News - 23.11.2021

Meurtres d’enfants par Israël : une brève histoire

Meurtres d’enfants en Israël : une brève histoire

Par Gideon Levy - « Nous avons d'abord eu honte, puis nous avons été choqués et nous avons même diligenté des enquêtes.

Puis nous avons nié et menti. Après quoi, nous avons tout ignoré et tout réprimé. Et, pour finir, nous avons bâillé d’ennui et perdu tout intérêt pour cette question.

Maintenant, c'est la pire phase de toutes : Nous avons commencé à exalter les tueurs d'enfants. C'est dire la profondeur de notre chute [morale].

Quand la honte n’est plus de mise

Le premier enfant dont je me souviens n'avait même pas un jour. Sa mère, Faiza Abu Dahuk, l’a mis au monde dans un checkpoint.

Elle en a été jetée dehors par les soldats et chassée de deux autres postes militaires. Elle a été contrainte de porter son bébé tout au long d'une sombre nuit de froid et de pluie. Quand elle est enfin arrivée à l'hôpital, le bébé était déjà mort.

L'affaire a été évoquée lors d'une réunion du cabinet israélien. Un officier a été renvoyé et il s'en est suivie une mini-tempête en Israël. Cela se passait en avril 1996, cette année de l'espoir et des illusions. Quatre ans plus tard, lorsque la seconde intifada a éclaté, des soldats ont tué Mohammed al-Dura devant les caméras de télévision** et Israël était déjà passé à la phase des démentis et des mensonges : al-Dura n'est pas mort. Les soldats israéliens ne l'ont pas tué ; peut-être s'est-il tiré une balle, peut-être est-il encore en vie aujourd'hui.

Des lambeaux de honte et de culpabilité s'accrochaient encore tant bien que mal à la conscience d’Israël. Par la suite, il y a eu 20 ans d'indifférence et de complaisance. Les soldats et les pilotes d’avion ont tué 2 171 enfants et adolescents [palestiniens]. Aucun de ces cas – pas un seul - n'a choqué quelqu'un en Israël ou déclenché une véritable enquête ou conduit à un procès. Plus de 2.000 enfants en 20 ans – 100 enfants, trois classes par an. Et tous, jusqu'au dernier, ont été reconnus coupables de leur propre mort.

N'importe quel Israélien serait heureux d'expliquer qu'ils étaient des terroristes et que les soldats ou la police n'avaient pas d'autre choix que de les exécuter. Dans l'alternative, entre la vie des enfants et la vie sacrée des soldats, bien sûr...nous préférons les soldats, bien que presque toujours, une troisième possibilité existe : que personne ne soit tué.

La semaine dernière, la phase suivante a été mise en œuvre. Israël fait l'éloge des tueurs d'enfants ; ils sont les nouveaux héros.

Cela ne s'est jamais produit auparavant. C'était des Palestiniens, des terroristes, mais c'était quand même des enfants. A partir de maintenant, prenez la vie d'un enfant palestinien et soyez un héros en première page du journal ou en tête du journal télévisé, avec ta photo osée, pixellisée. "Le héros de la Vieille Ville" - un officier de la police des frontières "a éliminé un terroriste et empêché une catastrophe majeure" (Yedioth Ahronoth, jeudi 18 novembre 2021). Aucune mention dans le titre de l'âge du dangereux terroriste, bien sûr, mais peu importe.

Franchir une ligne rouge morale

"Souviens-toi bien de moi", a écrit Omar Abu Sab, 16 ans, avant qu'il ne sorte de chez lui avec un couteau pour poignarder un officier de la police des frontières. Un clip vidéo publié par la police le montre s'approchant de deux officiers par derrière et les attaquant. Il était bien plus petit et plus mince qu'eux. Ils auraient pu l'arrêter. Ils n'avaient pas à lui tirer dessus, et ils n'avaient certainement pas à le faire. Ils n'avaient certainement pas besoin de le tuer, comme ils ont inutilement tué des enfants avec des couteaux avant lui et après lui. Mais transformer la fusillade visant un jeune de 16 ans armé d’un simple couteau en une grande histoire [épopée] c’est franchir une ligne rouge morale. 

Cela va encourager les meurtres inutiles de plus d'enfants, si tant est qu'un tel encouragement était nécessaire. Le doigt léger sur la gâchette deviendra encore plus léger qu’une plume.

Si, avant cela, il y avait la crainte d'une possible enquête bidon, maintenant une Médaille du Courage est déjà en préparation pour le héros. Les mots tuent.

Lorsque les tueurs d'enfants et d'adolescents, même quand ils sont armés d'un couteau, sont encensés par les médias et le commandement, cela encourage le prochain meurtre criminel. Il n'y a pas un seul enfant armé d’un couteau que la police des frontières, - qui est bien armée - ne peut pas arrêter sans coup férir et sans tuer. Mais la police est trop lâche. C'est ainsi qu'ils ont tué Eyad al-Hallaq, un adolescent autiste. Les vrais héros l'auraient arrêté, pas abattu. Mais pourquoi s'embêter si vous pouvez tuer et glaner,  en plus,  les palmes de héros ? La plupart des enfants que l'armée et la Police des Frontières tuent n'auraient pas dû être tués. Maintenant ça vaut le coup de les tuer, les médias vous décerneront le titre de « héros de la Vieille Ville".

Ce sont là tes héros, O Israël, des tueurs d'enfants et d’adolescents. »***

Haaretz, 20 nov. 2021
Traduit par Mohamed Larbi Bouguerra
Les sous-titres sont du traducteur

** Le jeune Mohamed Dura, âgé de 12 ans, a été tué par l’armée israélienne le 30 septembre 2000 alors que son père essayait de le protéger. Le correspondant de la télévision France 2 à Jérusalem, Charles Enderlin, un journaliste franco-israélien, a fait un reportage sur ce drame repris par les médias internationaux. En France, certains ont tenté d’absoudre de ce crime – en vain - l’armée d’occupation israélienne.

*** Outre ces horribles assassinats d’enfant et cette arithmétique dramatique dressée par Gideon Levy, il faut noter qu’à l’occasion de la Journée anniversaire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant 2021, les ONG palestiniennes de prisonniers comptent 1149 enfants arrêtés par le seul Etat pratiquant l’apartheid au monde depuis le début de l’année. Ces derniers ont été soumis à diverses formes de torture, affirment ces sources. A noter qu’Israël a ratifié cette Convention -adoptée le 20 novembre 1989 par l’AG de l’ONU. Israël n’honore pas sa signature !

Depuis 2000, 12 000 enfants palestiniens ont été arrêtés. Aujourd’hui, plus de 300 mineurs sont dans les geôles de l’occupant sioniste.

En s’attaquant aux enfants, à la jeunesse palestinienne, Israël s’en prend de manière globale à la société palestinienne et écrase son avenir. Une forme de nettoyage ethnique, en réalité.


 

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