Opinions - 29.07.2020

L'édito de Taoufik Habaieb: Droit dans la confrontation… positive?

Taoufik Habaieb: Droit dans la confrontation… positive

Il a résolument pris sa décision. Kaïs Saïed est dans la confrontation. Le projet porté, neuf mois, depuis son accession le 23 octobre dernier à Carthage, enfante un mutant. Kaïs Saïed n’est plus dans l’idéalisme qui avait fait vibrer pas moins de 72,7 % des votants. A l’exercice du pouvoir, il découvre avec stupéfaction la désillusion face au réel, l’ampleur du désastre. Les révélations ne font que le conforter dans ses propres certitudes: le choc est rude.

Tout changer, même si tout ne peut être changé, croit-il profondément. L’anormal, érigé en norme, n’est plus acceptable. Il va falloir réinventer, recomposer, changer de paradigmes. Aux manettes du commandement, Kaïs Saïed est désormais bien informé. Il sait tout - et il le déclare en mise en garde - des collusions et conspirations, des complots internes et externes, et des défections. Édifié par la désinvolture d’une bonne partie de la classe politique, il réalise cependant que sa marge de manœuvre est rétrécie. Mais aussi qu’une fenêtre de tir peut se préciser. Il tire !

Peu convaincu des partis et désespéré des faux messies, Saïed mise sur les indépendants. Quitte à acter publiquement une rupture avec une classe politique inepte. Un pari, non sans risques, en plein régime parlementaire qui fait bouillonner la Tunisie en cocotte-minute frisant l’explosion.

Le choix de Hichem Mechichi pour former le nouveau gouvernement illustre cette rupture. Elle marque la volonté de Saïed de s’installer dans la confrontation, le refus des monopoles, la dénonciation des oukases. Ceux qui le connaissent bien savent qu’il s’était structuré depuis sa jeunesse dans la défensive face à une autorité injustement subie. Il en avait fait lui-même les frais à différentes périodes de sa vie d’étudiant, puis de son parcours d’universitaire. D’ailleurs, ce n’est pas par hasard qu’il a obstinément choisi la filière droit,  s’engageant dans le rétablissement de la justice.

De la défense, Saïed passe à l’attaque. Au nom de ses valeurs et convictions. Il sait que le temps lui est compté et qu’il doit s’atteler au plus vite à l’accomplissement de ses promesses électorales, la justice et la dignité, mais plus encore, l’amorce du bien-être. C’est ce qu’il ne trouve ni dans les programmes du gouvernement sortant, des partis au pouvoir et des élus au Bardo, ni dans leurs actions. Abasourdi par leurs affrontements violents, au détriment de l’essentiel, pourtant si urgent, il n’hésite pas à lancer l’assaut, bravant l’establishment solidement installé d’Ennahdha et les tirs ininterrompus de la coalition Al Karama et autres groupes. Sauf que le bras de fer n’est guère la meilleure posture.

Confrontation ne signifie pas affrontement, comme certains pourraient le croire. Pacifique, positive, mais ciblée, désignant les vis-à-vis à mettre en cohésion, elle est espérée en une quête d’harmonie, dans l’espoir d’un consensus.

Face au désastre économique et financier qui se profile et l’implosion sociale annoncée, il sait que le pays a besoin, plus que jamais, d’unité, de solidarité et de concorde.

Qui est capable de rassembler les Tunisiens et de les fédérer autour d’objectifs communs, salutaires? Si des hommes et des femmes de bonne volonté existent, mais en tant qu’individus épars, aucune force politique n’a jusque-là fait preuve d’un leadership reconnu. Aucun plan de sauvetage économique et social n’a aussi été élaboré par le gouvernement.

La responsabilité de Kaïs Saïed est à présent encore plus lourde à porter. La priorité absolue est au secours. Pour assurer un minimum de revenu aux plus démunis, et renflouer la trésorerie de l’entreprise mise à genoux, confrontée aux licenciements, menacée de faillite. L’urgence est également politique. Il appartient au chef de l’État de créer, loin des antagonismes et des tensions, les conditions nécessaires à un climat politique apaisé. En démineur, rassembleur, quitte à châtier les réfractaires, il sera ainsi dans son rôle premier.

La révision de la Constitution est incontournable. Tout comme celle du code électoral et de nombre d’autres textes régissant la vie publique, le financement des partis politiques et des médias étatiques. Ce vaste et déterminant chantier ne saurait s’opérer sans un environnement propice, sans inclusion et sans délibérations citoyennes. Un autre défi à relever, une fois les premières urgences de ces jours secourues.

Taoufik Habaieb