Opinions - 04.11.2021

A quand le printemps de l’Afrique ?

A quand le printemps de l’Afrique ?

Par Monji Ben Raies - Nous pensions que la démocratie avait gagné en Tunisie, qui avait renouvelé son parlement et désigné un président en une semaine. L'approfondissement de la démocratie avait fait naître l'espoir d'une répartition plus équitable de la richesse dans le pays. Renforcer la transition démocratique dans le pays, augmenter le pouvoir d'achat de la population, réduire le chômage, améliorer la sécurité, lutter contre le terrorisme, la corruption et la contrebande étaient les principaux thèmes. Nous les retrouvons dans toute l’Afrique qui souffre des mêmes maux et qui doit faire aussi sa révolution comme le peuple tunisien qui continue de la faire dans le cadre de la légitimité démocratique. Mais les intellectuels de l'Afrique, que l'Occident essaie encore de contrôler avec l'entendement néocolonial d’aujourd’hui, commencent à se démarquer de l’occident et à prendre des initiatives audacieuses dans les domaines de la langue, de la culture et de la politique. En sus de ce potentiel, les conflits internes et externes déclenchés par les problèmes politiques et économiques et les migrations internationales sont parmi les principaux problèmes de l'Afrique. Les crises qui s’y produisent aujourd'hui ont atteint un niveau qui affectera certainement toutes les régions du monde, demain.

L'Afrique est un pôle d'attraction. Pourquoi ?

C'est un fait indéniable que l'épidémie du nouveau type de coronavirus (Covid-19), le terrorisme et les conflits intestins causent de très graves problèmes politiques et économiques en Afrique. Toutefois, malgré cela, ses mines d'or, de diamants, de pétrole, de gaz naturel et autres ressources et la productivité des zones agricoles font de l'Afrique la géographie préférée du futur comme elle l'est déjà en partie, aujourd'hui. Le continent Africain, est donc le champ d’intérêts des puissances mondiales, d'une grande importance en raison principalement de ses ressources naturelles souterraines et aériennes, de son efficacité agricole, de ses ressources énergétiques renouvelables et de sa domination sur les routes commerciales internationales. Pour ces diverses raisons, l'Afrique est un centre d'attraction aujourd'hui comme hier.

Mais ce dont l'Afrique a vraiment besoin, c'est de former son identité nationale et de l’aide du monde pour ce faire ; La création d'une identité nationale est chose difficile qui doit l’être, dans la littérature, l'historiographie, le cinéma, le théâtre, l’économie, la sociologie et la politique et la langue est aussi importante que la création d'économies nationales ou intercontinentales.

Présence d'acteurs mondiaux en Afrique

L’Afrique a été l’objet de la convoitise des puissances colonialistes et la présence historique de l'Angleterre et de la France sur le continent se poursuit encore de nos jours. Mais s’ajoute à ce groupe, la puissance économique de la Chine dont la présence augmente de jour en jour. La supériorité idéologique de la Russie en Afrique pendant la période de la guerre froide, a perdu de son importance aujourd'hui sous le vent de la Mondialisation. Mais la Russie montre qu'elle ne veut pas abandonner cette lutte d’influence, avec le port militaire qu'elle tente d'établir au Soudan. Mais la position de la Chine, qui ne connaît pas d'impasse historique, continue de croître en tant que puissance économique avec des investissements énormes, des aides au développement et des prêts bon marché, dans les pays africains. Outre ces éléments de soft power, la Chine révèle le sérieux de sa présence en Afrique avec sa base militaire à Djibouti. Il est donc tout à fait clair que la Chine n’hésiterait pas à utiliser sa puissance militaire dans la région comme outil de dissuasion, si sa présence économique sur le continent devait en souffrir. L’ancien projet de la France d'unir le Sénégal, le Niger et l'Algérie par le chemin de fer à la fin du XIXe siècle est désormais corrigé par la Chine en une ligne ferroviaire « Djibouti au Sénégal ». Si d'une part, la Chine construit des chemins de fer, elle apporte d'autre part une contribution significative au projet de Belt Road, en ouvrant l'Afrique au commerce mondial avec l’aménagement d’une cinquantaine de ports maritimes qu'elle a le droit d'utiliser. En mer Rouge, l'une des routes les plus importantes et les plus utilisées du commerce mondial, nous constatons que de nombreux pays sont en lutte de pouvoir. En plus de la demande de la Russie pour une base militaire à Port Soudan, les Émirats arabes unis commencent de réaliser d'importants investissements commerciaux dans cette région stratégique.

L'Afrique a indéniablement le potentiel de redonner vie au Monde avec, ses ressources naturelles, son efficacité agricole, ses ressources énergétiques renouvelables et le volume de son marché commercial. C'est pourquoi l'Afrique est devenue le champ de compétition des puissances internationales. Avec l'arrivée de ces nouveaux acteurs dans la région, des changements visibles ont commencé de se produire en Afrique. La concurrence serrée que se livrent les anciens pays coloniaux a également provoqué des changements importants dans leurs politiques et dans leur vision de cette zone géopolitique. Les pays coloniaux, notamment la France, s’ils veulent conserver une place vont devoir affronte leur histoire et celle qu’ils ont écrite en Afrique.

Les intellectuels d'Afrique prennent des initiatives audacieuses

Ce n’est plus un secret que les Etats colonialistes ont non seulement pillé les biens de l'Afrique et asservi son peuple, mais ils ont aussi façonné toutes ses structures politiques et culturelles selon leurs volontés en dominant les esprits du continent et sa terre. Les intellectuels d'Afrique, que l'Occident essaie toujours de gouverner avec l'entendement néocolonial, prennent des initiatives audacieuses dans les domaines de la langue, de la culture et de la politique. Ils commencent à se démarquer de ce que dénonçaient Léopold Sédar Senghor (1906-2001) hier dans ses écrits comme à la tribune de l’Assemblée Générale des Nations Unies. En essayant de se débarrasser des carcans culturels et politiques de la période coloniale, ce dont l'Afrique a vraiment besoin, c'est de contribuer à la formation de son identité nationale. La création d'une identité nationale dans la littérature, l'historiographie, le cinéma, le théâtre et la langue est aussi importante que la création d'économies nationales. C’est ainsi que, malgré près de 600 ans d'exploitation, l'Afrique possède encore aujourd'hui les plus grands atouts économiques du monde. La seule chose dont les pays africains ont besoin c’est de croire qu'ils peuvent utiliser la richesse qu'ils ont pour s’ériger en nouvelle puissance économique dans le monde. Cette transformation progressive de la mentalité africaine a naturellement provoqué un changement dans les perspectives des anciens colonialistes vis-à-vis de l'Afrique. Ainsi par exemple, afin d'améliorer ses relations avec l'Algérie, la France a reconnu que ce qui s'était produit dans le passé était "un crime contre l'humanité". Dans un discours à Kigali, l’actuel Président français a avoué : "J'accepte nos responsabilités en me tenant à vos côtés avec humilité et respect".

Tout en affirmant regretter ce qui s'est passé au Rwanda, la France n'a pas hésité à laisser entendre que la faute en revenait aussi aux Tutsis et aux Hutus. Le Roi de Belgique s'est implicitement excusé auprès de la population Congolaise pour les massacres qui ont été perpétrés durant la période coloniale. La Grande-Bretagne a accepté de payer un certain montant symbolique de compensation, s'excusant pour les Mau Mau au Kenya ; La révolte des Mau Mau ou des Mau-Mau est un mouvement insurrectionnel du Kenya des années 1950. Ce groupe rebelle agissait à cette époque au nom du peuple Kikuyu opprimé par l'Empire britannique au Kenya. De 1952 à 1960, plus de 10 000 Mau Mau ont perdu la vie, torturés et exécutés sans procès par les autorités coloniales britanniques. Le Premier ministre italien s'est excusé pour les "blessures non cicatrisées" de la Libye et a déclaré qu'il verserait des indemnités aux ayants droits des victimes. La République fédérale d’Allemagne, quant à elle, a reconnu publiquement, en mai 2021, avoir commis un génocide contre les communautés Herero et Nama, en Namibie, et a engagé 1 milliard d'euros d'aide au développement en compensation. Entre 1904 et 1908, environ 80% du peuple herero, soit environ 65 000 individus et 50%du peuple nama, environ 10 000 personnes, vivant sur le territoire de l’actuelle Namibie ont été exterminés par les forces du Deuxième Reich. Ce crime de l’histoire coloniale africaine est aujourd’hui considéré comme le tout premier génocide du XXe siècle.

En revanche, l'Espagne et le Portugal, sont restés silencieux car ils ne peuvent ou ne veulent pas rendre compte de leur passé colonialiste. Lorsque le général Franco réalisa son coup d’Etat contre la République espagnole, il était en Afrique, dans les régions sous protectorat que l'Espagne possédait au Maroc. Manquant d'hommes et de moyens pour se lancer à la conquête de l'Espagne. Il enrôla des habitants du Rif, région occupée par l'Espagne. En juillet 1936, Plus de 60.000 soldats marocains, les « moros », encadrés par des officiers espagnols, furent envoyés en Espagne pour servir de ‘’chair à canon’’, mais aussi comme d’arme psychologique contre les Espagnols qui refusaient de faire allégeance à Franco. Il faut dire que dans Rif marocain, région sous contrôle espagnol, la population était sortie écrasée de la révolte de 1921 à 1926 menée par Abdelkrim, par une alliance militaire réunissant militaires français et espagnols, ces derniers menés par Franco. Au Portugal, des générations ont été nécessaires pour que l’État entérine finalement le principe d’une disparition de l’esclavage. L’esclavage y était ancré dans l’économie, dans les pratiques et dans les mœurs depuis la plus haute Antiquité. En février 1961, répression sanglante d’une révolte de paysans angolais par des forces armées Luso-belges, lesquelles ont détruit 17 villages au napalm dans la région de Baixa do Kasanje en Angola. Un mois après les guerres coloniales d’Angola, Mozambique et Guinée commencèrent pour durer treize ans.  Jusqu’à aujourd’hui, le Portugal n’a pas entamé le devoir de mémoire. Ces faits démontrent qu’une grande partie de l’Histoire de l’Afrique doit encore être écrite dans les anciens pays colonisés. Elle doit être questionnée en permanence pour empêcher que la mémoire ne sombre dans le silence imposé. Pour construire l’avenir, il faut se fonder sur le socle culturel du passé. Les idées et les valeurs positives, essentiellement humanistes, doivent être préservées, revivifiées et transmises à tous les Africains. Les empires coloniaux se sont bâtis au détriment des cultures africaines et parfois avec des violences physiques ou psychologiques et tous leurs impacts. L’Afrique aimerait à croire que la colonisation est aujourd’hui un fait révolu ; pour cela, elle a payé un prix énorme dans le processus de libération mentale qui commence de s’amorcer. Compte tenu des conflits internes en Somalie, au Soudan et en Libye, et des interventions au Mali, au Tchad, en Erythrée, et en Guinée, on constate que ces dettes physiques sont toujours en train de se payer. Mais les pays africains continuent de renforcer leurs infrastructures militaires avec des armes dites de défense, de nouvelles générations, qu'ils achètent à différents pays d’occident sous prétexte de prévenir des conflits internes soutenus par les anciennes colonies.

L'initiative de la Turquie pour inspirer l'Afrique

La Turquie, qui contribue à ce processus, tente de développer des relations culturelles, politiques et économiques avec l'Afrique au moment où son ouverture mentale commence à trouver une réponse positive sur sa base sociale. La Turquie se pose, paradoxalement, en tant que défenseur d'un nouvel ordre mondial, thématique qui continue d'inspirer les pays africains. Les relations historiques et culturelles de la Turquie dans la région de l'Afrique de l'Est, qui s'étend à l'ensemble de l'Afrique du Nord, du Sahel et de la Tanzanie, ont pris une nouvelle dimension avec l'expansion africaine réalisée au cours du dernier quart du XXème siècle.

Le fait que la Turquie, qui a des centaines d'années d'association avec l'Afrique, n'ait pas d'histoire dont elle pourrait avoir honte et pour laquelle elle devrait s'excuser, attire l'attention en tant que puissance d’aujourd'hui. La Turquie accueille d’ailleurs des milliers d'étudiants africains dans la perspective de la construction de l'Afrique du futur. Les études des institutions turques opérant en Afrique dans le domaine de l'éducation, de la culture et du développement sont un sujet d'évaluation de leur coopération en soi. Au-delà de l'aide humanitaire ostensible qui satisfait la conscience, l’Afrique est demandeuse de capacités et de projets, notamment dans les domaines de l'agriculture, de l'élevage, de l'éducation et de la santé, dans le cadre d’une coopération occidentale avec les pays africains, sans rien attendre en retour. Dans ce contexte, des objectifs stratégiques importants sont fixés et des accords sont signés lors de sommets avec une participation de haut niveau, où toutes sortes de relations économiques, culturelles et politiques sont discutées. Mais il demeure qu’il n'est pas possible de considérer l'Afrique à travers le prisme historique ou sociologique de l’Europe continentale. Il n'y avait pas de société de cour ou d'église pour combattre en Afrique. Ainsi, les idées libertaires se sont développées beaucoup plus originellement loin de ces paradoxes. Et c’est par une décision d'élites, que l'Afrique est devenue une entreprise politique et sociale d’envergure. Dans un tel cas, le principe de base était de ne pas trop impliquer le public, l'Afrique n'étant pas une démocratie car ils confondraient démocratie et ordre.

La vulnérabilité africaine à la crise climatique

Un autre problème qui a accru l'importance de l'Afrique dans la période du ‘’Printemps africain’’ est la crise climatique. Le changement climatique affecte négativement de nombreuses régions du monde, mais en Afrique, ce sont ses capacités de production agricole qui sont menacées. Une grande partie de l'Afrique, où la production agricole peut se faire en toutes saisons, a une productivité qui peut répondre aux besoins alimentaires du monde. En Afrique nombre de pays sont en lutte de pouvoir, alors qu’ils devraient développer le continent afin qu’il réponde, déjà, à leurs propres besoins, ce qui permettrait d’assurer la stabilité dans cette région du monde.

Le changement climatique pourrait déclencher une migration massive de population vers le Nord. C’est ce que prévoit le rapport "Groundswell Africa : Internal Climate Migration in West African Countries" publié par la Banque mondiale, dans lequel il a été annoncé que 38,5 millions de personnes pourraient migrer d’Afrique en raison du changement climatique. Il a été souligné que des millions de personnes dans de nombreuses régions d'Afrique pourraient devoir quitter leur foyer en raison du changement climatique, au cours des 30 prochaines années, bien que les effets des facteurs démographiques et socio-économiques diffèrent d'un pays à l'autre. Il faut prendre en considération que la moitié de la population du continent, soit environ 600 millions de personnes, a environ 20 ans. D'ici 2050, dans le scénario le plus pessimiste, le Niger, le Nigeria et le Sénégal, la Tunisie, et bien d’autres devraient avoir le plus grand nombre de migrants climatiques intérieurs. D'autre part, la migration pourrait aussi se produire dans les pays d'Afrique de l'Est tels que le Kenya, l'Ouganda, le Burundi et le Rwanda pour les mêmes raisons. Selon les estimations, 38,5 millions de personnes pourraient migrer en Afrique de l'Est, d'ici 2050, si les mesures nécessaires ne sont pas prises.

La priorité est d'être «libre de la colonisation mentale»

L'Afrique n'est plus une zone géographique dominée par quelques pays comme autrefois. Les acteurs d'hier et ceux d'aujourd'hui doivent lutter différemment, non plus par les armes, mais avec une approche compétitive qui stabiliserait l'Afrique. Sinon, l'Afrique serait perçue comme une grande menace, et non pas une opportunité.

En Afrique même, où il y a une forte concurrence politique, militaire et commerciale, le succès ne s'obtient plus avec de l'argent et des armes, mais avec la culture du progrès et de la modernité. Mais tant que la mentalité créée par le colonialisme ne prendra pas fin, la lutte de l'Afrique pour son devenir restera toujours sur la pointe de l'iceberg, prête à chavirer et couler au fond de l’océan de l’Histoire. Les intellectuels et politiciens africains ont, certes, franchi une étape très importante dans la création d'une nouvelle identité. Dans ce processus, les pays d’occident qui soutiennent l'Afrique, contribueront au sort des pays africains assis à la table des négociations avec leurs interlocuteurs, dans des conditions plus égales.

Par conséquent, la première priorité de l'Afrique c'est être libre de toute domination mentale.

Approcher les relations Afrique-Tunisie à travers les yeux de l'Afrique

La Tunisie pourrait jouir, si elle s’en donnait la peine, tous comme les autres pays du Maghreb d’ailleurs, d’une position politique des plus favorable en Afrique (du leadership), ce qui pourrait théoriquement lui permettre d'être un passage obligé entre l'Europe et l'Afrique subsaharienne. Mais à l’image des autres pays d’Afrique du Nord, les relations tunisiennes avec l'Afrique subsaharienne sont faibles, presque insignifiantes, puisque représentant moins de 3% de ses échanges extérieurs. Mais elle regarde davantage vers le Nord, l'Occident en général et l'Europe en particulier, ainsi qu'en direction de l’Est, vers les pays arabes du Proche et Moyen Orient, sans que ceux-ci puissent représenter une réelle opportunité. Depuis 2011 et le changement de régime, si le discours sur l'intérêt de la Tunisie pour l’Afrique a évolué sur le plan théorique, la réalité est que le secteur notamment privé n’est pas motivé et est faiblement assisté par l'État tunisien pour investir les marchés situés au sud du Sahara. Au-delà des mots, la Tunisie est réticente à étendre son influence en Afrique Subsaharienne. Pour preuve, son ambassade à Addis-Abeba, ville qui héberge le siège de l'Union Africaine, tout comme, d’ailleurs, ses neuf autres ambassades d’Afrique, fonctionnent en sous-effectif diplomatique et indigence structurelle. L’Etat tunisien a manqué de nombreuses occasions de s’affirmer sur le continent. Ainsi en est-il de la non-participation de président tunisien au 34e sommet de l’Union Africaine, de l’absence de la Tunisie à la 39ème session du Conseil exécutif de l’Union Africaine qui devait permettre l’élection de deux membres au Comité exécutif. Ces lacunes diplomatiques soulignent le manque d’engagement affiché de l’État Tunisien auprès du continent. Il s’ajoute qu’en dehors du Maghreb, la compagnie aérienne nationale ‘’Tunis Air’’ ne dessert que six destinations africaines, au-delà du Sahara, Dakar, Abidjan, Conakry, Bamako, Niamey et Ouagadougou. Les promesses d’élargir l’éventail à d’autres destinations (Cotonou, Khartoum, Douala et N'Djamena, et enfin Lagos, Accra et Libreville) sont restées lettres mortes.

La génération Y comme les dirigeants tunisiens se distinguent comme croyant le moins en l’Afrique, à ce jour. Pourtant, en Afrique Subsaharienne, la Tunisie ne manque pas d'avantages comparatifs et pourrait jouer un rôle d’avant-garde en fondant son action sur son image de relative neutralité politique. Mais les individus nés entre 1981 et 1996, déçus par les performances de la démocratie en Tunisie, tournent leurs regards plutôt vers le nord, en quête de promesses illusoires. Les résultats montrent que les générations précédentes faisaient davantage référence à l’appartenance Africaine de la Tunisie, notamment le Président Bourguiba. Ce qui unit ces deux générations qui ont suivi celle des premiers temps de l’indépendance, c’est cette amnésie quant à l’Africanité de la Tunisie. L'inégalité croissante du développement, celle flagrante des revenus et le chômage dans la plupart des pays du continent sont à l'origine de l'incrédulité du potentiel africain. La Tunisie n'est pas parvenue à profiter de ses atouts pour intensifier son réseau africain et obtenir une position privilégiée sur le continent.

Le sommet de la Francophonie aurait pu servir de tremplin pour la Tunisie en vue de faciliter ses relations politiques avec l'Afrique francophone et par ce biais, se réconcilier avec son appartenance géographique. Cependant, la Francophonie ne couvre pas tous les Pays avec lesquelles la Tunisie n'a pas de réseaux fonctionnels. Aussi devrait-elle songer à mieux diversifier ses partenariats. Le discours gouvernemental sur l’Afrique depuis 2011 et le manque d’efforts des entreprises tunisiennes sont la conséquence de la difficulté que le pays éprouve à s’accorder avec les pays d’Afrique Subsaharienne d’autant qu’elles doivent entrer en concurrence avec les puissances maghrébine et européennes. Le désintérêt manifesté pour l’Afrique doit ainsi d’autant moins se comprendre, dans un contexte de nécessité économique pour la Tunisie. L’on peut être très bien enraciné dans sa culture et néanmoins s’ouvrir aux autres, savoir faire la part des choses, reconnaître des acquis positifs de notre relation avec l’occident, tout en n’omettant pas notre appartenance géopolitique continentale et nous en servir pour élaborer notre pensée, pouvoir dialoguer avec le monde sans complexe, au lieu d’être en permanence dans les récriminations et les frustrations qui ne changeront rien à la donne. Notre africanité est d’autant plus précieuse qu’elle est antérieure à notre arabité, puisqu’elle est originelle, inscrite dans la pierre.

Africanité et arabité, la Tunisie est l’incarnation même de l’Afrique parce qu’elle a été un phare civilisationnel comme l'’’Ifriqiya’’ (également orthographiée ‘’Ifriqiyya’’, elle correspond à la Tunisie actuelle augmentée de l'Algérie orientale et d'une partie de la Tripolitaine) à écrire l’Histoire légendaire de l’Afrique, et qui lui aura permis de rendre compte de sa culture et de la rendre ainsi plus accessible aux Africains eux-mêmes qui ont cet héritage en partage, mais aussi bien sûr à l’Humanité toute entière dont elle est le berceau. Cette histoire particulière nous a aussi donné les clés pour enrichir notre sagesse, construite au travers de la connaissance et des savoirs d’autres cultures. L’Ifriqiya a pu s’abreuver, à travers les âges, des grands savants philosophes et écrivains d’Occident et d’Orient. Ce grand patrimoine de plus d’une quarantaine de siècles, mais aussi un fond d’archives d’une valeur scientifique inestimable, elle les a légués à la culture africaine, à toute l’Afrique, et à l’universalisme dans son entier. Un sentiment caché continuera et nous reliera toujours à ‘Afrique. Il y a avec elle une relation millénaire, intime, profonde, et on gagnerait tous, Tunisiens comme Subsahariens à capitaliser sur les acquis. Nous sommes aujourd’hui des Etats indépendants et que faisons-nous de ces indépendances ? Valorisons-nous notre propre culture ? Nos dirigeants ont-ils vraiment une vision claire pour le Continent ? Rester nous-mêmes, voilà le véritable défi qui se pose à nous, en tant qu’Africains, cessons d’aller chercher nos modèles hors de chez nous. Les valeurs africaines peuvent aujourd’hui vraiment aider la Tunisie à se reconstruire, à se réconcilier avec elle-même et avec des partenaires diversifiés pour que la paix sociale puisse émerger.

Monji Ben Raies
Universitaire, juriste internationaliste et politiste;
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques;
Université de Tunis El Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis



 

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