News - 11.03.2023

Dr Ahlem Belhadj nous quitte : la cause de la femme et les forces démocratiques en deuil

Dr Ahlem Belhadj nous quitte : la cause de la femme et les forces démocratiques en deuil

Figure de proue du syndicalisme, de la lutte contre l'oppression, courageuse, engagée, elle était depuis son âge en première ligne sur tous les fronts. Le verbe haut, la détermination forte, elle avait longtemps porté la cause de la démocratie et celle de la femme, sur les épaules et dans le cœur. Dr Ahlem Belhadj, 57 ans, ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), professeur agrégée de médecine, chef du service de pédopsychiatrie à l’hôpital Mongi Slim (après l'avoir été au Razi, vient de nous quitter. Icône des forces progressistes, elle avait aligné pas moins de 40 ans de lutte dans la gauche et pour la cause de la femme.

En avril 2012, Leaders lui avait consacré le portrait suivant.

Ahlem Belhadj Présidente de l'ATFD : L'équité des rapports hommes-femmes changera les rapports sociaux

Professeur agrégée de médecine, chef du service de pédopsychiatrie, Ahlem Belhadj, 47 ans, présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), aligne pas moins de 30 ans de lutte dans la gauche et pour la cause de la femme. Avec la révolution, elle qui croyait que tout allait faire aboutir son combat, se voit devoir reprendre de nouveau et de plus belle. « Je sais qu’on ne peut pas demander des solutions immédiates, dit-elle, mais, nous attendons, du moins des signaux forts nous rassurant que nous sommes bien sur le droit chemin ».

Ces signaux, Ahlem cherche à les trouver à travers un débat de fond qui tranche sur les questions essentielles pour que les ambitions de départ ne se retournent pas en régression par rapport aux acquis. Dans cette quête du véritable exercice d’une citoyenneté égalitaire, elle s’interroge sur le type de rapports hommes/femmes et la justice sociale qui ne doit pas laisser la femme dans la précarité. La présidente de l’ATFD est horrifiée par ce qui est proposé aujourd’hui à la femme tunisienne au lendemain de la révolution : polygamie, excision, abandon de l’adoption, niqab, comme limites supérieures, quitte à négocier par la suite des niveaux moins élevés d’enfermement et de délestage de droits et libertés. Elle demeure cependant confiante que la société ne l’accepte pas. «Le combat, affirme-t-elle, risque d’êtres sans armes égales, mais ce qui est réconfortant, c’est la vigilance et les valeurs profondes qui animent les Tunisiens».

Ahlem Belhadj interpelle Ennahdha pour qu’elle tienne ses deux grandes promesses électorales, à savoir un Etat civil et un mandat d’une année, pour finaliser la rédaction de la nouvelle Constitution et l’organisation des élections. Un appel qu’elle partage avec les militantes de l’ATFD, mais aussi nombre d’autres familles politiques et composantes de la société civile. Lorsqu’elle avait débuté, il y a 30 ans, à l’Université son combat pour la cause de la femme, ses camarades, même ceux de l’extrême gauche, l’accusaient de faire oeuvre de petite bourgeoise qui introduit déviation et division au sein de la cause du peuple, mais la voilà aujourd’hui confirmée plus que jamais dans la justesse de son engagement.

Une athlète de longue endurance

Dans sa ville natale de Korba, au coeur du Cap Bon, elle avait mené, jusqu’à l’âge de 17 ans, une vie paisible et agréable, baignant avec ses 4 autres frères et soeur dans le bonheur familial. Son père, enseignant respecté, en a été le maire pendant 20 ans. Etudes studieuses, performances sportives en athlétisme avec l’équipe de Korba puis le Stade Nabeulien, avant d’endosser le maillot de l’équipe nationale en saut en longueur et vitesse (100 m). Ce qui lui valut nombre de titres et médailles, en plus des prix scolaires et lycéens. Débarquant à la faculté de Médecine de Tunis en 1982, elle trouvera l’université en pleine ébullition et ne résistera pas à s’y engager.

Son premier contact avec l’action militante est pris un 8 mars 1983, lors de la célébration de la journée mondiale de la Femme, aux côtés de Saida Rached Aoun, avant de rejoindre activement les rangs de la gauche revendiquant la tenue du 18e congrès extraordinaire de l’UGET (après celui de Korba, en 1972).

La voilà au sein d’un groupe marxiste révolutionnaire réunissant notamment Sadri Khiari, Olfa Lamloum, Afifa Souissi et Jalel Ben Brik Zoghlami (le frère de Taoufik), qui deviendra son époux.

Vivre au milieu des angoisses et s’en sortir

Lancée à toute allure et en profondeur dans l’action, elle ne se détournera pas cependant de ses études, pourtant exigeantes, et ne ratera aucune année, admise certes souvent à la session de septembre. Cursus en ligne droite: internat, résidanat et assistanat, puis, en consécration, l’agrégation. En choisissant la psychiatrie, et spécialement la pédopsychiatrie, elle cherchait en fait une ouverture sur les sciences humaines, pour s’intéresser au champ social, comprendre les personnes et s’inscrire ainsi dans la continuité de son combat.

Sa carrière hospitalo-universitaire n’était pas sans entraves à cause de son militantisme et celui de son époux. Combien de fois a-t-elle subi injustice, déclassement et retrait de poste ouvert ? Mais rien ne pouvait diminuer son ardeur.

Lorsqu’elle s’était mariée en 1993, Jalel était sous le coup d’un mandat de recherche et vivait en mi-clandestinité. Juriste, il était privé d’inscription au barreau malgré son CAPA et dut partir pour la France, poursuivre un troisième cycle lui ouvrant de droit l’accès à la profession d’avocat. Avec deux enfants en bas âge à charge, elle devait non seulement assumer seule les besoins de sa petite famille, mais aussi poursuivre sa lutte, tant professionnelle que militante.

Sur tous les fronts

Déjà, Ahlem Belhadj était aux premiers rangs, millitante au sein de la LTDH et de l’ATFD, fondatrice du CNLT et de Raid Attac, très active au syndicat des médecins hospitalo-universitaires, se déployant sur tous les fronts. L’année 2004 fut particulièrement rude pour elle, Jalel était de retour de France, mais privé d’exercer, le poste ouvert au concours d’agrégation qui lui revenait de droit lui était retiré et des ennuis de santé commençaient à la guetter, puis vient l’arrestation de son époux et sa condamnation à 8 mois de prison. Dans cette grande et multiple peine qui la plongeait dans une profonde angoisse, elle trouvait réconfort dans la solidarité agissante de ses camarades de lutte, sans laquelle elle n’aurait pu résister longtemps.

Membre de l’exécutif de l’ATFD en 1992, sous la présidence de Hédia Jerad, elle sera portée une première fois à la présidence en 2004, pour deux ans et la voilà rempiler cette année.

Pourquoi se contenter de l’ATFD et ne pas adhérer à un  parti ? Parce qu’elle croit fermement à l’indispensable indépendance politique de l’Association et à la primauté de la cause des femmes.

«Mais, aussi, ajoute-t-elle, parce que je n’ai pas trouvé dans les programmes socioéconomiques des partis en lice ce qui satisfait mes attentes et répond à mes convictions. Le choix étant très limité, je me suis décidée à investir le travail associatif, prenant la décision de ne pas être visible en politique». Ahlem Belhadj demeure convaincue, cependant, que « l’étape sera politique », affirme-t-elle. «Je m’insère, après la parenthèse de la présidence de l’ATFD, dans la gauche radicale qui demande des solutions socio-économiques et fait des questions de la femme une préoccupation fondamentale. Le projet de société passe par l’instauration d’un modèle de société équitable quant aux rapports hommes-femmes, ce qui changera le reste des rapports sociaux».