News - 05.11.2021

La transnationalisation réduit-elle, ou non, les inégalités Nord/Sud ?

La transnationalisation réduit-elle, ou non, les inégalités Nord/Sud ?

Par Afif Traouli - La question des inégalités, cruciale dans le débat sur la transnationalisation, est une préoccupation mondiale, comme le démontre l’existence de l’Objectif du Développement Durable 10 dans l’agenda 2030 «Réduire les inégalités entre les pays et en leur sein».

On parle d’inégalité quand une personne ou un groupe détient des ressources, exerce des pratiques ou a accès à des biens et services socialement hiérarchisés. Trois niveaux d’analyse des inégalités peuvent être distingués : les inégalités internationales, les inégalités internes et les inégalités mondiales. Pour ce qui est des inégalités Nord/Sud, les inégalités internationales désignent les écarts de niveau de vie moyen par habitant entre pays.

Selon la Banque mondiale (BM), les inégalités Nord/Sud ont diminué depuis les années 1980-1990, période corrélée avec l’accélération de la mondialisation. Cette dernière agirait en faveur de la diminution des inégalités internationales, notamment grâce au rattrapage des économies émergentes et asiatiques. Cependant, la manipulation des données et les méthodes de calcul peuvent révéler finalement une hausse des inégalités, notamment au sein des nations, qui serait elle aussi corrélée avec le mouvement d’accélération de la mondialisation. Il ne serait donc pas évident d’affirmer que la transnationalisation réduit les inégalités Nord/Sud. Cette option peut notamment se justifier par une distinction des pays du Sud en fonction de leurs revenus. Ainsi, l’Afrique Subsaharienne peut illustrer que la mondialisation n’impliquerait pas forcément une réduction des inégalités Nord/Sud. Pour départager ces options, il faut prendre en compte, d’une part, l’ouverture internationale des économies du Sud et, d’autre part, leurs capacités matérielles, humaines et organisationnelles.

1. Dans la plupart des cas, la transnationalisation réduit les inégalités Nord/Sud

1.1 Une corrélation évidente entre l’évolution des indicateurs des inégalités et la transnationalisation

François Bourguignon, directeur de l’Ecole d’économie de Paris, met en évidence une convergence internationale des niveaux de vie depuis les années 1980. Cette convergence s’exprime par une réduction des inégalités entre les pays, comme le révèle l’examen des inégalités internationales. Parmi les méthodes de mesure des inégalités, on retrouve la comparaison des moyennes nationales des niveaux de vie, en utilisant le produit intérieur brut (PIB) par habitant. La pondération du PIB par habitant par le poids relatif de chaque pays dans la population mondiale est nécessaire puisque la croissance du revenu moyen de certains pays du Sud, comme la Chine et l’Inde qui représentent à eux-seuls 37,5% de la population mondiale, ont une influence plus importante que celle de petits pays. Cette méthode de calcul montre un ralentissement des inégalités depuis les années 1980-1990.

Le coefficient de Gini confirme cette tendance. L’étude des données entre 1820 et 2010 révèle que l’indice de Gini a connu un renversement de tendance dans les années 1990, caractérisant une tendance de baisse des inégalités internationales. Cette réduction des inégalités internationales s’accompagne d’une diminution de la pauvreté absolue dans le monde.

La dimension dominante de transnationalisation devient la mobilité de la production des biens et des services, puis la financiarisation. Les firmes transnationales (FTN) sont les acteurs principaux de ce processus, introduisant dans l’économie la segmentation des processus productifs au niveau mondial, suivant une logique de compétitivité. Les progrès mis en évidence empiriquement de la convergence des revenus et de la réduction de la pauvreté s’expliquent principalement par l’essor du commerce et des investissements mondiaux qui ont tiré une croissance dynamique.

1.2 De la nécessité d’une forte implication des économies du Sud

La transnationalisation réduit les inégalités Nord/Sud si deux conditions sont validées : l’ouverture contrôlée des économies aux échanges internationaux et la mise en place de politiques publiques nationales efficaces, ce qui est vérifié pour les pays émergents. En effet, l’internationalisation des firmes a amplifié les échanges et investissements internationaux, en mettant en place une décomposition internationale des processus productifs. Elle permet les transferts de technologie, la création d’emploi et les investissements dans les pays du Sud ayant opté pour une ouverture internationale, à l’origine d’une croissance économique et de création de richesse. Les FTN permettent alors d’expliquer le rattrapage des économies du Sud. Cependant, l’essor des FTN a engendré l’émergence d’une concurrence internationale, mettant les pays en compétition les uns avec les autres. Il est nécessaire que l’ouverture internationale soit accompagnée de politiques publiques nationales efficaces.

D’une part, les économies du Sud doivent contrôler leur ouverture internationale, comme le précise Joseph Stiglitz. Ainsi, pour assister à une convergence entre les niveaux de production des différents pays grâce à un taux de croissance des pays en développement supérieur à celui des pays développés, il faut une intervention étatique permettant aux économies du Sud de mobiliser leur capacité d’investissement matériel, humain et organisationnel pour se développer, faire face à la concurrence internationale et séduire les FTN.

D’autre part, si la transnationalisation transforme positivement l'économie mondiale, elle pose en revanche des difficultés à la main-d'œuvre, notamment du Sud, qui se voit confrontée à la concurrence internationale, mais également aux bouleversements technologiques. L’Organisation Internationale du Travail (OIT) prône à ce titre une redistribution des richesses et un filet social pour contrer les impacts sociaux sur la main d’œuvre moins qualifiée des pays du Sud. L’OIT propose un renforcement social autour de trois axes : amélioration de l'éducation et de la formation, mise en place de filets de sécurité sociale et adoption d'une législation du travail qui combinerait une souplesse économique avec la protection des groupes les plus vulnérables. Cette intervention sociale étatique permettrait de redistribuer les gains positifs de la mondialisation dans la population totale, permettant l’amélioration des conditions de vie.

Les pays émergents et certains pays de l’Asie du Sud-Est vérifient ces conditions. En effet, leurs économies ont mis en place un protectionnisme éducateur pour se développer, avant de s’ouvrir à la concurrence internationale. Une fois les économies ouvertes, l’intervention étatique est restée forte pour consolider l’attraction du territoire, mais également pour redistribuer les gains de l’ouverture.

2. Dans certaines conditions, la transnationalisation ne réduit pas les inégalités Nord/Sud

2.1 La faiblesse des outils de mesure des inégalités

La BM précise que les données permettant l’examen des inégalités sont à manipuler avec précaution. Si certains pays ne disposent pas de systèmes de comptabilité nationale efficaces permettant de mesurer de la création de richesse, les données statistiques sont souvent biaisées dans les pays du Sud, à cause de la présence d’une économie informelle importante qui implique la surestimation des écarts de niveaux de vie. Il faudrait également disposer d’un indicateur d’inégalités mondiales, car les pays n’ont pas les mêmes normes de collecte de données. Cela permettrait notamment d’effectuer une enquête mondiale sur les revenus des ménages selon des critères identiques établis en amont.

De plus, les inégalités de revenu sont un indicateur imparfait, et d’autres facteurs sociaux devraient être pris en compte, tel que les inégalités d’opportunité, mises en évidence par Milanovic. Ceci permettrait de rendre compte de la croissance des inégalités entre les pays. La BM recommande alors de procéder à l’amélioration de la collecte de données, en ce qui concerne leur disponibilité, comparabilité et qualité. En effet, la mondialisation possède sa part de responsabilité dans l'augmentation des inégalités mondiales. Malgré la réduction des inégalités internationales, on assiste à un phénomène de croissance des inégalités internes au sein des pays. En pondérant le PIB par habitant, on s’éloigne de la notion d’inégalités entre pays pour se rapprocher d’inégalités entre individus. On ignore donc les inégalités internes au sein des pays. La mondialisation aurait contribué directement, via la concurrence avec les pays à bas salaires, ou indirectement, via la libéralisation des économies et la désindustrialisation des économies du Nord, à une augmentation des inégalités au sein des nations. Lorsqu’on examine les inégalités internationales non pondérées, on peut constater que celles-ci continuent d'augmenter.

Cela signifie que l'écart entre les pays les plus pauvres et les pays les plus riches s’accentue. On peut également remettre en question la corrélation entre l’essor de la mondialisation et la potentielle réduction des inégalités internationales. En effet, même si l'on constate une modification de la répartition des revenus dans le monde depuis le début des années 1980, la corrélation n'est pas synonyme de causalité.

2.2 La transnationalisation ne réduit pas les inégalités Nord/Sud si on exclut les émergents asiatiques

La baisse des inégalités internationales est le produit du progrès asiatique couplé avec le ralentissement des pays du Nord. Les économies émergentes asiatiques, notamment la Chine, l’Inde, la Thaïlande, le Vietnam et l’Indonésie, apparaissent comme les gagnants de la mondialisation. L’étude de la croissance de ces pays révèle en effet l’émergence d’une classe moyenne.

La réduction des inégalités internationales entre pays est tirée par la croissance des pays émergents, notamment des pays asiatiques. Ce processus de rattrapage engagé à partir des années 1980, s’est étendu à une majorité des pays en développement. Parmi les facteurs d’accélération de la croissance, on retrouve l’ouverture internationale, l'insertion dans la division internationale du travail, l'accès aux marchés et aux technologies des pays du Nord.

Cependant, du fait de leur poids important dans la population mondiale, la Chine et l'Inde contribuent très largement à la réduction des inégalités entre pays. Cette dynamique de prise en compte des économies asiatiques masque des évolutions moins favorables, parmi lesquelles on retrouve la faible croissance ou la diminution du niveau de vie par habitant de certains pays pauvres. La BM précise en effet que l’extrême pauvreté a reculé dans le monde, mais qu’elle reste largement répandue en Afrique. La géographie de l’extrême pauvreté révèle l’exclusion de l’Afrique subsaharienne, qui affiche le taux de pauvreté le plus élevé au monde (41 %) et regroupe le plus grand nombre de pauvres (389 millions).

La question fondamentale est alors d’aider les pays du Sud à tirer parti de la mondialisation. Les pays d’Afrique Subsaharienne ont en effet un grand retard par rapport aux pays du reste du monde. La faiblesse de leurs capacités productives, organisationnelles et humaines les empêchent de s’insérer de façon optimale dans la mondialisation. En effet, si l’on s’appuie sur les différentes théories du commerce international, l’on s’aperçoit par exemple que la faiblesse des ressources bloque la spécialisation évoquée dans la théorie de Hecksher-Ohlin Samuelson. Ainsi, ils ne peuvent pas s’intégrer de façon optimale dans les chaînes de valeur mondiales, ou dans les échanges internationaux, provoquant une accentuation des inégalités entre les pays. Si l’on met de côté la Chine, l’Inde, ainsi que la majorité des économies d’Asie du Sud-Est, les données empiriques démontrant une réduction des inégalités entre les pays pourraient se révéler très différentes. Il faudrait donc introduire une distinction entre les pays du Sud. On y trouverait d’une part, les pays émergents ou les économies asiatiques, et d’autre part les autres, parmi lesquels les pays de l’Asie centrale ou les pays d’Afrique subsaharienne. Ce dernier groupe sont les pays qui ont plus de difficulté à attirer les FTN et donc à tirer profit des avantages de la mondialisation.

De toute évidence, pour réellement réduire les inégalités dans le monde, il faut que les pays réduisent leurs inégalités internes.

Afif Traouli
Diplômé en économie du développement de l'université Grenoble-Alpes.
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Amel Soula - 14-11-2021 21:46

La mondialisation est une opportunité pour ceux qui savent ajuster leurs voiles.

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