Blogs - 30.04.2012

Les «Cent Glorieuses» d'Ennahdha

Je n’en suis ni un militant, ni un compagnon de route et me voici en train de « tresser des couronnes » à Ennahdha. Car les faits sont têtus. Cent jours auront suffi à ce mouvement pour assurer son contrôle sur les rouages de l’Etat et s’incruster dans tous les interstices de la société, « sans violence et sans haine et dans le respect de la légalité républicaine », comme ne manquent pas de le souligner les dignitaires islamistes, mais aussi d’une manière subreptice, et dans une démarche que n’aurait pas désavouée Bourguiba avec sa fameuse politique des étapes fondée sur les compromis et les replis tactiques.

A posteriori, on comprend mieux pourquoi les nouveaux gouvernants sont très remontés contre ces empêcheurs de tourner en rond que sont les oppositions. Il fallait donner du temps à Ennahdha pour mener à bien son oeuvre de "redressement national". Heureusement, il y a les partenaires de la "Troika", les méchantes langues diraient les idiots utiles, qui ont contribué du mieux qu’ils pouvaient à ces changements, en avalant toutes les couleuvres qu’on leur présentait, moyennant quelques maroquins…

En cent jours, la douce Tunisie a donc changé au point que les Tunisiens eux-mêmes ont du mal à la reconnaître. Les rues chatoyantes et gaies ont cédé la place aux barbus, aux drapeaux noirs, aux vitrines brisées et à la fûmée blanche des bombes lacrymogènes, alors sur les terrasses des cafés, quand le temps et les manifestations et la répression qui s'ensuit le permettent, ça discute ferme, non pas sur l’emploi, les régions déshéritées, la cherté de la vie ou l’état lamentable de notre économie (ce ne sont-là que broutilles), mais sur les vrais problèmes de société, longtemps occultés par les régimes précédents, comme sur le point de savoir s’il faut inscrire la charia dans la constitution, sur le phénomène salafiste, l’excision,  le Califat, tout en jetant de temps à autre un regard furtif au-dessus son épaule, un tic contracté du temps de la dictature, mais qui n'a pas lieu de perdurer dans un Etat de droit. Car, on aurait tort de se méfier des nouveaux maîtres du pays. Regardez-les bien, on leur donnerait le bon dieu sans confession. Dans les mosquées, les prêches tournent souvent aux harangues, tandis que les colonnes Morris sont couvertes d’affiches annonçant les conférences de prédicateurs venus nous enseigner l’islam des lumières.

Tout cela, nous le devons à Ennahdha,  à la sagesse de ses dirigeants et à son gouvernement (un véritable dream team qui a donné, au cours de ces trois mois, la pleine mesure de son savoir-faire dans les domaines politique, économique, social et surtout diplomatique où les succès sont éclatants. Il est vrai que, dans ce domaine, il a bénéficié de l'apport décisif du président de la république). Car, contrairement à ce que donnerait à penser leur discours parfois intransigeant, ils ne sont ni sectaires, ni dogmatiques, mais ouverts et pragmatiques, même si parfois, compte tenu de leur inexpérience, certains se laissent aller à des écarts de langage qui dépassent leurs pensées ( les esprits chagrins préfèrent parler de répartition des rôles). Car, ce sont des modérés avant tout, qui savent très bien que la politique, c’est l’art du possible et il leur arrive même de faire machine arrière, sans pour autant mettre en danger l’unité du parti. Le fonctionnement interne du mouvement les y aide. Le revirement sur la charia en est un exemple parlant. Car le mouvement a beau se dire démocratique,  les états d’âme n’y ont pas leur place : « le parti a toujours raison », comme on disait dans le parti communiste français des années 50. Au surplus, le culte du chef y est bien ancré : « Le pouvoir vient d’en haut, la confiance d’en bas ». Autrement dit, le risque d’implosion est nul, contrairement aux autres partis tunisiens qui ont choisi la contradiction dialectique. Mal leur en a pris. Ils ressemblent aujourd'hui à des coquilles vides.

 Mais il faut bien donner le change pour rester dans l'air du temps. Le changement opéré par le mouvement l'a été à l'issue d'un vote. Cela  a valu au mouvement islamiste les félicitations de Mme Clinton, la secrétaire d’Etat américaine et  celles de ses adversaires politiques en Tunisie. Surtout, ne comptez pas sur les dirigeants d’Ennahdha pour le crier sur les toits. Ils ont le triomphe modeste. Cheikh Habib Ellouze, l’un des leaders historiques du mouvement, unanimement apprécié par ses amis comme par ses adversaires politiques  pour sa "grande sagesse et son ouverture d’esprit"( il en a fait la preuve en invitant tout ce que le monde arabe compte comme prédicateurs modérés à l'image de Wajdi Ghenim) a mis en garde les militants : « le combat continue. Car l’ennemi n’a pas encore déposé les armes », a-t-il déclaré lors de la réunion de l’association des Oulémas de la Zitouna qui vient d’être créée.

Bien sûr, le travail est loin d'être achevé. Il est loisible à chaque régime de mettre aux postes-clés des personnes sûres. Les Américains appellent cela  le système des dépouilles. Ennadha s'est engagé dans cette voie bien que tardivement avec les nominations de gouverneurs, de hauts-fonctionnaires. Il reste encore les maires, les Oumed. A cela, il faut ajouter  le dossier récurrent de l'information qui taraude les nouveaux gouvernants. "L'opinion publique veut des changements" répètent à l'envi les dirigeants nahdhaoui. Il faut que l'information soit au service de la majorité légitime. Soyons sûrs qu'Ennahdha ira jusqu'au bout de sa logique, en privatisant si nécessaire le secteur public au cas où les sit-in n'auraient pas suffi. Car du côté de Montplaisir, on est convaincu que les résultats des prochaines élections dépendent en grande partie de la suite qui sera donnée à cette affaire.

Vivement le bilan des cent prochains jours. Avec l’expérience accumulée au cours des trois premiers mois, tous les (dés)espoirs sont permis.

H.B.