en juillet 2008, le crédit à la consommation a occupé une place croissante dans l’endettement des ménages. La bonne tenue de la consommation des ménages, une concurrence accrue entre les établissements de crédit, la diversification de la gamme de produits et services proposés et la baisse des taux d’intérêt sont autant de facteurs ayant favorisé cet essor». En 2007, l’encours des crédits à la consommation s’est accru de 37 % à 59 milliards de dirhams, contre 20% en 2006, représentant ainsi 13 % du total des crédits à la clientèle des établissements de crédit.
L’endettement des ménages demeure dominé au Maroc par les crédits à l’habitat dont la part s’est établie à 55%, contre 57% en 2006, alors que la part des crédits à la consommation représente 38%, en augmentation d’un point par rapport à 2006. L’analyse affinée montre que moins on gagne, plus on s’endette. Les Marocains dont le revenu est inférieur à 4.000 dirhams ont concentré près de 48 % des encours au crédit à la consommation au cours de l’exercice précédent. Les salariés et les fonctionnaires ont représenté 87 % des bénéficiaires du crédit à la consommation, contre 4% pour les artisans et commerçants et 3% pour les professions libérales. Les retraités, quant à eux, ont disposé de 6 %, sans changement par rapport à 2006.
Sur le plan géographique, ce sont les habitants de Casablanca et de Rabat qui arrivent en tête des Marocains ayant le plus recours au crédit, avec 46% des dossiers de crédit à la consommation et disposent de près de 50 % de l’encours total des crédits. Pour les ménages disposant de revenus inférieurs à 3.000 dirhams, le taux d’endettement s’est établi à 45%, contre 12% pour les débiteurs ayant des revenus supérieurs à 20.000 dirhams. Le taux d’endettement correspond au rapport entre les crédits contractés par un client et ses revenus déclarés à l’établissement prêteur.
Le taux de créances en souffrance est de 15 % pour la tranche de revenus inférieurs à 3.000 dirhams et de 12 % pour les personnes dont le revenu est supérieur à 20.000 dirhams. Quant au taux de pénétration du crédit à la consommation, il a atteint son niveau maximum, soit 38% chez les personnes dont la tranche d’âge est comprise entre 40 et 49 ans, mais en baisse de 3 points par rapport à 2006. En effet, près de 36 % de l’encours est concentré dans la tranche d’âges de 40 à 49 ans et 33% chez les personnes âgées de 50 ans et plus.