News - 17.07.2020

Haykel Ben Mahfoudh : après la démission du chef de Gouvernement, les options envisageables

Haykel Ben Mahfoudh

Par Haykel Ben Mahfoudh. Professeur de droit constitutionnel - La démission du Chef du Gouvernement M. Elyes Fakhfakh a suscité un certain nombre  de questions d’ordre constitutionnel et politique qu’il convient de clarifier.

1. La démission suspend et arrête la procédure du dépôt et de l’examen de la motion de censure constructive devant l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) pour les raisons suivantes:

L’article 98 la Constitution attribue un effet juridique immédiat à la démission, à avoir que : « La démission du Chef du Gouvernement vaut démission de l’ensemble du Gouvernement ». Cet effet est immédiat dès la présentation de la démission au Président de la République. La conséquence, est double dans ce cas : l’ensemble du Gouvernement est démissionnaire ; il lui incombe la gestion des affaires courantes en attendant la désignation d’un nouveau Gouvernement.

En revanche, le dépôt d’une motion de censure n’entraîne pas le retrait immédiat de la confiance du Gouvernement. Il existe un délai de latence obligatoire de quinze jours prévu par l’article 97 de la Constitution. La motion de censure ne peut être votée qu’à l’expiration de ce délai ; celui-ci commence à courir à compter de sondépôt auprès de la présidence de l’Assemblée.

Le simple fait de déposer une motion  censure n’aurait pas empêché le Chef du Gouvernement de continuer à exercer pleinement ses prérogatives constitutionnelles, ni le Gouvernement de continuer à travailler pendant le délai de latence.

La motion de censure n’aurait eu d’effet que si le retrait de confiance au Gouvernement avait étéapprouvéà la majorité absolue des membresde l’Assemblée et sous réserve de la présentation d'un candidat en remplacement du Chef du Gouvernement selon la procédure prévue au paragraphe 2, de l’article 97.

2. La démission du Chef du Gouvernement n’exige aucune formalité particulière à part la forme écrite :

L’article 98 de la Constitution l’exige formellement en stipulant : « Ladémission est présentée par écrit au Président de la République … ». Aucune autre formalité n’est exigée. L’écrit une condition procédurale dans ce cas, car il permet d’acter et de dater la démission.

Le fait de prendre acte de la démission et de la dater est une condition préalable et nécessaire qui va permettre le calcul des délais prévus à cet effet pour former un Gouvernement conformément aux dispositions de l’article 89.

3. Le Président de la République prend seulement acte de la démission du Chef du Gouvernement :

Contrairement à certains avis et commentaires qui circulent actuellement, l’article 98 de la Constitution n’a pas assorti la démission du Chef du Gouvernement d’une condition supplémentaire, à savoir son acceptation par le Président de la République pour qu’elle soit valide.
En cas de démission, le Président de la République en prend acte seulement. Il en informe, par la suite, le Président de l’ARP pour en tirer les conséquences nécessaires tant sur le plan procédural, que politique et institutionnel. Il n’a, en principe, ni à l’accepter, ni à la refuser.

4. La démission du Chef du Gouvernement entraîne automatiquement la mise en œuvre du dispositif de désignation d’un nouveau Chef du Gouvernement et de la formation d’un nouveau Gouvernement, y compris la possibilité de dissoudre l’ARP et la convocation d’élections législatives anticipées.

L’article 98 in fine est clair à ce propos : outre le cas de perte de confiance de l’ARP à l’initiative du Chef du Gouvernement lui-même, dans le cas de la démission du Chef du Gouvernement, le Président de la République charge également la personnalité la mieux à même d’y parvenir deformer un Gouvernement conformément aux dispositions de l’article 89.Le renvoi à l’article 89 de la Constitution est fait sans restriction, ni exception aux mécanisme et procédures dudit texte.

Par conséquent, l’impossibilité actuelle de recourir au cas extrême de la dissolution de l’ARP et la convocation d’élections législatives anticipées ne résulte pas de l’application combinée des articles 98, paragraphe 3 et 89, paragraphe 4 d la Constitution, mais seulement de la limite temporelle prévue dans l’article 77, paragraphe 2, alinéa 1er, qui dispose que : « l’Assemblée ne peut être dissoute pendant les six mois qui suivent le vote de confiance dupremier Gouvernement après les élections législatives ou pendant les six derniers mois du mandatprésidentiel ou de la législature ; le Gouvernement de M. Fakhfakh tombant dans cette catégorie.

Sans préjudice des conditions prévues à l’article 89, paragraphe 4, la dissolution de l’ARP pourrait envisagée à l’expiration des six mois, à savoir après le 25 août 2020, puisque le premier Gouvernement de la législature actuelle – en l’occurrence celui de M. Fakhfakh -  a été obtenu la confiance de l’ARP le 27 février dernier.

5. Le Gouvernement démissionnaire continue à gérer les affaires dites« courantes ».

La notion d’affaires dites courantes n’est prévue dans la Constitution que dans l’article 100, paragraphe 2 (cas de vacance définitive au poste de Chef du Gouvernement). Dans tous les autres cas de cessation des fonctions du Chef du Gouvernement, la Constitution s’abstient de limiter les fonctions d’un Gouvernement démissionnaire à la gestion des affaires dites courantes ; le texte de l’article 100 lui-même n’utilisant que l’expression d’affaires sans le qualificatif de « courantes ».

Dans la pratique, un Gouvernement sortant ou dont les fonctions sont terminées pour cause de démission ou de retrait de confiance, continue à exercer ses fonctions en attendant qu’un nouveau Gouvernement soit désigné et entre en fonction, en s’abstenant – autant que faire se peut – de prendre pendant cette période des décisions stratégiques, politiques ou encore structurelles, et qui ne relèvent plus de droit de ses attributions, telles que la structuration et l’organisation du Gouvernement.

Se pose dès lors la question de qui devrait assurer la gestion des affaires « courantes » en cas de démission du Chef du Gouvernement ?
A priori, le Chef du Gouvernement démissionnaire avec son équipe qu’il avait choisie pour former son Gouvernement.Sauf que l’on pourrait envisager aussi une application, par extension, de l’article 100, paragraphe 2 de la Constitution, puisque les deux exceptions prévues au premier paragraphe dudit article, à savoir démission et retrait de confiance, ne concernent que la procédure du choix du candidat au pouvoir de former un Gouvernement et non aux gouvernement dont les fonctions ont pris fins, y compris pour ces mêmes raisons.

Il est donc à envisager que, conformément aux dispositions de l’article 100, paragraphe 2, la gestion des affaires « courantes » se fait sous la direction de l’un des membres du Gouvernement démissionnaire, choisi par le Conseil des ministres ; auquel cas le Conseil (à l’exception de cas de maladie incapacitante ou de décès), peut désigner soit le Chef du Gouvernement démissionnaire, soit l’un de ses autres membres pour assurer la gestion des affaires « courantes ». Cette option aurait l’avantage de résorber la persistance des causes ayant provoqué la démission. La procédure prévoit, en outre, que le Président de la République nomme la personne choisie par le Conseil des ministres jusqu’à la prise de fonction du nouveau Gouvernement.

Haykel Ben Mahfoudh
Professeur de droit constitutionnel
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
M. Bouanane - 19-07-2020 15:07

Si le raisonnement présenté au paragraphe 4-2 est correct dans la situation actuelle, c.a.d. la dissolution de l'Arp ne peut avoir lieu pendant les premiers 6 mois suivants la formation du premier gouvernement de la législature selon l'article 77, alors comment peut-on sortir de l'article 89 suite à la démission de ce premier gouvernement de la législature si un nouveau gouvernement n'est pas constitué au bout d'un (ou 4 !!??) mois de la désignation d'un nouveau candidat par le président de la république ???? Encore une faille dans une constitution rédigée par des amateurs et ignorants du droit constitutionnel. En revanche, la restriction de la dissolution de l'Arp selon l'article 77 ne s'appliquerait que dans le cas où ce premier gouvernement de la législature est encore en fonction, c.a.d. non démissionnaire. Ce n'est plus le cas du gouvernement de EF.

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