News - 08.11.2021

Pour éradiquer la rage: il faut résoudre le problème des chiens errants

Pour éradiquer la rage: il faut résoudre le problème des chiens errants

Par Ridha Bergaoui - De nombreuses personnes sont mordues chaque année par des chiens errants, certains meurent de la rage. Malgré de longues années passées dans la lutte contre la rage, la Tunisie n’arrive pas à éradiquer cette maladie mortelle et incurable. Cinq décès au moins et plus de 250 cas chez les animaux ont enregistrés au cours de cette année.

Le chien errant représente le principal réservoir et vecteur du virus. Il le transmet par la salive, par morsures, griffures ou léchage sur peau abimée, aux autres animaux et à l’homme.  .

En ville, le nombre de chiens errants semble augmenter ces dernières années en raison surtout de l’accumulation des ordures et l’inefficacité des moyens de lutte. Le chien a un comportement grégaire et tend à vivre en groupe. Des hordes de chiens errants ne cessent de grossir et de se multiplier. Partout, dans les rues, les ronds points, les places et autour des poubelles, les chiens errants rodent en groupes parfois de plusieurs dizaines d’individus.
A part la peur et les nuisances qu’ils peuvent causer (aboiements, excréments, éparpillement des déchets…), ils représentent un réel danger public pour la santé des citoyens. De nombreuses zoonoses peuvent être transmises à l’homme dont la rage.

Les campagnes de lutte contre la rage 

La Tunisie a une très longue expérience en matière de lutte contre la rage. Le programme national de lutte contre la rage a démarré en 1982. Des campagnes nationales de vaccination gratuite sont  organisées, dans toutes les régions,  chaque année par le Ministère de l’Agriculture. La dernière campagne se déroule du 1er novembre et se poursuivra jusqu’à fin janvier 2022. 

Quarante ans après le démarrage de ces campagnes, on n’arrive toujours pas à éradiquer ce fléau mortel. Ces campagnes touchent très peu les chiens errants et s’adressent essentiellement aux chiens et chats dont les propriétaires sont connus. Aller trouver les chiens et les capturer pour les vacciner demande des moyens importants  de déplacement et en personnel spécialisé.

Par ailleurs, il y a probablement un problème de coordination. Alors que les campagnes de lutte contre la rage  sont conduites par le Ministère de l’Agriculture, la lutte contre les chiens errants relève de la responsabilité des municipalités.

Des campagnes d’abattage de plus en plus décriées par les citoyens et les médias

Pour lutter contre les chiens errants, les municipalités procédaient surtout à des campagnes d’abattage par balles. C’est une méthode barbare et inhumaine. Les cadavres des animaux abattus sont laissés parfois sur place. Le  matin, on assiste à des scènes atroces avec des cadavres baignant dans des flaques de sang, des petits chiots abandonnés après abattage de leur mère, des chiens agonisant et encore criant de douleur…

Cette méthode a été décriée à plusieurs reprises par les citoyens et surtout les défenseurs des animaux. Des photos très douloureuses circulent de temps en temps sur les réseaux sociaux pour dénoncer cette pratique barbare. Des médias étrangers également s’attaquent à ces pratiques qui nuisent à l’image de la Tunisie, pays touristique réputé paisible et pacifique.

Sous la pression des associations et des médias, les municipalités arrêtent les campagnes d’abattage. Le nombre de chiens errants ne cesse de grossir surtout  avec l’accumulation des ordures et des restes de nourriture.

L’abattage ne résout pas le problème des chiens errants

Il a été démontré, dans de nombreux pays, que l’abattage, l’empoisonnement ou la capture des chiens ne réduisent pas la population canine. Après abattage ou capture, on constate une redistribution de la population canine pour combler le vide et pour une meilleure utilisation de l’espace et des ressources alimentaires. Les survivants connaissent un taux de fertilité élevé suite à l’abondance de la nourriture et de nouveaux arrivants viennent combler la place laissée libre par les animaux éliminés.  Les effectifs sont rapidement rétablis et même augmentés avec des risques plus élevés de cas de rage.

Quoique la création de refuges avec possibilité d’adoption permette une nette amélioration des conditions de vie et de bien être des chiens vagabonds, elle reste toutefois très couteuse et ne résout pas la problématique des chiens errants.

L’euthanasie n’est pas non plus une bonne solution et elle est de plus en plus critiquée. Le principe étant que tout animal a le droit de vivre une vie décente en rapport avec les besoins de son espèce.

La stérilisation, la solution la plus efficace

La stérilisation permet d’arrêter la reproduction et de réduire le nombre de descendants. La chienne est un animal très prolifique. Elle peut donner jusqu’à 13 à 14 petits. La moyenne étant 5 chiots par portée. A raison de deux mise-bas par an et durant une dizaine d’années, une chienne est capable, durant sa carrière, de donner plus d’une centaine de descendants.

Par ailleurs, le chien est un animal territorial, qui défend énergiquement la zone qu’il exploite.  Afin de ne pas modifier la répartition de la population canine et de provoquer des territoires vides pouvant être occupés par de nouveaux venus, il est primordial de relâcher les chiens stérilisés au même endroit où on les a capturé.

Avec la stérilisation, l’animal est plus calme et moins agressif. Les chiens ainsi traités se retrouvent en meilleure santé et plus dociles. Sachant qu’ils ont été vaccinés contre la rage et stérilisés, les gens ont tendance à ne plus s’en méfier et à les approcher et même les nourrir sans aucune crainte. Chiens errants et citoyens pourront ainsi vivre ensemble en toute confiance.

Cette situation est fréquente dans de nombreux pays qui ont pratiqué cette approche intéressante comme la Turquie ou l’Espagne.

Le citoyen est également responsable

Le citoyen se plaint des chiens errants mais en même temps contribue à grossir les effectifs. En jetant ses ordures n’importe où, sans aucun respect des horaires de ramassage ou en les déposant par terre à coté des bennes, il encourage indirectement l’arrivée et l’installation de bandes de chiens errants. Le Tunisien gaspille beaucoup d’aliment et les ordures contiennent une quantité importante de restes de nourriture et de repas. L’accumulation de ces ordures et l’irrégularité de leur enlèvement par les services municipaux contribuent à attirer les chiens.

Elever un chien est une lourde responsabilité

On rencontre deux types de chiens errants. Ceux qui ont des propriétaires mais qui soit les laissent volontairement sortir et divaguer librement avec les autres chiens soit les ont abandonné d’une façon définitive. Il y a également les chiens qui n’ont jamais eu de propriétaires, sont nés et ont toujours vécu dans la rue.

L’abandon des chiens par leurs propriétaires, occasionnel ou définitif, est grave et le citoyen doit assumer ses responsabilités. De nombreuses personnes sont tentées posséder  un animal domestique comme le chien, intelligent et hypersocial. Toutefois posséder un chien est une lourde responsabilité. Il faut le nourrir, le soigner, l’éduquer et le promener toute l’année. Il faut avoir de l’espace, du temps, la patience et les moyens financiers nécessaires. Il est inadmissible de voir de gros chiens sur les toits des maisons, ou attachés dans un balcon ou dans une cage exigüe. Le problème des vacances se pose sérieusement et dans le cas où on n’a personne pour s’en occuper, le chien est enfermé des jours entiers ou abandonné dans la nature. En cas de maladie certains n’ont pas les moyens de l’amener chez le vétérinaire et abandonnent leur compagnon.

Pour une stratégie globale d’éradication de la rage

L’éradication de la rage passe par la maitrise de la population canine. Les chiens errants représentent le maillon faible du programme national de lutte contre la rage. Tant qu’il y a des chiens errants, la rage ne sera jamais éradiquée. La stratégie de l’éradication de la rage nous concerne tous.

Elle doit s’appuyer sur les services vétérinaires, la municipalité, les associations et la société civile et surtout le simple citoyen. Celui-ci doit être informé, sensibilisé et éduqué pour gérer correctement ses ordures et restes de la nourriture et éviter de les déposer n’importe comment. Il doit également prendre conscience que posséder un chien est une lourde responsabilité. Abandonner son chien est un geste très grave.

Les autorités doivent réglementer la possession des animaux de compagnie et obliger les propriétaires à les identifier et assurer le suivi sanitaire par un vétérinaire. Certains pays disposent d’une police spéciale destinée à contrôler le respect de la réglementation et le bien être animal. Tout contrevenant risque des amendes et même des peines de prison.

Les municipalités doivent fournir les bennes en bon état, éviter l’accumulation ordures et les enlever régulièrement. Pour stabiliser la population canine de chiens errants, la stratégie la plus efficace consiste à les capturer, les identifier, les stériliser chirurgicalement. Profiter pour les soigner, les vacciner contre la rage et autres maladies virales et leur donner des antiparasitaires. Enfin il faut les remettre à leur place.

Le Ministère de l’Agriculture ne doit pas se limiter à des campagnes dans les centres de vaccination et à vacciner les chiens et chats amenés par leurs propriétaires. Ces animaux présentent peu de risque de contamination par la rage. Ce sont les chiens errants qui représentent une véritable menace. Il faut aller à la rencontre de ces hordes de chiens qui se promènent librement en ville. Pour quoi ne pas envisager aménager des véhicules, du type fourgonnette ou bus, en salle d’opérations amovible pour se déplacer et stériliser les chiens sur place ? 

Enfin la coordination entre les différents intervenants  doit être bien réelle sur le terrain et ne pas se limiter à quelques réunions protocolaires. L’application de cette stratégie nécessite des moyens humains et financiers. L’enjeu est très important. De nombreux pays sont de nos jours indemnes de la rage et luttent pour éviter son introduction de nouveau sur leurs territoires.

Il faut rappeler que la vie des gens, des pertes économiques importantes et l’image de tout le pays sont  en cause. « Le jeu en vaut la chandelle ».

Ridha Bergaoui

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1 Commentaire
Les Commentaires
Carmelo - 09-11-2021 09:32

J'ai lu avec beaucoup d'intérêt votre article sur la rage transmise par les chiens, comment la traiter, quels en sont les moyens, quels sont les résultats, et je suis d'accord avec vous avec votre analyse directe de celle-ci. À mon avis, il a oublié un facteur très important que je vis ici en Tunisie au quotidien et qui aussi - s'il n'est pas pris en considération - ne résoudrait pas les dommages causés par la maladie : les chats. Eux aussi sont porteurs de la maladie, quoique dans une moindre mesure, mais il devra admettre que face à une présence de 100 chiens errants il y a une population de 1000 chats qui sont aussi abandonnés et super prolifiques. Un pays qui vit essentiellement du tourisme et donc aussi de l'image, devrait - comme vous le dites à juste titre - consacrer tous ses efforts à l'éradication de la rage, mettre en place des politiques d'information dès l'âge scolaire sur ce qu'est l'économie circulaire, sur le respect du voisin, sur la manière de bien livrer les ordures, sur la collecte et la gestion de celles-ci et, en même temps, gérer les animaux errants (tous les chiens et les chats) afin de leur assurer une capture temporaire, une vaccination complète et une réinsertion dans la société. J'espère que votre article parviendra à ceux qui doivent prendre des décisions concernant ce fléau. bon travail

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