News - 24.02.2021

Ce que les ambassadeurs européens ont dit au président Kais Saïed

Ce que les ambassadeurs européens ont dit au président Kais Saïed

Les pays européens sont très préoccupés par la crise politique où s’enlise la Tunisie, aggravée par des conditions économiques critiques. Invités mardi par le président de la République Kais Saïed, pour des échanges « à bâtons rompus », leurs ambassadeurs ont porté d’une même voix ce message pressant. « Nous sommes prêts à accompagner la Tunisie et continuer à la soutenir, l’urgence est à une sortie de crise par le haut où personne ne peut avoir complètement raison, où être totalement en porte-à-faux », leur ont-ils dit, comme le confie à Leaders un diplomate présent. « Nous avons mentionné, ajoute notre source, que nous avons connu dans nos pays des crises beaucoup plus graves et plus compliqués, avec parfois des confrontations idéologiques entre par exemple communistes et sociaux-démocrates, qui avaient abouti à des affrontements sanglants. L’intérêt supérieur avait fini par l’emporter et c’est par des solutions politiques que nous nous en sommes sortis. »

« Nous faisons tout ce que des ambassadeurs peuvent faire, mais c’est aux Tunisiens, et aux Tunisiens seuls, de converger vers un compromis et de s’unir, affirme un autre ambassadeur. Le pays a besoin d’apaisement et d’un gouvernement, actuel ou futur, attelé au travail. Pour relancer notre coopération, nous avons besoin au plus vite de vis-à-vis décisionnaires et opérationnels. Les institutions financières ont lancé un last-call. Si les marchés financiers se détournent de la Tunisie, le risque est grand », ajoute-t-il.

«Une heureuse opportunité d’échanges»

« Deux heures durant, le président Saïed a été accueillant, attentif, cordial et disponible », ajoute une autre source. « Dans la carrière d’un ambassadeur, ce n’est guère fréquent qu’un chef d’Etat nous offre pareille occasion, pour l’écouter en direct et surtout lui faire part de nos interrogations. Encore plus, pendant un aussi long temps, poursuit-elle. L’initiative du président Saïed est louable. Nous découvrons en lui un autre visage, plus affable, naturel. Il a été disert, évoquant plusieurs sujets, laissant quasiment tous, pas moins d’une douzaine d’ambassadeurs, y aller chacun de son intervention. Mais l’essentiel de nos échanges a porté sur l’impasse politique qui bloque le pays. Deux autres marques d’attention sont à relever. La première, l’invitation à prendre le café ensemble, dans le grand patio de la zone privée, permettant ainsi d’avoir de brefs apartés courtois avec le chef de l’Etat. La deuxième, c’était de prendre une photo de groupe sur le perron du palais de Carthage, une pratique inusitée jusque-là, marquant tout son intérêt à notre rencontre. Une autre symbolique, les membres de la cellule diplomatique du cabinet présidentiel ont été invités à s’y associer... »

«Il tient fermement à sa propre lecture de la constitution, et il dénonce la corruption»

« Le président de la République s’est montré très attaché à la constitution, déterminé à la défendre. Il est profondément convaincu que c’est son interprétation, qui est la bonne, en l’état actuel d’absence d’une cour constitutionnelle », souligne un ambassadeur présent.  « Aussi, il a longuement pointé du doigt la corruption, la malversation et la concussion qui rongent la société et intoxiquent le climat des affaires, déplorant le manque de réaction forte de la classe politique, ajoute-t-il. En fait, nous n’en sommes ni surpris, ni choqués, ces pratiques et attitudes gangrènent d’autres jeunes démocraties, mais finiront par s’estomper sous l’effet d’une éducation citoyenne continue, et une vigilance sans relâche. Le plus urgent, c’est de mettre fin à ce climat délétère et de sauver l’Etat du blocage politique. »

«Cela va cheminer dans son esprit. L’alternative de la rue sera périlleuse»

« Sur le fond, confie un autre diplomate européen, on n’a senti aucune inclinaison sur le compromis. Si, dans l’instant, le président Saïed n’a pas donné l’impression d’être sensible à notre appel à l’apaisement et à une sortie par le haut. Nous sommes persuadés que cela va cheminer dans son esprit. Sur la même lancée, nous continuons à passer le même message à la Kasbah et au Bardo ainsi qu’aux partis politiques. Tous doivent faire mouvement pour se rencontrer. L’alternative est périlleuse, le recours à la rue ouvre la voie à tous les dangers. »

Relance de la coopération: à quelles conditions

Accueillant ses hôtes, le président Kais Saïed avait cadré la rencontre dans une adresse d’ouverture de près d’un quart d’heure. Nouvelle relation avec l’Europe, solution partagée à trouver pour la question migratoire, relance de la coopération économique, renforcement de la coopération judiciaire, approche politique de soutien en faveur du rapatriement des biens et avoir confisqués détenus en Europe, sortie de crise en Libye, grands projets TGV et pôle santé à Kairouan, et autres priorités. Les échanges y rouleront. Des ambassadeurs ont mentionné que nombre d’entreprises de leurs pays envisagent de délocaliser en Tunisie leurs filiales jusque-là implantées en Asie. Elles risquent d’en être dissuadées par l’instabilité politique, les freins administratifs et la surenchère des revendications syndicales.

Il ne saurait être insensible au message de l’Europe

Ravis de cette opportunité, les ambassadeurs, déjà bien informés de la situation en Tunisie, y puiseront des éléments utiles pour nourrir leurs messages à leurs capitales. S’ils n’ont pas perçu de réponse positive à leur appel, ils n’y perdent pas espoir. Et ne lâchent pas prise. Quant au président Kais Saïed, il a dû lui aussi apprécier ces échanges ce qui l’encouragera à réitérer ce même exercice avec d’autres hôtes, tunisiens et étrangers. Quel enseignement en tire-t-il d’autres et déjà ? Il ne saurait être insensible au message de l’Europe.