News - 28.03.2020

Confinement général, maladie et Internet

Confinement général, maladie et Internet

C'est une menace invisible qui inquiète le monde entier. Le coronavirus de Wuhan (Chine), responsable d'une infection respiratoire mortelle, infecte de plus en plus le monde. C’est désormais la guerre, une guerre contre un ennemi implacable autant que meurtrier. Le monde à l'arrêt, l'économie mondiale plonge déjà. La pandémie continue de semer la mort, malgré des mesures de confinement d'une ampleur inimaginable il y a encore quelques jours, mesures qui concernent désormais plus de trois milliards et demi de personnes. Quelque 550.000 cas recensés dans le monde dont environ 25.000 malades ont succombé depuis l'apparition du virus, et maintenant il "menace l'humanité toute entière", selon l'ONU ; et l'Afrique, mal armée face à une crise sanitaire de si grande ampleur, suscite de grandes inquiétudes. Les gouvernements du monde entier se sont convertis à des mesures de confinement radicales, malgré le coût économique et social faramineux. Mais il faudra aussi faire face au "choc économique", au "choc social", une fois la crise passée. L'épidémie de coronavirus touchera "probablement" plus de la moitié de la population mondiale, malgré le renforcement drastique des mesures de confinement. En effet, depuis le début, la stratégie n'est pas d'empêcher que le virus passe, car on sait qu'il passera probablement par plus de la moitié d'entre nous, mais de faire en sorte qu'il passe de la manière la plus étalée possible dans le temps. Les scientifiques considèrent, que 50 à 70% de la population mondiale, in fine, finira par être contaminée, ce qui mettra fin au virus, puisqu’il se créera une forme d'immunité majoritaire, et que le virus s'éteindra de lui-même.

Avec le confinement et le coronavirus, internet peut-il saturer ? Nous ne le savons pas. A priori, Internet et les réseaux mondiaux ne peuvent pas vraiment s’effondrer sous le poids de l’augmentation du trafic lié au coronavirus, mais le confinement mène tout de même à une situation inédite et différentes plateformes, par précaution, réduisent déjà leur débit de connexion. L'Union Européenne craint pourtant une saturation des réseaux en période de coronavirus et de confinement. Aussi a-t-elle appelé les plateformes de diffusion et les opérateurs à prendre des mesures pour alléger la pression sur l’Internet afin de faciliter le travail à distance et l’éducation en ligne, durant la période de confinement imposée dans les pays d’Europe pour lutter contre la propagation du Covid19, pour préserver le bon fonctionnement de l’Internet, tout en maintenant une bonne expérience pour les utilisateurs.

Le temps s'est arrêté. Tout est arrêté par décret gouvernemental. Ce qui se passe en ce moment dans le monde est surréaliste. Une situation exceptionnelle qui peut être vécue difficilement par beaucoup, car elle signifie littéralement, isolement et ennui. Nos journées sont rythmées par les informations... nous n’avons pas toujours le moral, mais nous sommes en guerre avec pour mission de tenir le coup pour tous. Je crois que le pire est de ne plus pouvoir sortir librement, de ne plus voir personne. Les rues sont désertes, seuls les magasins de nourriture et pharmacies restent ouverts.

Les parents ont peur que cette année leurs enfants ne retrouvent pas le chemin de l’école. Les enfants ont besoin de plus d’attention, alors il faut les encourager pour les motiver davantage car intégrer l’idée de travailler à distance, c’est difficile pour un enfant habitué à aller à l’école. Le coronavirus nous a fait arrêter le temps. Nous n’avons plus de but précis, plus de travail, plus d’obligations sinon celle absolue de ne pas tomber malade ; alors on obéit, pas pour soi, mais pour le bien de tous. La solidarité manquait le plus dans ce monde. Cette épreuve semble renforcer nos rapports avec les autres, relativiser nos priorités. Être confinés est terrible pour tous, mais, il y aura des jours meilleurs car la vie est plus forte.

Le confinement est actuellement la seule stratégie réellement opérationnelle, l’alternative d’une politique de dépistage à grande échelle et d’isolement des personnes détectées n’étant pas pour l’instant réalisable à l’échelle nationale. Il faudra peut-être se préparer à ce que le confinement dure au-delà de 15 jours, durée annoncée initialement, pour s’étendre jusqu’à 5 à 6 semaines. Le confinement doit être strictement mis en oeuvre et bénéficier d’une large adhésion de la population. Selon certains experts, trois semaines seraient nécessaires pour obtenir une première estimation de son impact sur la diffusion de la maladie sur la base d’indicateurs épidémiologiques indiquant notamment que la saturation des services hospitaliers, et en particulier des services de réanimation, est jugulée. Il faudra ensuite s’assurer que les éléments d’une stratégie post-confinement soient opérationnels. Les pouvoirs publics doivent faire preuve d’une entière transparence et de plus de clarté, afin de répondre aux questions que se posent les hôpitaux et les soignants quant aux stocks existants, de divers types de matériels, à commencer par les matériels de protection sanitaires indispensables et à la manière dont les services de santé seront approvisionnés.

Après le coronavirus, notre société va changer, quand nous aurons vaincu l'épidémie. Il apparaît évident que certaines tendances récentes sont susceptibles d’être amplifiées par la mise en quarantaine de toute la population. Certaines tendances ont progressé au cours des cinq dernières années et il y a tout lieu de penser qu’elles vont poursuivre leur progression et s’amplifier à cause de cette crise sanitaire sans précédent.

Le règne de la “e-life” va s’accélérer. Le plus évident. La mise en quarantaine et l’injonction des pouvoirs publics à la “distanciation sociale” favorise la société des écrans. La “e-life”, déjà largement amorcée, va s’accélérer au sein des foyers confinés et Netflix ou Amazon en seront les prophètes. Du e-commerce aux e-conférences, en passant par les e-rendez-vous, la dématérialisation va connaître une avancée spectaculaire. Celle-ci est d’ailleurs déjà largement là : des plateformes vidéo de type Netflix et écoutes de la musique en streaming sur Deezer ou Spotify. D’autres pratiques vont se développer dans le contexte actuel : réunions à distance, téléconsultations des médecins, des psychologues, télétravail, éducation à distance, médias digitaux, vente à distance, livraison au domicile, etc.

Il faut cependant se garder de tirer de conclusions définitives sur ce chapitre technologique. Il est probable que la fin du confinement obligatoire soit suivie immédiatement d’une explosion des contacts sociaux et des rassemblements physiques. Les personnes auront envie de retrouver leurs proches et d’être ensemble. Reste que la dématérialisation des modes de vie aura, dans l’intervalle, accéléré sa progression irrésistible.

Les gens vont se recentrer sur l’essentiel. Le confinement obligatoire aura sans doute pour autre effet de permettre à de nombreuses personnes de se concentrer sur ce qui est vraiment important pour eux, ou à tout le moins, d’y réfléchir. Revenir à l’essentiel, se concentrer sur ce qui compte vraiment, une envie jusque-là contrariée par le manque de temps. La mise en quarantaine donne l’occasion aux personnes de rattraper le temps perdu, car du temps, ils vont désormais en avoir ; d’abord du temps pour eux, car c’est souvent de cela qu’ils manquent, des moments rien qu’à eux où personne ne vient les déranger. C’est aussi plus de temps de disponibilité pour leur foyer et leurs proches. Pour ceux qui sont confinés ensemble, cela offrira peut-être des occasions de se rapprocher ou le contraire…. Mais, même à distance, les citoyens disposeront de temps pour reprendre contact avec ceux qu’ils aiment. Les rituels entre proches sur Facebook ou WhatsApp se multiplient déjà, rendez-vous avec les grands parents, discussions en ligne, etc.

Il faut d’ailleurs souligner au passage que le “cocooning”, mot inventé à la fin des années 80, va trouver son parfait épanouissement dans les semaines à venir. Il s’est imposé dans les faits au cours des années 2000, avec la généralisation d’Internet ; de plus en plus d’activités ont été entreprises à distance (communiquer, acheter, vendre, louer, …). La période actuelle vient consacrer une évolution sociologique majeure de la période récente. Ainsi l’expérience du confinement va redonner à la maison un rôle central, passer des moments tranquilles avec la famille ou les amis ou chez soi plutôt qu’à l’extérieur, sera pour certains, une occasion de la redécouvrir, voire de la réinventer.

La rationalisation de la consommation va se poursuivre. La consommation est le troisième domaine qui devrait confirmer les évolutions récentes. Les habitudes des populations ont beaucoup changé et sont devenues plus rationnelles. Même si le plaisir consumériste n’a pas disparu, le sentiment de déclassement qui touche une part croissante de la population a modifié les comportements. Désormais, les consommateurs font plus attention, arbitrent davantage, cherchent les meilleurs prix et prennent plus de temps pour se décider. La décennie 2010-2019 a ainsi été marquée par le boom du marché de l’occasion. Au-delà du prix, ils réfléchissent davantage au contenu de ce qu’ils achètent. L’époque de l’hyperconsommation et de l’accumulation matérialiste est derrière nous. Plus informés et parfois plus experts, les gens exigent plus de transparence, plus de garanties sanitaires, plus de qualité. Nul doute que cette crise les rendra encore plus exigeants. Le tournant des marques vers plus de “responsabilité” va donc s’amplifier dans les années qui viennent. Mais là encore, nous ne nous dirigeons pas vers un avenir fait d’austérité et de minimalisme. D’abord parce qu’en ces temps de réclusion involontaire, le plaisir est la dernière chose qui reste pour garder le moral. Il est probable que les petits plaisirs alimentaires (glaces, chocolat, bons plats faits maison…) ou les jeux (vidéos ou de société) permettront d’aider à passer l’épreuve. Ensuite, parce qu’au sortir de cette crise sanitaire, après des semaines de privation, les citoyens auront une énorme envie de se défouler. Une vague d’hyperconsommation s’en suivra certainement pendant quelque temps, comme une séance de rattrapage.

La demande de collectif va s’amplifier. En 2010, la sociologue américaine Sherry Turkle publiait Seuls ensemble : de plus en plus de technologie, de moins en moins de relations humaines. Dans ce livre référence, elle montrait que la diffusion d’internet avait produit un paradoxe : les gens étaient physiquement ensemble, mais virtuellement isolés. Avec la mise en quarantaine de pays entiers, c’est le contraire : les gens sont physiquement isolés, mais virtuellement ensemble. Joli retournement de situation qui ne survivra peut-être pas à l’épisode du coronavirus, mais qui exprime le besoin d’être connecté aux autres. Pourtant, la demande de collectif est réelle et de plus en plus affirmée dans la société. En témoignent les mots “solidarité” et “fraternité” qui sont parmi les mots dont le nombre de citations a le plus progressé. Dans le même temps, les mots plus individuels de “plaisir” et de “réussite” ont nettement baissé. Cette hausse des valeurs collectives en dit long sur l’absence de collectif que ressentent les populations aujourd’hui. Car c’est bien cela que mesurent ces mots : le sentiment que les valeurs de solidarité perdent du terrain et qu’il faut par conséquent les défendre. Au sortir de cette crise, le collectif devra être la priorité des gouvernements. Ce désir de collectif va s’imposer également aux entreprises. La demande de responsabilité sociétale de l’entreprise va continuer à se faire pressante. Ainsi les salariés âgés de 35 à 49 ans considèrent aujourd’hui que les entreprises devraient, avant tout, se préoccuper de l’effet de leurs actions sur l’environnement, l’harmonie sociale et l’épanouissement de leur personnel. La priorité était réclamée avant la crise ; elle le sera encore davantage après.

La santé va représenter une part prépondérante de la conscience écologique.

Les théories d’effondrement ont le vent en poupe depuis quelques années. Nul doute que l’épidémie du coronavirus et ses conséquences nationales vont renforcer la conviction partagée que notre civilisation va bientôt disparaître. Le volet sanitaire de la conscience écologique, qui ne cesse de s’affirmer, va sans doute sortir fortifié de cette crise. La dégradation de notre environnement, en particulier les effets nocifs de la pollution sur les populations, est parmi les problèmes qui les préoccupent le plus. De fait, la proportion des personnes déclarant qu’ils font de plus en plus attention aux conséquences sur la santé des produits qu’ils achètent, n’a jamais été aussi haute. Les applications de type Yuka vont devenir des armes encore plus puissantes dans les mains des consommateurs de produits alimentaires ou cosmétiques.

Les jeunes de la “génération Y”, ceux qui ont 20 ans aujourd’hui expérimentent en grandeur nature le principe de précaution dont ils sont les héritiers. Dans les années qui viennent, l’épisode du coronavirus, non seulement aura marqué cette génération, mais elle l’aura définitivement alertée contre les menaces sanitaires possibles à venir. Arrivée à l’âge adulte, elle changera la donne en augmentant la pression sur les acteurs politiques et économiques, en la matière.

Le rapport au travail va poursuivre sa mutation. Enfin, il est certain que le travail va changer. Pas seulement sur le plan pratique, car c’est désormais une affaire entendue que le télétravail va connaître un essor sensible au cours des prochaines semaines et s’imposer comme une façon normale de travailler au XXIe siècle. Alors que cela n’était pas encore gagné dans les esprits de certains managers, aujourd’hui, un salarié sur deux, juge souhaitable qu’à l’avenir on travaille le plus souvent en dehors des locaux de son entreprise, dans des espaces dédiés ou non au travail ou chez soi. Ce chiffre a toutes les chances de grimper après l’épisode du coronavirus, qui suit la longue séquence des grèves précédente. Mais c’est dans la façon d’envisager son travail que les choses sont susceptibles de changer en profondeur. Les populations, au cours de la décennie précédente, ont réalisé l’importance de maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. Les générations précédentes avaient négligé cet équilibre. Cet axe sortira vraisemblablement renforcé de cette crise sanitaire. Les gens vont très certainement ressentir le rôle fondamental du travail dans la construction de leur identité, mais ils vont aussi comprendre que, dans la période incertaine dans laquelle nous sommes entrés, rien ne vaut une vie pleinement épanouie.

Monji Ben Raies
Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar,
Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.

 

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