News - 31.03.2021

Le passeport: grandeur et décadence

Le passeport: grandeur et décadence

Par Mohsen Redissi - Le sésame des temps modernes, ce document de voyage est obligatoire pour circuler librement en dehors des frontières nationales. Il a subi au cours de sa longue histoire de nombreux changements dans le fond, la forme et l’usage. Son seul but aujourd’hui est de cerner les contours de son détenteur par une simple lecture électronique de quelques lignes révélatrices sur son identité.

Aperçu historique

Dans le passé, les villes étaient protégées par d’imposantes murailles pour dissuader les envahisseurs. Le pont-levis s’abaissait laissant sortir et entrer la population et les voyageurs à travers de lourdes portes blindées, d’où « passe-porte » avec l’usage devenu passeport. D’autres s’appuyaient sur le développement de la navigation facilitant ainsi le déplacement de la population d’un port à un autre, d’où « passe port », avec la contraction devenu passeport. 

Les Etats ont utilisé le passeport comme un moyen d’identification, de contrôle et de répression. Délivré aux nantis, il a servi comme une pièce d’identité et un laissez-passer au-delà du lieu de résidence. Il est utilisé également comme instrument de répression pour contrôler et fixer la population afin de limiter l’exode rurale. Les paysans doivent rester sur leur terre et ne pas venir grossir les faubourgs des villes. Les cerfs sont au service de l’aristocratie. La désertion est passible de mort.

Créé au départ pour limiter le vagabondage et le brigandage, le passeport est devenu un moyen de lutter contre l’immigration clandestine et l’installation d’étrangers sur le sol national. Les souverains ont voulu protéger leur population en exigeant un titre de voyage et un visa à tout étranger.

La question de sécurité nationale remonte à la surface après la première guerre mondiale. Le passeport et le visa commencent à prendre leur forme moderne par l’introduction de procédés de fabrication, d’identification et de normalisation.

Etat souverain

Le passeport est un document de voyage et une pièce d’identité délivré par un État souverain. Un Etat sous occupation ou sous tutelle perd automatiquement cette faculté. Après la première grande guerre, la Société des Nations a mis sous mandats britanniques la Palestine, la Transjordanie et la Mésopotamie et sous administration française la Syrie et le Liban, tous territoires ayant fait partie du colosse aux pieds d’argile l’ancien Empire ottoman.

De 1924 jusqu’à 1948, le Haut Commissaire pour la Palestine délivrait aux palestiniens restés dans l’enclave britannique un passeport avec la mention « Passeport britannique, la Palestine.» Cette exception a pris fin le lendemain de la proclamation de la naissance de l'État d'Israël. Après les accords d’Oslo de 1993 signés par Israël et l’Organisation de libération de la Palestine et la création de l’Autorité palestinienne, les palestiniens de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza ont commencé à se voir délivrer un passeport avec la mention Autorité palestinienne, après 1997 émis au nom de l'Etat de Palestine. Ce modèle de gestion touchait également tous les autres territoires anciennement occupés par l’Allemagne en Afrique de l’Ouest et dans les îles du pacifiques.

Sésame, ouvre-toi

L’itinéraire du passeport est muet mais ô combien révélateur du parcours du détenteur. Il est scellé à l’encre indélébile. Il garde les empreintes de son passage par les douanes et les postes frontaliers.  Les visas et les tampons à l’entrée et à la sortie des frontières nationales et internationales retracent fidèlement l’histoire de son propriétaire.

Deux films de fiction et deux anecdotes racontent sur un ton satirique les tribulations de voyageurs piégés dans les zones tampons, le no man’s land. Douraid Lahhan, acteur syrien connu pour ses engagements politiques, après avoir perdu son passeport, est resté  bloqué dans « Al-houdoud» la zone neutre qui sépare les frontières  de deux pays nés de son imaginaire l’"Esternstan" et l’"Ouesternstan". L’Orient et l’Occident deux blocs que tout oppose, ou l’eternel conflit entre les cultures mais également une critique acerbe du concept désuet de l’unité arabe.

Tom Hanks, ou Viktor Navorski dans le film, fuyant un pays ravagé par la guerre se retrouve bloqué dans "Le Terminal." En arrivant à l’aéroport de New York, son pays est envahi et rayé de la carte, il perd toute appartenance. Son passeport ne fait plus foi. Les autorités douanières lui refusent l’entrée sur le territoire américain, mais en même temps ne peuvent le renvoyer chez lui. Apatride, il trouve refuge dans la zone neutre hors d’atteinte de l’administration de l’aéroport.  Un jeu entre le chat et la souris s’engage entre l’autorité de l’aéroport et lui. Désargenté, laissé à lui-même, il fait montre d’ingéniosité pour survivre dans cette jungle foisonnant de vie. 

A leur retour sur terre, les spationautes doivent se présenter devant les postes de contrôle des douanes comme n’importe quel autre voyageur surtout si le point de chute n’est pas le pays de départ. Les mêmes modalités sont appliquées en cas d’urgence. Drôle de retour.

Les astronautes du premier vol habité terre-lune ont du présenter des documents de voyage en règle. Sur la fiche de leur débarquement venant de la Mer de la tranquillité ils déc(r)ochent  la lune, Apollo 11 est leur le numéro de vol, leur date d’arrivée 24 juillet 1969 (voir photo). Heureusement pour eux, les trois en ensemble n’accumulent que 22 kilogrammes de poussière récupérée sur la Lune. L’origine douteuse de la marchandise leur a valu trois semaines de confinement.

L’espace sidéral raconte l’aventure rocambolesque d’un cosmonaute au milieu des années 90s. Il rejoint la station internationale ISS et passe plusieurs mois dans l’espace. Récupéré après avoir amerri dans l’océan Pacifique avec ses co-équipiers américains, un agent de la douane lui refuse l’entrée dans le territoire américain. L’agence spatiale russe n’a pas fourni son passeport et son visa à la NASA. Gardé sous haute surveillance, son consulat lui a fourni un peu plus tard un laissez-passer. La défection à l’Ouest était fréquente à l’époque.

La couleur de l’argent

La plupart des passeports ont les mêmes caractéristiques. Chaque pays ou chaque groupe géographique ou économique a sa propre couleur. Elle a une symbolique. Les couleurs sont au nombre de quatre : rouge, bleue, verte et noire, du plus clair au plus foncé. 

1- Le vert étant la couleur préférée du Prophète Mohamed, les pays islamiques avec quelques exceptions ont adopté cette couleur pour différencier leur passeport. C’est un signe d’appartenance et de ralliement, pour se dire Dieu merci je ne suis pas seul sur terre !

2- Certains pays de l’Afrique sub-saharienne ont choisi la couleur noire pour leur passeport. Un regain de la négritude. L’exception à cette règle est La Nouvelle-Zélande à l’image de sa très célèbre équipe de rugby, les All-Blacks, toute de noir vêtue en reconnaissance à l’héritage culturel des Maoris.

3- Le rouge est la couleur la plus usitée. Le communisme a choisi en 1918 au début de sa révolution cette couleur comme emblème de ralliement, tel est le cas pour le passeport. Une affirmation du pouvoir bolchevik. Les Etats de l’Union soviétique et les pays de l’Europe de l’Est qui ont rejoint plus tard le giron, ont adopté à leur tour la couleur rouge pour leur passeport comme affiliation.
L’Europe des 26 a choisi le rouge comme couleur pour les passeports de ses ressortissants. Dans une région à très forte mobilité des personnes, des capitaux et des marchandises ce signe distinctif facilite le passage des frontières. Pas besoin d’être un profiler. Le tri des passagers est doublement facilité par la couleur du titre de voyage et surtout par la réservation de guichets pour les voyageurs de l’Union : une discrimination voilée.

4- Les pays et les îles du nouveau monde ont opté pour le bleu de leurs eaux turquoise. Rejoints dans ce choix par les pays du Mercosur, une communauté économique créée en 1985 et qui regroupe les pays de l’Amérique du sud.

L’Organisation des Nations unies délivre aussi à son personnel en mission officielle un laissez-passer de couleur bleue,  reconnu par les Etats membres, facilitant ainsi à son personnel de voyager sans avoir recours à un visa préalable sans tenir compte de la nationalité du détenteur. 

Le pouvoir du passeport

Tout Etat en délivrant à son ressortissant un passeport, lui accorde automatiquement le droit de pouvoir quitter le pays quand bon lui semble sans rendre compte à quiconque. Cette autorisation lui est accordée de facto et reste valable dans certains cas dix ans. N’est privé de ce droit fondamental que le reprit de justice, l’individu en instance de jugement ou sous le coup de restrictions de voyage.

Le passeport est la propriété de l’Etat. Le porteur jouit légalement de ce document. Il peut en user jamais en abuser. Toute atteinte à l’intégrité du passeport est considérée par la loi comme un délit. Minime soit elle, elle est considérée comme falsification d’un document officiel  entrainant une accusation de faux et usage de faux.

Son originalité est son pouvoir de sélection, de séduction, d’assurance et d’ouverture. Ports et aéroport confondus, il y’a une séparation de fait entre les nationaux et les autres voyageurs. Le  passeport et un bref échange de regards suffisent. Un profilage en toute légalité. Chez les autres voyageurs, les files s’étirent au gré des arrivées, la progression est lente et harassante. Le voyageur doit subir le regard inquisiteur du douanier, répondre sans broncher à ses questions en sus des questions habituelles sur le but de la visite et des moyens de subsistance. Toute défaillance, ou hésitation peut éveiller les soupçons. Il n’est pas rare de voir un voyageur sortir des rangs et suivre les pas du superviseur pour faire mieux connaissance comme s’il n’a pas assez souffert avec le dépôt du visa et la quantité de documents demandés.  

La couleur confère à ce titre de voyage sa portée stratégique. La cotation du pays émetteur dans la bourse des voyagistes facilite les formalités d’obtention de visa ou les annulent dans certains cas par un échange réciproque. Franchir les frontières nationales est un droit fondamental. Pour certains c’est un droit de passage, pour d’autres en obtenir un n’est pas un travail de tout repos.

Mohsen Redissi

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