News - 05.07.2020

De la francophonie encore et… toujours

De la francophonie encore et… toujours

Par Rafik Darragi - Les éditions l’Harmattan viennent de publier les actes du colloque international ‘Langue française, écrivains francophones’, organisé en novembre 2019 à l’Université de Sousse. L’ouvrage, volumineux (372 pages), dédié à la mémoire de Jean Déjeux, se compose de trente contributions, réparties en quatre axes:

Autour de la francophonie linguistique

Du roman francophone

De la poésie francophone

Témoignage d’écrivains.

Dans sa Présentation, Ridha Bourkhis, directeur de la publication, annonce prudemment la couleur :
« Notre objectif, prioritaire ici est de faire le point sur cette importante écriture littéraire, en tant d’abord que produit langagier, qu’une expression verbale francophone » (p.15).

Cette précaution s’explique aisément car que n’a-t-on pas dit et écrit sur la francophonie depuis des lustres maintenant ! Comment oublier, par exemple, ce long débat portant sur le fameux texte collectif paru dans le journal Le Monde du 16 mars 2006, qui défend l'émergence d'une "littérature-monde en Français" et qui prédit la mort de la Francophonie, cet ‘avatar du colonialisme’ et les diverses réactions qui s’ensuivirent ? Celle en particulier du « dernier bastion des puristes de la langue », ce « bras armé de la politique », l’incompréhension de Abdou Diouf dans sa lettre au journal Le Monde ‘La francophonie, une réalité oubliée’, en mars 2007, ou encore, la ‘Lettre ouverte’ d’Alain Mabanckou à E. Macron, en janvier 2018.

Comme prévu, les contributions du premier axe, ‘Autour de la francophonie linguistique’ abordent, presque toutes, cet interminable débat. D’abord celle du professeur émérite, Charles Bonn, ‘Quelle francophonie dans les enseignements et la recherche littéraires des universités françaises ?’ : « Les débuts des enseignements de « Francophonie » dans les universités françaises, et particulièrement à l’université de Villetaneuse, dans les années soixante-dix, furent très dépendants d’une vision plus politique et officielle que littéraire. Politique de prestige non encore exempte de présupposés coloniaux implicites, auxquels elle était supposée pourtant opposer l’universalité de son « humanisme ». Celle que j’ai appelée la « francophonie des banquets », qui privilégiait les francophonies « présentables » et les sommets mondains internationaux. » (p.19)

Charles Bonn sait de quoi il parle. C’est un spécialiste des études littéraires maghrébines. Aussi, pour conférer à la francophonie une dimension  politique différente de celle de la « francophonie des banquets »,  préconise-t-il entre autres, le développement de la littéralité et du comparatisme, ce dernier concept   participant  alors à «  donner un sens à la rencontre des cultures, au lieu de se contenter de les décrire. » (p.26)

Mais c’est le professeur émérite et Président honoraire de l’université de Rennes 2, Marc Gontard qui aborde le premier avec force détails, la « problématique » du colloque « à partir du concept de « francophonie » qui reste au cœur du débat » (p.51) Partant du constat que le mot ‘partage’, utilisé officiellement pour définir « l’ensemble des instances francophones », est « une métaphore idéologique qui gomme » la première caractéristique de la francophonie, à savoir son caractère « hétérogène », Marc Gontard note la tendance à la régression des espaces culturels  et la problématique identitaire en prenant un seul exemple, celui du Maghreb «  où les enjeux de la compétition linguistique  sont particulièrement sensibles » (p.55). Citant la revue marocaine Souffles, Marc Gontard souligne longuement le paradoxe auquel se sont heurtés les nombreux écrivains francophones issus de la décolonisation et leurs efforts de le dépasser.

La contribution de Mokhtar Sahnoun, professeur-chercheur à l’université de La Manouba, illustre admirablement ce paradoxe. Intitulée ‘l’improbable posture de l’écrivain francophone tunisien’, elle souligne en particulier les affres et angoisses de l’écrivain d’expression française « habité par sa passion. Inhérente à l’acte d’écrire, elle est l’essence même de cet acte et à l’origine des tensions qui maintiennent l’esprit du créateur en éveil et l’inscrivent en permanence, dans cet espace de l’entre-deux, du « partage de midi » tel que Claudel le conçoit. » (pp.47-48)

Ce rôle de la francophonie dans la (dé)construction de l’identité est repris avec force par Laure-Anne Thevenet, Maître de conférences à l’université d’Angers dans sa contribution intitulée : ‘Ecrire en français en tant qu’Amérindien du Québec ou comment restaurer une identité perdue par une réappropriation de la langue’.
C’est, en somme, un vibrant appel à la tolérance, au sens moderne, qui doit être entendue comme le respect absolu de l’autre dans toutes ses différences, la seule condition susceptible de nous permettre de cohabiter en harmonie. S’appuyant sur plusieurs romans, elle conclut : « la réappropriation de l’identité et de la culture amérindienne passe par l’écriture et notamment, dans les textes amérindiens contemporains francophones par un travail stylistique sur la langue française  qui permet aux auteurs de s’opposer aux langues coloniales imposées et d’affirmer leur spécificité culturelle ».  (p.101)

Toujours dans cette première partie, la communication de Giovanni Dotoli, professeur émérite de l’université de Bari Aldo moro, ‘Francophonie et langue française’, est un véritable hymne à la langue française. « Défendre la langue française, c’est défendre le multiculturalisme  et le plurilinguisme. La langue française est un ferment de liberté ». (p.30). N’est-elle pas la « seconde langue de communication internationale ?». Cette langue « a sept vies, comme les chats. Plus on la défie, plus elle résiste, un peu partout dans le monde… » (p.33). Donc l’optimisme est de rigueur. « Pas de nostalgie, pas de passéisme, pas de pessimisme. La langue française a un grand avenir, toujours le même, depuis dix siècles. » (p.35)

Intitulée « Je donne ma langue au chat », la contribution de Hédia Abdelkefi, professeur de littérature française à l’Université de Tunis El Manar, est une longue enquête, portant sur six questions, qui tranche par son  humour parfois caustique.  Elle s’interroge ainsi, entre autres, sur les raisons qui ont conduit certains écrivains comme Samuel Beckett ou Milan Kundera « à abandonner leurs langues maternelles pour se servir du français comme parfois la langue exclusive de leurs créations littéraires. » Ou encore sur leur manière d’exprimer leurs rapports à la langue française. (p.74) Sa conclusion, on le devine, est un rappel du titre, la ‘langue’ étant « naturellement l’organe de la vie ». (p.83)

Toutes les contributions de ce colloque sont, évidemment, bien écrites, bien étayées et ne se recoupent pas. Comme l’explique le professeur Ridha Bourkhis dans sa Présentation, il s’agit bel et bien d’une « belle entreprise de recherche et de réflexion sur le texte francophone où la langue française est tout à la fois un outil et une substance. » Nous ne pouvons pas, faute de place, citer toutes ces contributions. Disons tout simplement que les nombreuses réflexions qu’elles suscitent en particulier dans la première partie, sur la francophonie, sa raison d’être et son rôle dans la construction des identités individuelles et collectives, constituent bel et bien un apport louable à la réévaluation d’un sujet maintes fois abordé, certes, mais, cette fois, sans confusion aucune entre exception culturelle et diversité culturelle ou encore entre francocentrisme et francophonie.

Actes du colloque international (université de Sousse, nov.2019), sous la direction de Ridha Bourkhis, L’Harmattan, 2020 Paris.

Rafik Darragi

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