Opinions - 28.03.2020

Samir Allal: Et si le coronavirus avait raison du populisme?

Samir Allal: Et si le coronavirus avait raison du populisme?

La pandémie qui s’est installée en un temps record sur la planète serait la démonstration des méfaits de l’ouverture des frontières et de l’incurie des élites. Le virus est le migrant par excellence, la parabole de l’ennemi extérieur, insidieux et destructeur.

Le populisme devrait donc sortir renforcé de cette crise sanitaire, voire en être le grand gagnant. Rien n’est moins sûr. À y regarder de près, on ne peut qu’être frappé par la manière dont il met à mal toute la rhétorique populiste.

La rhétorique de la haine et de la division d’abord. Ainsi voit-on grandir chaque jour dans les pays ravagées par l’épidémie un sentiment collectif d’union et de solidarité. Peu importe les consignes de distanciation sociale (physique), le renforcement du lien social est bien réel et les vociférations populistes trouvent de moins en moins d’écho dans cette atmosphère pacifiée. L’isolement imposé par le coronavirus n’est pas un repli individualiste, il est un acte de fraternité. Une fraternité qui, bien que paraissant avoir pour prix notre liberté (celle d’aller et venir, de se rassembler...), amplifie cette dernière, qui sans elle ne serait que chimère.

La rhétorique de la peur ensuite. Certes la peur n’a jamais été autant présente. Mais le coronavirus a substitué la peur d’un danger réel, documenté par des faits (le nombre exponentiel des malades, les risques accrus de décès avec la saturation des hôpitaux...), à la peur populiste dirigée contre des maux imaginaires ou fortement exagérés et amplifiée par les réseaux sociaux. Les citoyens veulent la rationalité et l’optimisme, et non l’appel irrationnel à la peur.

Mais surtout, la crise sanitaire engendrée par la diffusion du coronavirus décrédibilise les recettes et solutions de “bon sens” populistes. Faut-il nécessairement fermer les frontières? Quelles frontières? La réponse ne va pas de soi et les pays agissent en ordre dispersé. Chacun comprend cependant le risque qu’elles représentent pour l’économie, dès lors que le virus est déjà partout.

Le coronavirus fait aussi régresser l’anti-politique dont se nourrissent les populistes. Les autorités se sentent parfois incomprises. Ce que souhaitent les Tunisiens, c’est ni plus ni moins le retour de la compétence aux commandes, des partis de gouvernement, qui s’appuient sur le jugement des experts, pour gérer une crise dont la complexité s’impose à rebours de la simplification populiste. C’est aussi le retour de la “grande politique”, celle du long terme, de la vision du monde et du futur, miroir inversé de la “politique politicienne”, ainsi que l’amorce d’un certain retour de la confiance envers la politique qui joue le jeu des institutions: un système sanitaire (avec les médecins littéralement portés aux nues), des forces de l’ordre (plébiscitées pour leur efficacité), des écoles et universités (assurant rigoureusement les cours en ligne et la continuité pédagogique), société civile (mobilisée et vigilante)...

Enfin, la crise du coronavirus peut s’avérer une véritable fabrique de civisme dans un pays qui en manque notoirement. Le civisme qui doit s’exprimer avec force ces jours-ci est une forme de responsabilisation sociale et de participation authentique à la vie collective qui élève les individus et donne le sentiment de contribuer à une œuvre commune. Il est aux antipodes du peuple atomisé et massé derrière un leader, doté de pouvoirs de crise. Ce qu’il faut dans ce genre de circonstances, est la responsabilité individuelle des citoyens dans le cadre strict de la Constitution.

Solidarité, fraternité, rationalité, compétence, confiance, civisme, participation: telles sont les valeurs qui doivent émerger pour gérer cette crise. L’équilibre est certes fragile entre l’appel d’air démocratique et la tension populiste. La remise en cause de certaines libertés individuelles soulève des inquiétudes légitimes, et une dramaticité supérieure pourrait déboucher sur des exclusions, discriminations et mêmes violences, dictées par une lutte pour la survie. Les populistes ne manqueraient pas de l’exploiter.

Mais les germes d’une démocratie purgée de ses démons populiste sont bien présents en Tunisie. La démocratie Tunisienne pourrait sortir renforcée de cette crise. Du moins veut-on l’espérer.

Samir Allal
Universitaire

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1 Commentaire
Les Commentaires
Hajer Toukabri - 28-03-2020 09:31

Solidarité, fraternité telles sont les valeurs qui nous permettront de sortir de crise sanitaire mais aussi économique. Concentrons sur nos valeurs, notre bon sens et notre sagesse d’esprit Et comme dirait Onfray : «Le populisme est le plus dangereux des narcotiques, le plus puissant des opiums pour endormir et anéantir l'intelligence, la culture, la patience et l'effort conceptuel » Hajer Toukabri Ancienne élève de Mr Allal

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