Opinions - 09.03.2024

Abdelaziz Kacem: Gaza, exordes et conclusions

Abdelaziz Kacem: Gaza, exordes et conclusions

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Né américain en 1888, mort anglais, par naturalisation, en 1965, Thomas Stearns Eliot est un poète  immense, il a été nobélisé en 1948. Il se rappelle à mon bon souvenir à chaque période de crise. J’avais lu, très jeune, ses poèmes denses et profondément désabusés. The Waste land, notamment. Une élégie inspirée du gâchis causé par la Première Guerre mondiale. Elle est  traduite, trois fois, en français, sous des titres différents: La Terre vaine, La Terre gaste, La Terre dévastée. À moins de trouver le déterminant juste et complet, les trois adjectifs demeurent acceptables, pour un monde en plein dérèglement. T. S. Eliot était aussi dramaturge et critique littéraire, il laisse des pensées pour un intellect dégradé. En voici une qui sonne comme un glas:

«Où est la Vie que nous avons perdue en vivant ? Où est la sagesse que nous avons perdue dans la connaissance? Où est la connaissance que nous avons perdue dans l’information ?»

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L’information ! Cela fait plus d’un lustre que je cherche à ne plus me laisser intoxiquer par l’actualité. Mais celle-ci, plus elle est horrible, plus elle est têtue. Au XXe siècle, en matière d’atrocités, l’humanité a goûté à toutes les barbaries, du nazisme, durant la Seconde Guerre mondiale,  aux abominations américaines au Vietnam. En ce premier quart du XXIe siècle, il nous a été donné de voir pour la énième fois la sauvagerie en Afghanistan et surtout en Irak. De 1990 à 2003, ce grand berceau de la civilisation a vu mourir un million cinq cent mille enfants sous les bombes à l’uranium, au phosphore blanc et par manque de soins et de nutrition dû à l’un des blocus les plus cruels de l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui, à Gaza, l’armée israélienne ne fait qu’appliquer à la lettre la sauvagerie apprise.

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Scotché devant la télé, depuis le 7 octobre 2023, en quête de ma dose quotidienne de mauvaises nouvelles. Il me faut des efforts surhumains pour garder intactes ma colère et ma rage. «Ce qu’il y a de scandaleux dans le scandale, c’est qu’on s’y habitue» (Simone de Beauvoir). Aussi ahuri que moi, un grand humaniste juif, le philosophe Edgar Morin, 103 ans. Intervenant, à Marrakech, au Festival du livre africain, il s’indigne, face à la tragédie de Gaza, et dénonce «le silence du monde, le silence des États-Unis, protecteurs d’Israël, le silence des États arabes, le silence des États européens, qui se prétendent défenseurs de la culture, de l’humanité, des droits de l’homme.»

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Pour ce qui est des dirigeants arabes, s’ils ne sont pas complices, ils se bercent par des illusions éculées : Blinken leur glisse à l’oreille que Biden commence à être agacé par Netanyahu, qu’il se rebiffe, que le cessez-le-feu est pour bientôt. Ce ne sont que des fadaises. Le président américain s’oppose à tout arrêt des hostilités. Et pour la fourniture d’armes et de munitions, le pont aérien fonctionne comme au premier jour. Le criminel israélien en chef déclare, sans ambages : Même en cas d’accord sur les otages, Rafah sera ethniquement nettoyée. Que faire ? Rien ! Ne pas encourir les courroux et les sanctions de l’Oncle Sam, l’ami qui n’en est pas un. Le poète Mutanabbi (915-965), en la matière, nous fait hériter d’un vers-médaille :

ومن نَكَدِ الدُنيا على الحُرِّ أَن يَرَى
عَدُوّاً لهُ ما من صَداقتِهِ بُدُّ

Pour un homme bien-né
C’est dur d’être amené
À traiter en ami
Son mortel ennemi.

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La CIJ a rendu son verdict. Oui, il y a génocide à Gaza et, pour commencer, six mesures urgentes d’ordre humanitaire ont été ordonnées. Toutes, pour être appliquées, exigent un cessez-le-feu immédiat et total. La clique de Tel-Aviv est passée outre. Le massacre se poursuit. L’horreur absolue a aujourd’hui un nom : Tsahal, fléau de Dieu. Chaque heure du jour ou de la nuit apporte à Gaza son lot de malheurs. La soldatesque sioniste tire sur tout ce qui bouge, le vivant, et sur tout ce qui ne bouge pas, tous les édifices, mais aussi sur les morts eux-mêmes. Car c’est avec une rage particulière que l’on s’acharne sur les cimetières gazaouis. Par milliers, les tombes sont éventrées, écrabouillées. Voilà ce dont est capable l’État le plus démocratique de la région. On commence à mourir aussi de soif et de faim à Gaza. Comment ne pas en perdre le boire et le manger.

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De loin, il est facile d’admirer la résilience inouïe du peuple de Gaza et de la Cisjordanie, de saluer les vaillants combattants palestiniens, d’apprécier le renfort qui leur est apporté par la résistance au Liban, en Irak, en Syrie, au Yémen. Sur le terrain, c’est l’enfer. Saluons toutefois les impressionnantes manifestations qui continuent de gronder dans les capitales européennes, bravant les interdits et le risque de tomber sous le coup de la loi scélérate sur l’antisémitisme.

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À Francinfo du 8 février 2024, un autre Juif digne de respect, le Dr Rony Brauman, co-fondateur et président de Médecins sans frontières, témoigne. Engagé, de longues années durant, dans l’action humanitaire, il sait mieux que quiconque ce qu’une population civile bombardée sans relâche veut dire:

«Quelle que soit la direction que ces déplacés vont prendre, c’est une descente de plusieurs degrés, en plein dans la désespérance, dans l'effroi, dans le malheur, dans la promiscuité, dans la diffusion de maladies épidémiques et probablement dans la préparation de nouvelles générations habitées par la haine, par le désir de vengeance, bref par la préparation d'un avenir de violence.»
Il accuse nommément les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et la France d’être complices du carnage.

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Combien de couleuvres le pathétique Secrétaire général de l’ONU doit-il avaler par jour, depuis le 7 octobre ?
Commentant les alarmes  réitérées par António Guterres, Rony Brauman ne mâche pas ses mots : «Les appels des Nations unies non seulement ne servent à rien, mais sont reçus en quelque sorte avec un bras d'honneur ou un doigt d'honneur par Benyamin Netanyahou». Évoquant l’invasion de l’Éthiopie, en 1935, par l’Italie fasciste, qui eut raison de la Société des Nations, il se demande: «Est-ce que les Nations unies vont survivre à cette épreuve, sachant qu'un organe des Nations unies parle de génocide plausible, actuellement, perpétré dans la bande de Gaza et que des membres permanents du Conseil de sécurité continuent de ravitailler la partie qui est exclusivement coupable de génocide ?»Aux dernières nouvelles, Biden demande à son homme de main de terminer la basse besogne, avant le mois de Ramadan. Wait and see.

Abdelaziz Kacem

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