News - 17.10.2020

Dar Dhiafa de Carthage: L’incubateur des gouvernements (Album photos)

Dar Dhiafa de Carthage: L’incubateur des gouvernements

Convertie en haut lieu de pouvoir, dès qu’il s’agit d’une nouvelle gestation de gouvernements successifs, Dar Dhiafa abrite les consultations les plus déterminantes. Ses lettres de noblesse post-2010, elle les a acquises dès 2012. Nommé chef de gouvernement fin décembre 2011, Hamadi Jebali n’y avait pas mené ses conciliabules pour la formation de son équipe sous la Troïka. A l’époque, le Président Fouad Mebazaa officiait par intérim à Carthage et le Premier ministre, Béji Caïd Essebsi, ne quittait pas la Kasbah. Tous deux connaissaient bien Dar Dhiafa depuis leur mise en selle, à l’aube de l’indépendance, par Bourguiba. Surtout sous Hédi Nouira, qui habitait à quelques encablures et aimait y tenir certaines réunions ou organiser des dîners officiels.

Ce petit bijou n’était pas encore découvert par les futurs gouvernants. Les dirigeants d’Ennahdha, d’Ettakatol et du CPR, vainqueurs des élections du 23 octobre pour la Constituante, se réunissaient dès fin octobre 2011, ici et là, quasiment en secret, négociant sans cesse la répartition des pouvoirs et des portefeuilles. Marzouki avait choisi Carthage, Ben Jafaar, le perchoir du Bardo, et Jebali, la Kasbah.

Le charme d’un petit palais

Une fois en selle, Hamadi Jebali, qui avait fait le tour du propriétaire, accompagné de Samir Dilou, tombera sous le charme de Dar Dhiafa. En arrivant à Carthage, contournant le chapiteau vers La Goulette, il suffit de prendre la première rue à gauche, Sophonisbe, pour tomber sur l’Hôtel de Ville. A droite, c’est la rue Septime Severe, en plein parc archéologique, dans la zone du palais beylical où s’est établie l’académie Beït al-Hikma. Un cadre magnifique, dans une zone résidentielle de villas huppées appartenant à de grandes familles tunisiennes ou louées par des ambassades étrangères.

Aux multiples attraits de Dar Dhiafa s’ajoute sa proximité, au coin de la rue, de la résidence d’Etat, mise à la disposition de Jebali, rue Dag Hammarskjöld, pour l’héberger avec sa famille. Une belle villa, reprise à des Français au lendemain de l’indépendance, occupée pour la première fois par Mansour Moalla, puis acquise par la Banque centrale de Tunisie, sous Hédi Nouira. Ben Ali la dédiera à l’association Basma, fondée par son épouse, qui en fera son siège. Elle était mitoyenne d’une autre villa, discrète, dotée de bureaux de travail et de salles de réunion, servant également pour les équipes de sécurité. Locataire des lieux, Mehdi Jomaa y recevra en mars 2014 l’ancienne secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright, en visite à Tunis en tant que dirigeante d’une ONG.

En toute discrétion

Jebali jettera son dévolu sur Dar Dhiafa qui se prête bien aux activités d’un chef de gouvernement et de son prestige. Ce petit bijou architectural, construit dans un style marocain, comme nous l’explique l’historien érudit Mohamed El Aziz Ben Achour, comprend, dans sa première partie autour d’un vaste patio, une série de bureaux et salons. Généralement, le chef du gouvernement ou celui qui postule à ce poste occupe le bureau du coin gauche, ou du milieu. Des salons lui permettent d’alterner les audiences en toute discrétion, la règle étant que les visiteurs sont conduits dans l’un des salons qui garderont ensuite les portes fermées pour qu’aucun visiteur ou délégation ne puisse voir les autres. Le staff rapproché du chef du gouvernement s’approprie les autres bureaux.

Face à la porte d’entrée, un petit couloir mène vers la grande salle carrée où se tiennent réunions, conseils des ministres, déjeuners et dîners officiels, réceptions et cérémonies de passation de pouvoirs. Donnant sur un vaste jardin, accessible par de larges portes-fenêtres, la grande salle est reliée par la gauche à de grandes cuisines.

Dar Dhiafa dispose de trois entrées séparées. La principale, celle officielle, donne sur la rue Septime Severe. Une entrée de service se trouve sur la rue Sophonisbe, tout près de l’Hôtel de Ville. Quant à la troisième, elle est située derrière, dans la discrète ruelle Procope. C’est cette entrée qu’empruntent souvent les visiteurs qui ne souhaitent pas apparaître devant les journalistes qui campent devant l’entrée officielle.

Le bonheur des uns, l’échec des autres

Hamadi Jebali commencera donc à partager son temps entre son quartier général officiel à la Kasbah, un bureau dans un immeuble flambant neuf au Lac 2 abritant des services de la présidence du gouvernement et les bureaux des ministres chargés des Relations avec les instances constitutionnelles, et Dar Dhiafa. C’est surtout ce petit palais et son jardin qui lui plaisent le plus. Il y réunira ses ministres, un cercle de personnalités indépendantes, et son staff rapproché.

Le premier événement majeur qui s’y déroulera sera la longue série de consultations avec les partis politiques, en février 2013, suite à l’assassinat de Chokri Belaïd. L’issue en sera la démission de Jebali, lâché par son propre parti, Ennahdha. Son successeur, Ali Laarayedh, héritera du bail. Puis, lui succéderont Mehdi Jomaa, Habib Essid, Youssef Chahed, Habib Jemli dans son infortune de gouvernement finalement avorté, Elyès Fakhfakh, et tout récemment Hichem Mechichi.

Pizza et sandwich

Un rituel s’y est établi. Chaque nouveau locataire, flanqué de sa garde rapprochée qui grossira au fil des jours, s’adonnera au redoutable exercice des négociations. Ballet de visiteurs et de visiteurs du soir et du weekend, journalistes tenus parfois sur le trottoir d’en face, admis souvent juste au jardin et rarement introduits à l’intérieur, sauf pour de furtives prises de vue ou lors de déclarations et conférences de presse. Les secrétaires, tout comme les chargés de protocole, et les communicants, changent avec chaque nouveau locataire, le style diffère. Seules restent en poste les équipes d’intendance et de sécurité relevant de la Présidence de la République. Thé, café et jus sont servis. Mais, pas de repas. Même pour le chef du gouvernement en poste ou en attente de confirmation. Chacun s’arrange pour arriver avec son panier repas ou faire venir des restaurants du voisinage pizzas et sandwichs, avalés en vitesse.

Ici les murs ont des oreilles. On les sonde pour percevoir les secrets des dieux du moment, guetter une fuite sur les négociations, interpréter les moindres faits et gestes. Que de déclarations, d’enfumage, de réelle ou fausse indignation et menace de rupture, de jubilation, d’amertume !

Débarcadère, embarcadère

Lorsqu’un gouvernement est finalement formé et sa composition est remise au chef de l’Etat pour transmission à la validation du Parlement, c’est à Dar Dhiafa qu’il tient sa première réunion de prise de connaissance et de pré-rodage. Les nominés pour la première fois y arrivent avec appréhension mêlée d’émotion. Ils découvrent les lieux et leurs nouveaux collègues, s’initient au protocole et se plient à la sécurité. Pour fixer ces moments exceptionnels, leur chef les convie à une photo de groupe sur le perron de Dar Dhiafa...

Le jour de la passation de pouvoirs, c’est ici aussi qu’ils retrouvent leurs prédécesseurs, puis partent ensemble dans la même voiture vers leurs ministères... Même si elle ne figure pas dans le répertoire officiel des lieux du pouvoir, Dar Dhiafa est devenue l’incubateur des gouvernements, puis leur lieu de retraite et de certaines audiences et réunions. Ici se nouent et se dénouent des ambitions, des carrières, des alliances...

T.H.


 

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