News - 14.03.2023

Les pesticides, frein a l’exportation de nos agrumes?

Les pesticides, frein a l’exportation de nos agrumes ?

Mohamed Larbi Bouguerra - «Pendant que les citoyens marchent, les lobbys des pesticides avancent et le gouvernement recule.» Communiqué de la Fondation Nicolas Hulot (France)

Le 17 février 2023, un certain nombre de médias en France ont fait état d’un retrait du marché d’oranges maltaises de Tunisie. Nouvelle alerte le 7 mars d’un «rappel massif» (CNews, 08 mars 2023).

Ces oranges sont commercialisées par les grandes surfaces: Auchan, Cora, Intermarché, Leclerc, Système U, sous la marque Orsero. L’alerte donne les numéros des lots incriminés. Ces fruits ont été vendus entre le 10 et le 20 février dans toute la France, en filets de 1,5 et 2 kg ainsi qu’en vrac. (Nice-Matin, 8 mars 2023).

Ce retrait serait motivé par la présence de résidus de pesticide sur ces agrumes et on précise «dépassement des limites maximales de résidus de produits phytosanitaires» en ajoutant : «les consommateurs sont invités à détruire le produit ou à le ramener en point de vente avant le 19 mars en vue d’un remboursement.»

En septembre 2022, des dattes algériennes ont été refoulées pour ce même motif. Le diflubenzuron, un insecticide interdit dans l’UE, a été détecté dans des paquets de Deglet Nour de 500 grammes.
Ces oranges tunisiennes accusent des résidus d’un insecticide, le chorpyriphos, affirme le site gouvernemental français RappelConso repris par un grand nombre de sites et de médias.

Au début de cette alerte, certains en Tunisie, ont parlé de retard à l’exportation de quelques conteneurs restés trop longtemps sur le quai d’où un «ramollissement» des fruits ayant motivé  leur retour de Marseille.

Un responsable de l’UTAP accuse (Dans Echourouk du 7 mars 2023repris par African Manager) «une activiste dans une association française» de prétendre faussement (sic) que nos oranges contiennent des résidus de produits chimiques, ce qui est absolument faux». S’agissant du refoulement de cargaisons d’oranges maltaises de Tunisie, le même responsable est catégorique : «Il n’y a eu aucune action dans ce sens et qu’aucune cargaison n’avait été refoulée.»

Pourtant, un autre responsable de l’UTAP à Nabeul confirme dans Assabah (7 mars 2023, p. 2) le retour de 25 tonnes d’oranges. Il attribue ce refoulement à la présence de «taches noires» sur la peau du fruit mais ajoute que, suite aux analyses effectuées par une organisation de défense des consommateurs en France, on a détecté un taux de pesticides supérieurs aux normes françaises d’où «une campagne de boycott». Il note néanmoins que la demande d’oranges tunisiennes demeure soutenue et que de nouvelles quantités allaient être bientôt exportées dans les pays de l’UE.

De son côté, un groupement interprofessionnel tunisien, s’il parle de «taches noires», confirme cependant le retrait de «dix palettes de calibre 8» dans lesquelles on a trouvé des taux «considérés importants» de pesticides. (Lire Webmaster Manager du 7 mars et La Presse de Tunisie du 8 mars 2023).

Un produit neurotoxique et genotoxique

Quoiqu’il en soit de ces déclarations, un fait est sûr: le chlorpyrifos est utilisé dans notre pays depuis longtemps sous les noms de Dursban et Lorsban non seulement en agriculture mais même par des municipalités pour lutter contre les moustiques comme à L’Ariana dans les années 1990. C’est donc un vieux cheval de retour dont les brevets datent de 1964 et 1966 et appartiennent à la firme américaine Dow Chemical. Cette dernière a fourni à l’aviation américaine le défoliant Agent Orange largué sur le Vietnam. C’est un composé neurotoxique qui a des propriétés insecticides et acaricides.

On le découvre onze fois sous le nom de Chlorpyrifos (Ethylou Méthyl) dans la liste des pesticides autorisés dans notre pays et dressée par la commission du Ministère de l’Agriculture du 13 février 2020 en pages 4-5. On l’importe du Mexique, des Etats Unis, d’Inde, d’Espagne, de Chine, du Danemark, de Suisse, de Grande Bretagne. Ses utilisations sont très nombreuses sur le maïs, les agrumes (contre la cochenille noire), la tomate, la vigne, l’olivier, le pêcher, la betterave, les crucifères, le figuier…Pourtant, en dépit de son utilisation tout azimut chez nous, certains pays arrivent à s’en passer de puis 2014 : Danemark (qui nous le vend !), Finlande, Allemagne, Lituanie, Lettonie, Irlande, Allemagne, Suède, Slovénie. En France, il est banni sauf pour la culture des épinards. En fait, il est interdit dans l’UE depuis 2020.

Le chlorpyrifos a vu son autorisation renouvelée dans les années 1990 mais sur la base d’études jugées biaisées sur le plan scientifique et dans lesquelles ses effets sur la santé ont été bien minimisés. Les choses n’ont été rétablies qu’en 2014 par une révision de sa réglementation.

En 2012, l’Académie américaine des Sciences (PNAS) a révélé que le chlorpyrifos avait un impact sur le développement du cerveau des enfants et l’épaisseur du cortex cérébral quand la mère a été exposée au produit durant sa grossesse. D’autres travaux américains montrent que cette substance augmente le risque et la fréquence de l’autisme et des lésions cérébrales précoces s’agissant des enfants exposés in utéro ou après la naissance.

Le refoulement de ces oranges maltaises devrait nous amener à réévaluer notre usage des pesticides toxiques que nous appelons malheureusement «dawa» alors qu’ils méritent le qualificatif de «sam»! Un plan national d’élimination des pesticides devrait être élaboré à l’instar du système Ecophyto en France. Depuis 2015, nous nous gargarisons de mots et parlons d’agriculture biologique. N’est-il pas temps de passer à la vitesse supérieure ? L’Autriche a, par exemple, été le premier pays à interdire totalement le glyphosate (Le Monde, 2 juillet 2019). Pourquoi la Tunisie n’interdirait-elle pas entièrement glyphosate et chlorpyrifos, première parmi les pays du Sud ?

Nous en importons plus de 5000 tonnes par an et on accorde bon an mal an autour de 700 autorisations d’importation.

Nous importons des pesticides interdits dans le pays de fabrication et ces pays refusent ensuite de commercialiser nos agrumes car ils renfermeraient des résidus de pesticides interdits. Nous sommes perdants sur tous les tableaux. Nous polluons notre milieu et exposons nos travailleuses et nos travailleurs à des substances aux conséquences abominables. Seuls les lobbys sans foi ni loi profitent de cet état de choses.

Il nous faut défendre la maltaise de Tunisie et améliorer sa compétitivité par une production biologique, d’autant plus que le changement climatique et la sécheresse en menacent la production comme cette saison où la récolte, de ce fait,  a sensiblement chuté.

Mohamed Larbi Bouguerra

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