News - 07.06.2020

Habib Touhami: L’Indépendance niée

Habib Touhami: L’Indépendance niée

Selon des sources « indignes » de foi, la Tunisie serait encore sous protectorat français, gouvernée directement par l’ambassadeur de France à Tunis. Rien n’est évidemment étayé dans ces allégations, mais comme on dit, « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ». Pour être franc, je n’arrive pas à voir en l’ambassadeur en question une résurgence exubérante ou chamarrée d’un Marcel Peyrouton (Résident général entre juillet 1933 et mars 1936) ou d’un Paul Cambon, premier Résident général de France en Tunisie (février 1882-octobre 1886). Je n’arrive pas non plus à voir en les ministres tunisiens, de quelque bord qu’ils soient, des serviteurs dociles de la France, fussent-ils des binationaux patentés. Bref et à croire ces mêmes sources, notre Indépendance ne serait qu’une usurpation, une vue de l’esprit, que dis-je une chimère.

En politique, le mensonge est monnaie courante, mais pas à ce point. Nier l’Indépendance dépasse en conséquences, et de très loin, tous les mensonges que l’on a débités jusqu’ici sur l’emploi ou les causes de la baisse de la natalité par exemple. Au demeurant, ces mensonges n’ont pas touché, du moins directement, à notre histoire et à notre mémoire collective, bien le plus précieux mais bien le plus fragile en définitive. En écoutant ces sources nier farouchement l’indépendance du pays, je me suis posé la question de savoir si elles savent ce qu’est le colonialisme, l’indigénat, un territoire militaire, la brutalité de la soldatesque coloniale, le camp des « Joyeux » à Fom Tataouine, la répression aveugle allant jusqu’à faire fusiller des Tunisiens pour n’importe quel motif, le chien du capitaine que son maître encourageait à pourchasser les enfants sur le chemin de l’école, l’embastillement pour un simple oubli de saluer militairement le gradé qui passe, l’obligation faite  aux écoliers  de regarder en rangs serrés un film à la gloire de notre « sainte mère » Jeanne d’Arc.

Nier l’Indépendance, c’est oublier des pans entiers de notre histoire, « Sakiet Sidi Youssef », les batailles de Remada et de Bizerte, les Ultras d’Alger qui se promettaient « d’aller coucher dans le lit de Bourguiba », la haine des coloniaux et de la droite française, la décision de nos frères algériens d’installer leur Gpra (Gouvernement provisoire de la République algérienne) à Tunis et non pas au Caire. Comment le FLN aurait-il pu choisir Tunis à la place du Caire ou de Rabat s’il soupçonnait la moindre collusion entre la France et la Tunisie indépendante et s’il craignait la trahison des dirigeants tunisiens de l’époque, Bourguiba en tête? Même l’état-major de l’ALN, hostile à Bourguiba pourtant, ne s’y est pas risqué. Comment croire que tous, à l’intérieur comme à l’extérieur, ont manqué de discernement à ce sujet sauf nos valeureux négationnistes ?   

En vérité, dans la négation de notre Indépendance se mêlent la bêtise brute, la propagande d’égouts, l’inculture générale et politique, l’ignorance effarante des faits, l’incapacité de saisir la complexité de l’environnement régional et international, et surtout la haine viscérale d’Habib Bourguiba. Pour les négationnistes, il est impératif de nier l’Indépendance de notre pays pour faire passer Habib Bourguiba pour un usurpateur ou, pire, pour un traître à la solde de la France. Or Habib Bourguiba ne pouvait pas l’être. Un narcissique de son calibre ne courbe pas l’échine devant qui que ce soit. C’est la loi du genre. Alors de grâce, messieurs les négationnistes, passez votre chemin et laissez les historiens travailler à leur guise. Le bilan politique d’Habib Bourguiba et des néo-destouriens reste à faire, oui, mais pas par vous.

Habib Touhami


 

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1 Commentaire
Les Commentaires
zedache - 07-06-2020 09:40

Déçu que vous retourniez la proposition pour vous attaquer à une résolution qui ne fait que réclamer ce que vous mêmes qualifiez de "crimes" commis par le colonialisme français en Tunisie: l'indigénat, le camp de "joyeux", la répression aveugle, Remada, Sakiet Sidi Youssef, Bizerte et bien d'autres encore. Non, les Tunisiens ne nient pas l'indépendance de leur pays acquise au prix du sang, mais ils veulent liquider le lourd contentieux qui les oppose aux "colonistes" français du gabarit de Jules Ferry, qui préconisait que "les races supérieures ont des droits sur les races inférieures (nous), qui est celui de les civiliser". Pendant longtemps, même après l'indépendance, nous avons vécu sur un récit historique pré-colonial, qui préparait notre asservissement en falsifiant notre histoire nationale. Psychologiquement, mentalement, culturellement, cette approche est encore vivace, entretenue à travers un "cordon ombilical" que la France nourrit dans ses écoles implantées en Tunisie, et dans le flot grandissant de binationaux qui ont "colonisé" notre classe politique. Ne dit-on pas toujours dans le parler populaire que "nous sommes civilisés" pour nous rapprocher de l'ancien colonisateur, en nous éloignant un peu plus de notre culture de base arabo-musulmane, réduite à sa caricature islamiste, et de notre langue arabe, marqueur essentiel de cette identité, décrétée obsolète. Bourguiba lui même, autant qu'il m'en souvienne, voulait clarifier les rapports avec la France en les décolonisant. Or depuis sa destitution, il est apparu un néo-citoyen tunisien plus attentif aux intérêts culturels et économiques de la France, de sa position géo-politique dans notre pays, à travers notamment l'activisme, qui n'est pas un fantasme, d'une équipe diplomatique qui s'invite sans façon dans les bureaux des ministres, les accule dans la position de toutous devant leur maîtres, de quémandeurs devant leurs bienfaiteurs. Personne ne peut nier cette déplorable réalité. Du temps de Bourguiba aucune chancellerie ne se serait permis de tels écarts. Un sursaut de dignité n'est pas de trop dans un monde qui veut nous broyer sous la mondialisation indifférenciée au profit des plus forts.

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