Opinions - 28.03.2020

Regards sur la médecine antique de l’époque classique

Regards sur la médecine antique de l’époque classique

La médecine antique de l’époque classique a constitué le fondement d’une grande partie de la médecine occidentale jusqu’au début du XVIIème siècle. Le serment d’Hippocrate est régulièrement cité comme la pierre de touche de l’éthique médicale, et les idées antiques sur la relation entre un médecin et son patient ont encore un écho aujourd’hui. Si Hippocrate est toujours considéré comme le père fondateur de la médecine savante, d’autres personnages ont joué un rôle sans doute plus grand encore tel que les anatomistes Hérophile et Érasistrate, le pharmacologue Dioscoride, le gynécologue Soranos et, surtout, Galien, le médecin polymathe et pugnace qui soigna plusieurs empereurs romains. Des récentes découvertes épigraphiques, de manuscrits et de papyrus nous permettent actuellement de mieux comprendre les multiples pratiques médicales antiques, y compris religieuses et magiques, qui avaient cours dans le monde classique. Il révèle un monde plein de vie et très divers de guérisseurs, tous engagés dans une lutte continuelle pour soigner leurs patients.

A) La Grèce antique et le début du rationalisme

Une des grandes ruptures dans la pensée médicale fut le refus de l’intervention des divinités dans les processus pathologiques et thérapeutiques. L’ouvrage d’Hippocrate intitulé « La Maladie sacrée » en est un des plus beaux exemples. L’auteur y critique les partisans d’une médecine mystique dans une première partie, et dans une seconde partie rattache un nombre important de maladie, dont l’épilepsie, à des causes naturelles. Dans un autre ouvrage intitulé « Les Épidémie », Hippocrate offre une description intéressante de cas médicaux de plus de quarante malades atteints d’affections graves.

Après la mort d’Hippocrate, ses disciples étaient les premier médecins dans l’histoire humaine qui soignaient des êtres humains sans distinction de races, de sexes ou de catégories sociales ; nous en tenons pour preuve le fait que ces médecins hippocratiques désignaient leurs malades par le mot « anthropos » signifiant l’être humain, sans autre élément discriminant.

Avec l’installation d’une discipline hippocratique dans le monde grec, les médecins ont eu à débattre de deux grands problèmes méthodologiques. Le premier était lié à la nature du métier du médecin : la médecine est-elle un art, une science ou une technique ? Le deuxième problème, interne à la médecine elle-même, est lié à son rattachement à la philosophie.

Au niveau pratique, le corpus hippocratique qui comporte plus de 60 traités nous offre la preuve de l’usage très répandu de drogues d’origine végétale (la belladone, le lierre, la mandragore, le saule, ... mais aussi le suc de pavot). Leurs vertus sédatives, narcotiques et analgésiques, étaient reconnues. Cependant, la pharmacopée n’occupait encore qu’une place réduite dans le traitement de la douleur. C’est à cette époque que le suc qui s’écoule de la capsule du pavot et qui contient de nombreux alcaloïdes à très puissante action analgésique (morphine, codéine) a été recueilli et préparé pour être utilisé contre certaines douleurs notamment pelviennes.

Certes, dans l’Antiquité grecque, la médecine irrationnelle perdure. Les dieux pouvaient aussi bien être à l’origine de certaines maladies que les soigner. Asclepios (connu sous le nom d’Esculape à Rome), fils d’Apollon et d’une mortelle, élève du centaure Chiron, devient le dieu de la médecine. Pour vaincre les maladies, on pouvait user d’amulettes et d’incantations, se rendre dans des temples dans lesquels les songes étaient interprétés. Mais à côté de ces pratiques religieuses, on observe la naissance de nouvelles méthodes médicales plus rationnelles. Ainsi, parmi les nombreux remèdes utilisés par l’École Hippocratique, la chaleur, et à un moindre degré le froid, étaient des moyens physiothérapiques utilisés sous de multiples formes (bains, cataplasmes, emplâtres, vaporisation, aspersion, gargarismes, ...) pour traiter aussi bien des céphalées que des douleurs articulaires.

Donc, et malgré la persistance des anciennes pratiques irrationnelles, la médecine a pu progresser pendant l’Antiquité grecque grâce à une mentalité analytique et scientifique de quelques médecins avant-gardistes.

B) Galien, le maître de la médecine romaine

Galien est né sous le règne de l’empereur Hadrien en 129, à Pergame, cité d’Asie mineure, célèbre pour son temple d’Esculape et sa bibliothèque. Entre 144-145, il étudia auprès de quatre maîtres de familles philosophiques différentes, puis, entre 146-147, il commença ses études en médecine. Il compléta ensuite sa formation à Smyrne puis à Corinthe, puis enfin à Alexandrie. En 157, il rentra à Pergame où il fut nommé médecin des gladiateurs, tâche terrible pour un médecin mais d’une valeur didactique sans égale. En 162, il partit à Rome où il séjourna pendant un peu moins de quarante ans et où il rédigea la plus grande partie de son œuvre au service des grands empereurs. Il mourut entre 210 et 216 en Asie mineure.

Le savoir de Galien reposait sur l’héritage des connaissances antérieur et sur ces propres observations. Ainsi il restait attaché aux connaissances anatomiques de la médecine hellénistique en la complétant par la dissection animale, en particulier sur le macaque et sur le cochon qu’il avait lui-même entreprise. Il établit sa physiologie par combinaisons complexes d’observations et de découvertes. Néanmoins, il restait attaché à la théorie des humeurs d’Hippocrate, le corps était donc, pour lui, composé de quatre humeurs : sang, phlegme, bile jaune et bile noire. Il rattachait chacune d’elles à un organe, le sang au cœur, le phlegme au cerveau, la bile jaune au foie, la bile noire à la rate. Elles étaient également caractérisées par une qualité, respectivement le chaud, le froid, l’humide, le sec, et par un élément constituant le macrocosme, respectivement le feu, l’air, l’eau et la terre. Il rattachait aussi les humeurs aux saisons, aux âges de la vie et aux tempéraments des hommes. Il intégra également l’héritage platonique à sa physiologie, en utilisant la notion de pneuma au nombre de trois : le pneuma psychique, le pneuma vital ou animal pour le cœur ou les artères, le pneuma végétatif pour les veines et le foie, mais aussi les forces et facultés qui règlent les grandes fonctions biologiques : digestion, nutrition, croissance, à savoir la faculté alternative, attractive, expulsive et la sécrétion. Ces facultés étaient en quelque sorte l’apparence concrète que prend l’intervention de la divinité dans le corps humain. Galien faisait donc intervenir de nombreux éléments rationnels dans le fonctionnement du corps humain, fruit de l’expérience, de la recherche mais également empreint de spiritualité.

Selon nos sources antiques, Galien était l’homme de science le plus savant de son temps, sacrifiant au goût populaire de l’époque au moyen d’exposition anatomique, de conférences et de manuels sur des sujets médicaux. C’était un écrivain prolifique ; presque toute ses œuvres traitent de médecine et embrassent l’ensemble des branches de la santé et de la maladie, la physiologie et l’anatomie en particulier, mais il estimait qu’il y avait un lien étroit entre la médecine et la philosophie et il écrivit nombre de commentaires sur les ouvrage de Platon, d’Aristote et de Théophraste, de même que sur des sujets philologiques.  À son époque, la profession de médecine était divisée entre plusieurs sectes antagonistes, mais Galien était éclectique et ne fit allégeance à aucune d’entre elles. Il préférait prendre à chacune ce qui lui semblait vrai. Après sa mort, son influence fut responsable de la disparition des diverses sectes. Il était un grand admirateur d’Hippocrate dont il proclamait que les doctrines ne faisaient que renforcer et s’étendre. Une grande partie de sa physiologie était traditionnelle, mais ses discours sur l’anatomie et les processus physiologiques révèlent l’observation minutieuse qui mit à jour de nombreux faits nouveaux.

Mohamed Arbi Nsiri
Historien