News - 24.05.2021

Soif et incendies: les deux menaces à l’approche d’un été qui s’annonce difficile et chaud

Soif et incendies : les deux menaces à l’approche d’un été qui s’annonce difficile et chaud

Par Ridha Bergaoui - L’année en cours a connu un déficit pluviométrique important et les réserves hydriques disponibles au niveau des barrages sont réduites. L’été est là et il commence à faire chaud. Le risque est grand d’une part de manquer d’eau et d’autre part de voir partir des feux d’incendie des récoltes et des forêts. Ces menaces, devenus presque ordinaires, se sont multipliées et aggravées, ces dernières années, en raison surtout de la sécheresse et le déficit pluviométrique des deux dernières années.

Une situation des barrages peu réconfortante

La pluviométrie, pour l’année en cours, a été plus faible que la moyenne. L’année dernière a été également peu pluvieuse. La situation hydrique est difficile et le pays est en train de vivre un stress hydrique grave.

Les données de l’Observatoire National de l’Agriculture, concernant la situation des barrages pour la journée du 21 mai 2021, montre que les réserves d’eau sont estimées à 1 141,889 Mm3,  contre une moyenne des trois dernières années de 1 412,481. C’est donc un déficit de 270,592 Mm3. Les apports au niveau des barrages, depuis le premier septembre, sont évalués à 758,764 Mm3contre une moyenne de 1767,616 millions soit 42,9% seulement.

Le taux de remplissage global des barrages est de 49,4% de leur capacité (sans tenir compte de l’envasement de ces barrages). Ce taux de remplissage est de 56,9 % pour les barrages du Nord, 39,3% pour les barrages du Cap-Bon et 20,4% pour ceux du Centre. Certains barrages du centre sont presque à sec (taux de remplissage inférieur à 10%). C’est le cas des barrages de Nebhana, El Houareb, Sidi yaïch et El Brek. Le barrage de Sidi Salem, le plus grand barrage de Tunisie, situé dans la région de Béja est à seulement 48,3% de sa capacité.  
Ces réserves ne cessent de diminuer, d’une part en raison des prélèvements réguliers (pour l’irrigation, les ménages et les autres usages) mais également suite à l’évaporation, l’infiltration à travers le sol et les pertes au niveau des infrastructures.

L’eau potable risque de manquer cet été

L’été est la saison qui connait le pic de la consommation d’eau alors que les ressources sont au plus bas. Pour de multiples raisons (tarissement de la ressource, panne électrique, mauvaise qualité de l’eau en raison de la surexploitation…), chaque été des milliers de personnes se trouvent privés d’eau potable. Plusieurs régions ont vu l’approvisionnement en eau interrompu surtout lors des fêtes de l’Aïd où toutes les familles se mettent simultanément à utiliser l’eau du robinet à l’occasion de l’abattage et la préparation du mouton de l’Aïd. Ces dernières années, les fêtes de l’Aïd coïncident malheureusement avec  la saison estivale.

Le manque d’eau potable, touche non seulement les régions peu pourvues en eau mais également des régions du Nord-Ouest comme Jendouba où se trouvent les principales infrastructures  hydrauliques du pays.

L’accès à l’eau de boisson demeure plus difficile en milieu rural, même si d’énormes efforts ont été faits pour améliorer la situation. Dans ces régions, les GDA, chargés d’assister la SONEDE dans la distribution de l’eau potable en milieu rural, peinent à entretenir les installations et  payer les fournisseurs surtout la STEG et la SONEDE. Celle-ci interrompt la fourniture de l’eau et les habitants sont privés d’eau. Ils sont obligés d’aller chercher l’eau, à pied, à quelques kilomètres de leurs domiciles et à ramener, dans des bidons et sur le dos,  une eau de qualité parfois douteuse. Ceci contribue à la création de tensions et un sentiment d’injustice et d’inégalité menant à des manifestations et des protestations parfois violentes.

Les faibles précipitations de ces deux dernières années, le faible niveau des réserves dans les barrages, surtout ceux du Centre, représentent un sérieux défi pour le Ministère de l’Agriculture afin de satisfaire une demande croissante en eau pour l’irrigation et surtout la boisson. Par ailleurs, le niveau des nappes superficielles et souterraines, qui représentent une source complémentaire en eau potable pour certaines régions, ne cesse de baisser et la qualité de l’eau de se détériorer. Le dessalement des eaux saumâtres et de l’eau de mer reste très limité, très couteuse et polluante.

Face à cette situation de stress hydrique, le Ministère de l’Agriculture a commencé à prendre des mesures pour assurer au mieux la fourniture des diverses régions en eau potable. Grace à l’interconnexion des barrages, certains transferts d’eau ont été programmés (de Sidi Barraq à Sedjenane et Barbara à Bouhertma). L’eau de boisson étant prioritaire, des mesures ont été prises pour limiter certaines cultures d’été. Enfin, le Ministère recommande de lancer des campagnes de sensibilisation afin de rationner la consommation et de limiter le gaspillage d’eau.

Malgré ces efforts, certaines régions connaitront certainement, cet été, de sérieuses difficultés d’approvisionnement en eau potable qui peuvent conduire à des réactions de contestation violentes des habitants.

Des feux d’été de plus en plus fréquents

A chaque été, du mois de mai à septembre,  des centaines de feux se déclarent dans de nombreuses régions (Bizerte, l’Ariana, le Kef, Zaghouan, Béja, Jendouba, Nabeul….). D’immenses parcelles sont ravagées et des récoltes de céréales sont détruites. Des feux se déclenchent également dans les forêts et détruisent des milliers d’arbres et arbustes. L’année dernière, la Tunisie a enregistré 438 incendies qui ont ravagé 1958 ha. Tout dernièrement, au cours de la seule journée du 19 mai, les équipes de la protection civile ont procédé à  l’extinction de 74 feux qui se sont déclarés dans plusieurs régions du pays.
A coté des dégâts matériels importants (destruction de récoltes et des espaces forestiers qui mettront longtemps pour se reconstituer, destruction des bâtiments et des infrastructures…), ces feux représentent une menace pour les habitants, les logements et les animaux. C’est également une menace pour  la sécurité alimentaire nationale et la paix sociale. En détruisant faune et flore et en mettant à mal les écosystèmes et la biodiversité, ces incendies représentent enfin une source d’inquiétude pour notre patrimoine environnemental. Heureusement que jusqu’ici on n’a pas enregistré de pertes humaines et les équipes de la protection civile, avec l’aide des habitants, des riverains et même l’armée dépêchée dans certains cas graves, arrivent à circonscrire les feux et arrêter leur progression.

Ces feux sont soit fréquemment spontanés en raison de fortes chaleurs et de pratiques irresponsables de la part des passagers et usagers des espaces forestiers ou agricoles (mégots jetés par terre, étincelle provenant d’un engin agricole, présence de produits inflammables…). Les feux peuvent être également d’origine criminelle et sont provoqués d’une façon préméditée. De nombreux incendies ont éclaté simultanément et parfois les jours de fêtes  et fériés. Ceci renforce l’impression qu’il s’agit bien d’incendies criminels. Par ailleurs, ces dernières années, le nombre d’incendies a sensiblement augmenté ce qui laisse supposer un lien avec l’instabilité politique et les conditions socioéconomiques difficiles que connait le pays.

La sensibilisation comme moyen de prévention

La baisse des ressources face à une augmentation de la demande nécessite un effort  pour rationaliser l’utilisation de l’eau, appeler le consommateur à changer ses habitudes et éviter le gaspillage. Des campagnes de sensibilisation doivent être organisés, en utilisant tous les médias classiques ainsi que les réseaux sociaux, pour expliquer aux usagers la situation de stress hydrique que connait le pays et de les appeler à adopter de nouvelles habitudes pour préserver l’eau et utiliser à bon escient chaque goutte de cette denrée vitale et de plus en plus rare. La réparation des installations, l’utilisation d’équipements et de robinetterie anti-gaspillage, le stockage d’eau de pluie… doivent être encouragé.

Les agriculteurs, qui utilisent environ 80% de l’eau, doivent opter pour des systèmes économes d’irrigation. Le système goutte à goutte, malgré ses contraintes,  est très avantageux. Des systèmes complètement automatisés aident de nos jours à n’utiliser pour l’irrigation que les quantités d’eau minimales nécessaires. Des capteurs placés au niveau des plantes et du sol permettent de mesurer l’humidité et de calculer les quantités d’eau d’irrigation nécessaires.

Des spots et des messages de sensibilisation et de formation destinés aux agriculteurs et au simple citoyen pour leur expliquer comment prévenir et lutter contre le feu d’été et d’éviter des pertes humaines et matérielles importantes. Des sanctions graves envers toute personne à l’origine d’un incendie criminel sont nécessaires pour arrêter ce fléau dévastateur. Le Ministère de l’agriculture vient de rappeler les sanctions et peines (amandes et emprisonnement) prévues par le code forestier à l’encontre des personnes qui mettent intentionnellement le feu dans les espaces agricoles ou forestiers.

Conclusion

En raison du changement climatique, l’eau sera dorénavant  de plus en plus rare. La gestion adéquate de nos ressources hydriques doit être une priorité nationale absolue. Tout doit être fait pour mobiliser le maximum de ressources et limiter les pertes et les dépenses inutiles. Tout citoyen au droit de disposer d’une eau potable de qualité et en quantité suffisante et le devoir de bien utiliser chaque goutte de cette denrée vitale.

Par ailleurs, les fortes chaleurs favorisent la multiplication des foyers d’incendies et occasionnent des dégâts et des pertes très importants. Des actes criminels viennent aggraver et compliquer la situation.

Il est indispensable de faire énergiquement face à ces menaces de stress hydrique et des incendies d’été, et  disposer d’une stratégie de lutte proactive, cohérente et efficace. Il faut également sensibiliser le citoyen et l’amener à participer activement pour combattre ces fléaux. C’est la responsabilité de nous tous. Il en va de notre bien-être et notre survie.

Ridha Bergaoui
Professeur universitaire