News - 24.04.2020

Joli temps pour les machos!

Azza Filali: Covid 19, joli temps pour les machos!

Par Azza Filali - Messieurs, violentez les femmes, il en restera toujours quelque chose!

Le 16 mars 2020, l’association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), avait tiré la sonnette d’alarme, informant d’un accroissement probable de violence à l’égard des femmes à l’occasion du confinement. Aujourd’hui, 24 Avril, les actes de violence ont été multipliés par cinq. A titre d’exemple, au cours de la dernière semaine, 53 femmes sont venues s’abriter au refuges des femmes soumises à violences. Sans compter les appels désespérés de femmes violentées (tout comme leurs enfants) et craignant pour leur vie. N’oublions pas que dans notre beau pays, celui du CSP, deux femmes sur trois sont soumises à un moment quelconque de leur vie, à une violence conjugale. Et le temps du Covid, avec son confinement, a porté cette violence à son paroxysme. En admettant que ces femmes aient la possibilité d’arriver au poste de police pour se plaindre, elles s’entendent dire que les forces de l’ordre ont d’autres priorités. Dans le meilleur des cas, on les reçoit avec la phrase consacrée: «chidd darek»: à la fois semonce et agression verbale, de la part d’un agent de l’ordre, lui aussi foncièrement macho… La femme n’a alors d’autre recours que de réintégrer le logis, sachant qu’à travers le pays, il n’y a pas assez d’abris pour recueillir ce genre de victimes.

Mais la violence n’est pas que physique. Elle touche tous les secteurs de la vie quotidienne: violence familiale quand on voit l’amoncellement de taches qu’assurent celles qui sont à la fois «mères, épouses, filles,» et qui doivent prendre sur elles toutes les obligations ménagères. Violence économique : que penser des femmes divorcées qui, depuis la période du confinement avec fermeture des tribunaux, n’ont pas reçu la pension alimentaire qui leur est due? Ceci n’étant pas considéré comme une affaire urgente… 

L’ATFD a lancé des cris de détresse: un message au conseil supérieur de la magistrature. Aucune réponse. L’ATFD a aussi adressé un rapport au chef du gouvernement, listant toutes les anomalies subies par les femmes. Rapport demeuré lettre morte. D’autres priorités accaparent le premier responsable de l’exécutif, Covid oblige ! En attendant, les femmes peuvent continuer à recevoir des tannées, ou à crever de faim avec leurs enfants, si elles ont le «tort» d’être divorcées et de dépendre d’une pension alimentaire de la part de leur ex seigneur et maître…

Il y a aussi les violences verbales: celles qu’une femme au volant reçoit systématiquement si elle commet la gaffe de doubler un mâle ou de ne pas démarrer au quart de tour, au feu vert. Une pluie d’injures s’abat alors sur elle, balayant toutes les nuances de la vulgarité, n’épargnant ni son père, ni sa mère, pour arriver immanquablement à son air de poufiasse! Souvent, plus la voiture du mâle est luxueuse, plus la vulgarité est crue!

Venons-en à la violence verbale dont sont victimes les femmes politiques. Celles-ci, malgré leur nombre limité, ne sont pas épargnées par leurs collègues masculins. Indépendamment des positions politiques de ces dames et des idées qu’elles défendent, il est indéniable qu’elles sont trop souvent la proie d’insultes qui peuvent atteindre un niveau de bassesse assez remarquable! Qu’une députée du parlement soit traitée de tous les noms, même les plus inacceptables, par un élu roulant des mécaniques et s’étant empressé de porter plainte contre elle (pour quelle raison au fait ?) Voilà les ingrédients du machisme ordinaire au pays du Code du statut personnel!

En définitive, malgré la loi votée en Aout 2017 et interdisant toute forme de violence à l’encontre des femmes et des enfants, la situation n’a pas vraiment changé. En dépit de tous les textes, votés ou non, et visant à affranchir les femmes, notre société reste, dans ce domaine, profondément traditionaliste. Le modèle patriarcal, (qui prévaut aussi dans d’autres pays), continue à régner en maître. Après soixante années d’indépendance, pour la première fois une femme est nommée à la tête d’un ministère régalien, celui de la justice… Voilà qui est loin de représenter une performance! L’inégalité femme-homme et la prééminence du mâle au sommet de la pyramide sociale sont sans doute plus nuancées dans les sociétés urbaines mais il suffit de gratter un peu le vernis de modernisme pour voir resurgir le vieux démon de l’incomplétude féminine: la femme, cet être auquel manque toujours « un je ne sais quoi, un presque rien», pour se dresser en personne autonome, droite dans sa vie et se suffisant à elle-même.

C’est que le modèle patriarcal est redoutable: d’autant plus difficile à contrecarrer qu’il investit toutes les sphères de la vie quotidienne. Depuis le salaire des ouvrières agricoles, (nettement plus bas que celui des hommes), jusqu’aux rites religieux, chasse gardée des hommes depuis des millénaires: qu’il s’agisse des règles de l’héritage selon la Chariaa, ou plus prosaïquement de l’appel à la prière: cinq fois par jour, un homme monte tout en haut du minaret des mosquées pour appeler les fidèles à la prière. Même s’il s’agit d’un enregistrement, celui-ci émet une voix masculine. C’est que chez les dévots (et les autres…) la voix de la femme est «Aoura»! A la prière, ce sont les hommes qui se pressent en rangs serrés vers la mosquée; parfois, quelques femmes arrivent aussi et se parquent dans un enclos, au bout de la grande salle réservée à ces messieurs. Autre détail révélateur: avez-vous fait attention aux files d’attente dont la période du confinement nous a gavés? Devant les bureaux de poste, les grandes surfaces et autres: bien souvent, deux rangées se constituent, une pour chaque sexe. Certes ce n’est pas général, mais cela révèle la constance de certaines manières d’être, envers et contre tous les signes affichés d’égalitarisme…

En définitive, l’archétype patriarcal nous moule encore et n’est pas près de disparaître. Pour changer tout cela, il faudrait de grandes décisions politiques, une réforme profonde de l’éducation, à l’école tout comme à la maison, des sanctions musclées en cas de violence (de tous types) exercées sur les femmes. En somme, un modèle sociétal différent, impliquant une véritable révolution dans les manières de penser et d’agir. Sommes-nous prêts à entreprendre ce genre de révolution, nous tous autant que nous sommes: politiques, hommes de loi, religieux, ou citoyens ordinaires? La réponse est non. La situation changera sans doute dans quelques décennies, au gré des secousses qui affecteront le corps social. En attendant, prévoyez, mesdames, d’être encore injuriées ou battues et prions toutes ensemble pour que les confinements ne se reproduisent plus et qu’on ouvre très vite cafés et mosquées, afin que ces messieurs retrouvent leurs défouloirs habituels, entre hommes…

La loi numéro 50 de la constitution visait à interdire les causes de la violence à l’égard des femmes et impliquait un regard nouveau sur l’éducation à la maison et à l’école, de manière à changer le regard à l’égard de la femme dès l’enfance. Evidemment ceci n’a pas été appliqué. Aucune éducation sociale, sexuelle.

Azza Filali

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2 Commentaires
Les Commentaires
Abdelkader Maalej - 26-04-2020 11:57

Merci Me pour cet article mais comment voulez vous lutter contre ce fléau alors que les intégristes obscurantistes font malheureusement la loi dans notre pays.Le seul moyen pour se débarrasser de ces malfrats c'est de resserrer les rangs lors des prochaines élections afin de les empêcher de s'emparer du pouvoir; c'est encore loin mais on n-y peut rien E mieux vaut tard que jamais.

Jamila Ben Mustapha - 26-04-2020 11:57

Excellent aticle qui s'en prend, preuves à l'appui, au mythe de la Tunisie, pays uniformément à l'avant-garde en matière des droits des femmes

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