News - 29.11.2023

Olivaison: chronique d’une mémorable journée de bonheur

Olivaison: chronique d’une mémorable journée de bonheur

Par Abdellaziz Ben Jebria - J’aime l’hiver pour ses longues nuits de veilles familiales, pour ses courtes journées intensément occupantes mais légèrement fatigantes, pour ses délicieuses clémentines et mandarines richement vitaminées et énergisantes, et pour ses plats chauds fibreux de choux vert et de feuilles de navets qui chauffent le corps complaignant et qui calment l’estomac ronronnant. J’aime aussi l’hiver pour la joliesse de ses oliveraies chaleureusement accueillantes et bellement verdoyantes. Et j’aime surtout l’hiver pour la joyeuse ambiance de la cueillette enchantante qui annonce la bienvenue à la saison fêtarde de l’olivaison.

Voilà pourquoi je déclare sans pudeur que je suis platoniquement un amoureux de l’olivier. J’admets sans hésitation que je suis fidèlement un addicté de la cueillette des olives. Et je confesse sans hantise que je suis gourmandement un consommateur optimal de l’huile d’olive; je pourrais même me contenter de vivre humblement avec du bon pain, bien cuit-croquant, trempé dans l’huile, et accompagné d’olives, noires ou vertes, légèrement salées. Quoi de plus simple pour le plaisir gustatif, et quoi de meilleur pour le bon soin de la santé?

C’est pour ces intimes raisons que je me souviens encore que lorsque j’étais un enfant, je profitais de mes vacances d’hiver pour ne jamais manquer la cueillette des olives. À l’aube, mais avant l’aurore, dès que ma grand’mère maternelle, Aziza, eut terminé sa première prière du matin, je montais avec elle et ses employés sur la charrette, tirée par une mule, en direction des oliveraies de mon défunt grand-père maternel. Aziza, était alors, depuis son jeune veuvage, à l’âge de 27 ans, la cheffe agricole de sa petite famille composée de ses deux filles, ma mère et ma tante. Quant à moi, malgré le froid et le vent hivernal, j’étais heureux de l’accompagner à la campagne pour me baigner dans l’ambiance de cette olivaison. Je souhaite, en passant, longue vie à ma tante qui est présentement la dernière survivante portant le nom de famille ʺRabbègueʺ à Ksibet-Sousse.

Je me souviens aussi et encore, en cette première journée de cueillette, à peine ai-je commencé à apprécier le son rythmé, bruyamment intense et rapide des claquements des cornes qui, enfilées dans les doigts, peignaient volontairement les branches et les feuilles pour libérer les olives; à peine ai-je entamé ma noyade dans le bruissement des olives qui pleuvaient librement par terre sur les draps-bâchés et raisonnants, comme une averse de grêles; et juste au moment où le soleil débutait sa luminance dans cette vaste campagne, j’aperçus la lointaine silhouette du marchand de beignets qui pressait les pas en notre direction. Dès lors, mes sensations auditives des chutes d’olives se mêlèrent progressivement au message de mon acuité visuelle des beignets de sorte que je ressentisse soudainement se déclencher en moi des stimulations gastriques qui me plongèrent dans une sorte de gourmandise irrésistiblement voluptueuse. Et dès que le marchand de beignets s’approcha de nous en tenant sur sa tête son habituel large ustensile d’aluminium, rempli de beignets, je ne pouvais plus contenir ma salive qui coula dans ma bouche et même sur mes lèvres, car je confesse très volontiers que ces fameux beignets, frits à l’huile d’olives, pour lesquels j’éprouvais une grande faiblesse gourmande, étaient toujours et demeurent encore, pour moi particulièrement, un petit déjeuner alléchant et appétissant.

Alors, quelle était ma joie, et en même temps ma surprise, quand ma grand’mère eut pris l’initiative, sans que j’insistasse auprès d’elle, de nous acheter chacun deux beignets. Habituellement, elle se montrait plutôt économe dans ses dépenses, non pas par avarice personnelle, seulement par prudence traditionnelle, de l’époque, à la vicissitude de la vie. Mais, cette année-là, la récolte semblaient particulièrement propice, ce qui expliquait la générosité inhabituelle de notre Cheffe.

Au lever progressif du soleil suivait les arrivées graduellement mouvementées de nos voisins sur les champs de leurs petits vergers. Leur présence matinale ne pouvait que combler le vide et l’espace vacant autour de nous. Mais, c’était à midi, lorsque le soleil était à son zénith, que je voyais, avec plaisir, l’arrivée de ma mère accompagnée de notre âne qui portait, sur son dos sellé, mon petit frère et ma toute petite sœur, et qui transportait aussi notre grand déjeuner et tout ce qui servait à préparer le thé pendant l’après-midi. C’était en effet à partir de ce moment-là que j’appréciais, le plus, ma journée d’olivaison. D’abord avec le travail disciplinaire de ma grand’mère, je pouvais enfin me relaxer un peu. Ensuite, j’avais, comme tout le monde, une grande faim pour avaler le bon repas concocté par ma mère. Et enfin, avec les arrivées successives des femmes et des enfants de nos voisins, l’ambiance était au comble de la gaîté. Dès que ma mère eut terminé l’installation du repas et la préparation de la théière pour l’infusion du thé, nous nous asseyions tous ensembles sur l’herbe en pleine nature verdoyante, en formant un grand cercle autour de la grande assiette ronde et bien creuse contenant notre copieux et délicieux couscous aux légumes. Nous mangions alors à notre faim, puis nous nous reposions un peu dans l’attente de siroter la première tournée du thé rouge traditionnel que ma mère seule avait la patience et le savoir-faire empirique de bien laisser mijoter lentement sur la braise dormante en ajoutant un petit brin de marjolaine ou de thym sauvage qu’elle cueillait elle-même dans les alentours du verger. Et lorsqu’elle nous servait le thé, avec de petites cacahouètes ou d’amandes grillées, il se dégageait dans chacun de nos verres une vapeur qui diffusait une odeur exquise aussi bien pour le plaisir pénétrant des voies olfactives, pour l’accueil savoureux des cavités gustatives que pour le bienfait éternel de l’esprit. Après cet intermède bien mérité, grand’mère et ses hommes remontaient sur l’olivier et les échelles, tandis que les femmes et les enfants commençaient le ramassage des olives qui étaient préalablement tombés par terre par le vent.

Malheureusement, de nos jours, la nostalgie n’est plus ce qu’elle était, puisque cette traditionnelle cueillette n’intéresse plus beaucoup les ksibiens de mon village natal. Mais moi, malgré mes lointains périples de chercheur scientifique, je restais fidèlement amoureux de l’olivier et je m’étais fait un joyeux plaisir d’avoir repris, depuis ma retraite professionnelle, la cueillette en compagnie de ma sœur qui, par chance, avait remplacé notre mère dans son rôle pour le soin des repas et du thé, et avec l’assistance de mes deux ouvriers, souvent originaires d’Elkhazzazia (Région du Centre Tunisien), mais tristement pas de ksibiens. Pour sa part, l’olivier, toujours égal à lui-même, résiste, malgré tout, aux agressions urbanistique et industrielle sauvages ; et nous essayons de l’accompagner dans sa résistance pour la préservation patrimoniale de la Tunisie et pour sa richesse économique. Je suis, cependant, profondément optimiste pour l’avenir, car je fais confiance au réveil et à l’éveil d’une certaine jeunesse tunisienne, ʺsmartʺ, qui comprendra bientôt les valeurs bénéfiques de l’agriculture en général et de l’olivier en particulier.

En attendant, il est incompréhensible que tous les citoyens, sans exception, n’aient pas accès à la consommation de l’huile d’olive de leur pays, pour un prix raisonnable qui devrait être subventionné, pour les moins chanceux, par le gouvernement. Je rappelle, tout de même que : 1) la Tunisie est classée mondialement quatrième après l’Espagne, l’Italie et la Grèce, mais premier pays par tête d’habitant; 2) la Tunisie peaufine ses huiles d’olive depuis la création de Carthage; et 3) l’un des plus vieux oliviers du monde se trouve en Tunisie.

Abdellaziz Ben Jebria

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