News - 20.09.2021

Comment la Tunisie a su se hisser au 3e rang des pays innovants dans le secteur industriel en Afrique

L’innovation dans le secteur agro-industriel en Tunisie : réalités & défis

Par Yousser Hamza - L’innovation dans le secteur industriel est très dynamique dans les pays développés et représente un des piliers de développement.

La Tunisie est bien placée dans le tableau de bord international de l’Innovation. Dans l’édition 2020, la Tunisie fait partie des États les mieux classés de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) en se hissant à la 65e position.

A l'échelle africaine, les trois premières places sont occupées par Maurice (52e), l'Afrique du Sud (60e) et la Tunisie (65e). Ce classement est obtenu à partir de deux catégories d’indicateurs : capacités et résultats. Ce bon classement pour la Tunisie est surtout obtenu grâce à un bon scoring lié à la première catégorie d’indicateurs, à savoir la capacité et les moyens de l’écosystème pour produire de l’innovation; ceci se traduit notamment par les centres de recherche et les compétences dans ce domaine.
Les indicateurs liés aux résultats de la valorisation des résultats de recherche pour la production de biens et de services sont toutefois moins performants.

Prenons l’exemple du secteur de l’agro-industrie: l’innovation dans ce secteur est en effet bien timide en Tunisie. Elle est peu présente dans la stratégie des PME/TPE. Le secteur a fait certes de grandes avancées dans différents domaines comme celui de la qualité grâce au processus de mise à niveau entamé depuis 1995. Le contexte du pays durant la dernière décennie n’a pas toutefois favorisé la continuité de ce processus et notamment le développement d’une stratégie d’innovation vu que les PME ont surtout travaillé sur la consolidation des acquis. Il y a donc un problème de contexte en premier lieu.

Le chef d’entreprise considère par ailleurs que l’innovation coûte chère et n’est pas rentable compte tenu des caractéristiques du marché tunisien, marché dominé par le prix. Il y aurait donc en plus du contexte non favorable un problème de marché. Mais ceci ne justifie pas l’absence d’une stratégie d’innovation.

Avant de donner des pistes de réflexion, il est important de définir ce que c’est l’innovation. Selon le manuel d’Oslo de l’OCDE, l’innovation est la mise sur le marché avec succès d’un produit (bien ou service), d’un procédé, d’une méthode marketing ou d’une méthode organisationnelle ayant un caractère nouveau ou représentant une amélioration majeure par rapport à l’existant.

Les modèles les plus anciens étaient principalement centrés sur l’innovation technologique de produit et de procédé, mais désormais, l’innovation non technologique a toute sa place dans les stratégies des entreprises et des états. L’innovation marketing/commerciale et organisationnelle prend toute sa place aujourd’hui notamment grâce aux NTIC.

Parlons tout d’abord de l’innovation produit/process; il est vrai que ce type d’innovation nécessite des moyens tant humains, matériels que financiers.

Nos PME agro-industrielles sont très peu dotées d’infrastructure de recherche et développement. La collaboration avec les centres de recherche relevant des établissements de l’enseignement supérieur est par ailleurs peu développée; le rapprochement du secteur industriel au monde de la recherche et le développement associé d’un process de transfert technologique est fortement souhaité. Il nécessite tout d’abord une réelle volonté d’ouverture des deux parties intéressées afin de pallier le déficit de confiance qui caractérise la relation actuelle. Des programmes comme le programme IDEE soutenu par la GIZ ou le programme Technoriat financé par l’Union européenne travaillent actuellement pour favoriser ce rapprochement en se focalisant notamment sur le processus de transfert technologique et la propriété intellectuelle.

L’innovation produit/process nécessite par ailleurs au niveau de la PME des investissements techniques et financiers dont la rentabilité est considérée risquée sur un marché de 12 millions habitants avec un pouvoir d’achat en baisse. L’innovation produit est toutefois plus intéressante en termes de rentabilité dans le cas où l’entreprise est positionnée à l’export ; les exemples sont nombreux sur des filières exportatrices comme la filière des dattes où l’innovation connaît une meilleure dynamique.

Si l’innovation produit/process peut se révéler peu rentable pour l’agro-industrie en raison de son coût, l’innovation marketing/commerciale et organisationnelle peuvent présenter plusieurs bénéfices pour la PME en répondant aux besoins actuels et futurs du consommateur tunisien. L’intérêt de l’innovation étant d’anticiper ces besoins qui peuvent évoluer très vite.

Ainsi, l’innovation marketing/commerciale peut introduire de nouvelles méthodes permettant de mieux commercialiser et valoriser l’offre des produits alimentaires. Le développement du e-commerce est un exemple de réponse exigée par le contexte Covid qui a poussé certaines entreprises à se positionner sur le réseau virtuel de commercialisation. 

Le dernier baromètre de l’innovation de 2021 à l’échelle internationale parle d’une révolution de l’information pour la prochaine décennie dans l’agro-alimentaire.  Et dans ce domaine, plusieurs solutions peuvent être développées pour mieux informer le consommateur sur les produits qu’ils achètent, notamment pour une consommation plus responsable. L’information étant aujourd’hui le parent pauvre du secteur agro-alimentaire en Tunisie et est restée basée sur des méthodes classiques telles que l’étiquetage des produits qui présente des carences ou la publicité classique.

Au niveau l’innovation organisationnelle, le champ de la digitalisation et l’industrie 4.0 constituent un potentiel énorme en matière d’innovation pour améliorer la productivité des usines avec un impact significatif sur la réduction des coûts notamment. La gestion de l’information est devenue le nerf de la guerre dans certains secteurs fortement concurrentiels.

L’innovation organisationnelle peut aussi constituer un outil pour répondre à des préoccupations environnementales ou sociétales, la RSE étant aujourd’hui un des piliers de développement du secteur agro-alimentaire dans les pays développés. Et ici, les bénéfices peuvent être multiples, tant au niveau de l’image de l’entreprise qu’au niveau de l’amélioration de ses performances et la réduction des coûts surtout quand elle est associée à une innovation process (coût énergétique notamment). L’innovation pour une économie inclusive peut aussi constituer une stratégie gagnante.

Certains groupes agro-alimentaires tunisiens ont commencé à formaliser ces préoccupations dans une stratégie de l’Innovation ; ce n’est pas le cas de la PME/TPE qui reste à la traîne dans ce domaine.

Pour relancer la machine de modernisation auprès de ces PME, l’Etat est appelé à envisager de nouveaux mécanismes de soutien et de financement pour les accompagner dans ce processus. Certes, des fonds dédiés à l’innovation existent aujourd’hui mais ils sont soit en panne (cas du PIRD, PNRI) soit peu encourageants (cas du VRR).

Un mécanisme encourageant les projets de transfert technologique entre l’entreprise et les établissements de recherche vient de voir le jour dans la nouvelle loi de relance économique votée au mois de juillet 2021; le flou persiste toutefois quant à sa validation et donc son application effective.

Le temps urge pour mettre en place ces mécanismes de soutien et de financement car l’innovation n’attend pas !

Yousser Hamza
Ingénieur AgroParis Tech
Consultante en management de l’Innovation

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