News - 04.05.2022

La Palestine, le conseil d’état français et les étudiants de l’université Harvard

La Palestine, le conseil d’état français et les étudiants de l’université Harvard

Par Mohamed Larbi Bouguerra - Peu avant les élections présidentielles d’avril, M. Gérard Darmanin, ministre de l’Intérieur, avait pris un décret de dissolution de deux ONG pro palestiniennes: «Palestine Vaincra» et «Comité Action Palestine». 

Les libertés d’expression et d’association sont intouchables

La suspension de ces deux ONG vient d’être retoquée par le Conseil d’Etat qui juge que le décret du ministre de l’Intérieur «n’est ni nécessaire, ni adapté et porte une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et à la liberté d’association». La haute juridiction estime que les prises de position des deux organismes ne constituent pas «un appel à la discrimination, à la haine ou à la violence, ou des agissements en vue de provoquer des actes terroristes» contrairement à ce que soutenait l’exécutif.

Le Ministère de l’Intérieur accusait «Palestine Vaincra» de «cultiver le sentiment d'oppression des “peuples musulmans” (...) dans l'objectif de diffuser l'idée d'une islamophobie à l'échelle internationale», «sous couvert de défendre la cause palestinienne ». Le ministère lui reprochait également d'appeler «à la discrimination et à la haine envers Israël et les Israéliens», notamment à travers des campagnes de boycott de BDS des produits des territoires palestiniens occupés.

Quant au «Comité Action Palestine » les autorités l’accusaient de «relayer les communiqués» et de «rendre compte de l'activité d'organisations terroristes palestiniennes.» Terroristes les Palestiniens? Comme si la France pouvait oublier le sens du mot « Résistance à l’Occupation»!

En réalité, en cette période électorale, ce qui déplaisait au Ministre de l’Intérieur, ce sont les appels au boycott des produits israéliens ou encore la dénonciation du colonialisme de l’Etat d’Israël et du régime d’apartheid infligé aux Palestiniens, seul peuple occupé au XXIème siècle.

De son côté, le président de le République, M. Emmanuel Macron, affirmait, il y a quelques temps à Toulouse, que «Palestine Vaincra» était un «collectif antisémite.»

Le 29 avril 2022, le Conseil d’Etat – saisi en référé par les deux ONG - a jugé que l’appel au boycott «traduit l'expression d'une opinion contestataire et ne saurait par lui-même (.) Être regardé comme une provocation ou une contribution à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personne.»

Pour les plaignants : «C'est une première victoire (...) en attendant le jugement du recours en annulation» s'est réjoui sur son site le «Collectif Palestine Vaincra». «Cette décision est un véritable camouflet contre le pouvoir et bat en brèche la propagande de l'extrême droite sioniste et ses amalgames entre antisionisme et antisémitisme»

Le « Collectif Palestine Vaincra » se réjouit de ce jugement et de pouvoir poursuivre ses luttes librement et tient particulièrement à saluer l’Union Juive Française pour la Paix, l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS) ainsi que l’Union Syndicale Solidaires pour leur important soutien dans cette bataille judiciaire mais également la grande mobilisation du Comité contre la dissolution du Collectif Palestine Vaincra qui réunit plus d’une trentaine d’organisations et de nombreux soutiens à travers le monde. La mobilisation doit continuer en vue d'une annulation totale du décret !

La décision du Conseil d’État réaffirme la légitimité du soutien au peuple palestinien et celle de l’existence des ONG et de leurs diverses activités. L'État devra verser 3000 euros à chacune des deux associations, a décidé le Conseil d’Etat.

Sollicité par l'agence de presse AFP, le ministère de l'Intérieur n'a pas souhaité faire de commentaires.

Conclusion : Le Conseil d’Etat a tranché : L’antisionisme et l’appel au boycott BDS sont des positions politiques légitimes et ne constituent nullement une incitation à l’antisémitisme ou à la discrimination.

La Palestine et les étudiants américains

Harvard Crimson, le journal des étudiants de Harvard - la prestigieuse université américaine - a publié, le 29 avril 2022, un éditorial marquant un changement radical dans la position de cet illustre organe de presse vis-à-vis du conflit Israël-Palestine. L’éditorial prend en effet position pour le mouvement BDS qu’il critiquait aussi récemment qu'en 2020.

Pendant des années, le comité éditorial du Harvard Crimson a refusé de soutenir le mouvement de boycott d'Israël (BDS), même s'il exprimait des réserves sur les politiques israéliennes et soutenait les droits à la liberté d'expression des groupes d'étudiants de Harvard qui préconisaient ce boycott.

Cet éditorial exprime un soutien total et complet au mouvement de Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS). Il s’agit là d’un symbole puissant de l'évolution du climat sur les campus américains au sujet d’Israël et de sa politique.

L'éditorial exprimait également son soutien au Comité de solidarité avec la Palestine de l’Université Harvard, un groupe d'étudiants qui accueille depuis une semaine les responsables d’un événement international annuel "Israël Apartheid Week" (La Semaine de l’apartheid en Israël).

"Les Palestiniens, aux yeux de notre comité de rédaction, méritent dignité et liberté. Nous sommes fiers d'apporter enfin notre soutien à la fois à la libération palestinienne et au BDS - et nous appelons tout le monde à faire de même", a écrit le comité éditorial du Harvard Crimson.

Il s'agit d'un changement particulièrement important par rapport à l’histoire de ce journal. En 2020 encore, le Harvard Crimson exprimait son ambivalence. Les gens ne sont jamais indéfiniment dupés : assassinats quotidiens de Palestiniens, emprisonnement d’enfants, destructions de maisons à Jérusalem et ailleurs en Cisjordanie, attaques des colons protégés par l’armée contre les Palestiniens et leurs biens, agressions répétées contre les pays voisins,  logiciel espion Pegasus aux services des dictateurs… ont fini par dévoiler la vraie nature d’Israël. Quel bel échec à l’actif de «la hasbara», ce  terme utilisé par  la propagande d'Israël et de ses partisans pour décrire les efforts visant à expliquer les politiques du gouvernement israélien et à vendre l’image d’Israël face à une presse négative, et pour contrer la délégitimation d'Israël**

Aujourd’hui, on lit dans le Harvard Crimson une rectification bienvenue à l’égard de la politique israélienne: "Par le passé, notre conseil d'administration était sceptique à l'égard du mouvement (et non, de manière générale, à l'égard de ses objectifs), affirmant que le BDS dans son ensemble n'abordait pas les nuances et les particularités du conflit israélo-palestinien". Nous regrettons et rejetons cette opinion".

Ce qui a changé, selon les rédacteurs du Harvard Crimson, c'est "le poids de ce moment - des violations des droits de l'homme et du droit international par Israël et du cri de liberté de la Palestine".

Qu’on mesure le chemin parcouru :  Par le passé, les rédacteurs du Harvard Crimson avaient qualifié d'"offensantes" et de "répugnantes" les comparaisons entre Israël et l'Afrique du Sud de l'époque de l'apartheid, l'éditorial publié vendredi compare favorablement les tactiques de BDS au mouvement anti-apartheid, tout en ajoutant qu'"Israël reste l'angle mort préféré de l'Amérique en matière de premier amendement", car les personnes et les entreprises qui critiquent Israël font régulièrement l'objet de critiques et de conséquences, parfois dictées par la loi de l'État.

Venant du plus ancien quotidien universitaire publié en continu aux États-Unis depuis 1873, dans l'université la plus sélective du pays, le seul quotidien de la ville universitaire de Cambridge (Massachusetts), le soutien si clairement affiché du Harvard Crimson fera bien du mal aux défenseurs d'Israël aux Etats Unis comme par exemple l’AIPAC et certains sénateurs républicains.  Selon ces derniers, les campus universitaires sont particulièrement hostiles aux étudiants qui soutiennent Israël, Etat colonialiste et ségrégationniste. Le plaidoyer pro-palestinien est devenu la règle sur les campus : En 2021, 11 gouvernements étudiants des Universités américaines sur 17 ont adopté des résolutions BDS. (Haaretz, 1er mai 2022).

Le journal a également salué l'activisme du Comité de solidarité avec la Palestine sur le campus de l’Université Harvard, qui a notamment organisé cette semaine une installation du "Mur de la résistance" dans la cour de Harvard, la visite sur le campus de deux célèbres universitaires juifs pro-palestiniens, Noam Chomsky et Norman Finkelstein, ainsi que des tables rondes sur la justice sociale consacrées à la "solidarité entre Noirs et Palestiniens".

Pour apprécier l’importance du soutien du journal à la cause palestinienne, il faut noter que, comme dans la plupart des journaux, le comité de rédaction du Harvard Crimson est distinct de la division des informations. Ses quelque 90 membres se réunissent trois fois par semaine pour débattre et décider des positions à prendre, et les éditoriaux reflètent une opinion majoritaire.  Parmi les anciens membres de la rédaction du journal, on compte l’actuel Secrétaire d’Etat Antony Blinken et le président de CNN, Jeff Zucker.
Ce qui se passe à Harvard est l’expression particulièrement symbolique des sentiments de rejet qui prévalent sur les campus américains au sujet de l’occupation, d’Israël et de sa politique d’apartheid en dépit des experts en com’ d’Israël**.

Mohamed Larbi Bouguerra

**Lire «La propagande d’Israël» d’Ilan Pappé (Investig’Action, 2016). L’historien israélien expose dans ce livre «la manipulation orchestrée de l’Histoire, mais aussi la propagande au quotidien: cinéma, théâtre, médias, l’instrumentalisation de l’Holocauste… Comment se fabriquent les arguments. Comment fonctionnent les réseaux internationaux de lobbying et les moyens financiers énormes investis pour «redorer» l’image d’Israël à l’étranger.»

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