Opinions - 17.02.2020

Azza Filali - Manigances politicardes: un peuple pris en otage!

Azza Filali - Manigances politicardes: un peuple pris en otage!

Pourquoi sommes-nous, citoyens tunisiens, traités de la sorte ? Pourquoi, alors que l’économie s’enlise, que le pays s’effondre, tout ce retard pris à constituer un gouvernement, tous ces atermoiements, ces revirements, ces conflits d’hommes et d’intérêts qui n’en finissent pas ? 

Que tous ceux qui ont voté pour le parti Ennahdha, aux dernières législatives, se lèvent et constatent ce que ce parti inflige à la Tunisie, depuis le mauvais choix de Habib Jomli (deux mois pour former une équipe, aussitôt défaite au parlement), pour en venir aux pressions insoutenables qu’exercent les islamistes sur le gouvernement en voie de constitution! Tout cela dans un pays qui va droit à la banqueroute et au chaos. Un pays que ses partis politiques n’aiment pas, et dont ils se détournent pour vaquer à leurs petites affaires.

Jamais nous ne sommes tombés aussi bas depuis l’indépendance! Pour trouver un naufrage analogue, il faudrait revenir loin en arrière, vers les années 1860-1864, sous le règne de Mhamed Essadok Bey, lorsqu’une fiscalité écrasante et un endettement extérieur sans égal, avaient ruiné la Tunisie, la livrant aux mains des états européens.

Aujourd’hui, en 2020, les islamistes ayant goûté au pouvoir ne veulent plus le lâcher. Pour eux, le pouvoir ne vaut que s’il est absolu. Dans un exercice de prestigidation qu’aurait admiré Machiavel, les voici qui conjuguent la présidence du parlement, avec une intrusion avérée dans les prérogatives d’un président de la république permissif, tout comme une mainmise sur le futur gouvernement. Gouvernement qui doit leur accorder tous les portefeuilles qu’ils souhaitent, notamment les postes «délicats», ceux qui pourraient les gêner ou autoriser l’ouverture de dossiers «importuns» qu’ils veulent garder bien clos. Dès lors, après des heures de pourparlers avec M. Elyès Fakfakh, voici qu’un communiqué du «majless Echoura», annonce, samedi 15 février, dans l’après-midi, le retrait des ministres Nahdhaouis du gouvernement, ainsi que la décision du parti de ne pas voter pour l’équipe de Fakhfakh. Là, sans se démonter, Elyès Fakhfakh ne renonce pas à son rendez-vous avec Kais Saied, puis adresse une allocution à la nation, où il détaille les efforts fournis depuis sa désignation le 20 janvier dernier. Puis, il énumère la liste des candidats au gouvernement (indépendants ou émanant de partis) choisis en accord avec les différents partis. Fakhfakh révèle aussi qu’une heure avant la soumission de cette liste au président, le parti Ennahdha a rué dans les brancards et envoyé ses décisions-menaces: pas de participation au gouvernement, pas de vote de confiance à la liste de Fakhfakh. Cette allocution est tout à l’honneur de Mr Fakhfakh qui a eu le courage de la franchise et a tenu à informer les tunisiens des efforts fournis par lui et son équipe, tout comme des obstacles pernicieux, incessants, élevés par Ennahdha malgré toutes les tentatives de Mr Fakhfakh pour la satisfaire.

Après la farce du soutien d’Ennahdha à Qalb Tounés, afin de s’assurer des 38 voix du parti de Nabil Karoui, ce qui lui confère une majorité confortable dans ses initiatives pour contrer Fakfakh, voici que le combat entre Rached Ghanouchi et Elyès Fakfakh se resserre et se focalise sur l’essentiel, pour Ennahdha, à savoir les poste-clé, qu’elle se refuse à abandonner à des indépendants, lesquels peuvent ne pas être «sous contrôle…» Quant au prétexte d’obtenir un gouvernement d’union nationale, personne n’y croit vraiment, y compris ses instigateurs Nahdhaouis. Tout au plus, cette manœuvre sert-elle à contrer les partis Ettayar Et Echaab qui ont voté contre le gouvernement Jomli. Mais, au passage, Mr Ghanouchi oublie que Kalb Tounès a aussi voté contre Habib Jomli. Hélas, la politique a ses raisons, toujours obscures et nauséabondes…

De ce paysage politique mi- grotesque, mi- tragique, quelques leçons sont à retenir: la première est l’insatiable volonté de puissance du mouvement Ennahdha, prêt à tout sacrifier pour parvenir à son but : à savoir la sécurité pour ses membres, le positionnement de ses lieutenants dans les postes sensibles (intérieur, justice et technologies de la communication), et surtout le pouvoir. Mais, ce pouvoir ne vaut que s’il est sans limites: ainsi, le président du parlement a constitué un cabinet fait de ses proches; il a également «pris de la hauteur», critiquant publiquement le comportement de Kais Saied: ses absences aux rencontres internationales, tout comme son choix de Elyès Fakhfakh! Le président du parlement ne s’est pas non plus embarrassé pour recevoir (à une période critique pour le pays) l’ambassadeur de l’union européenne, celui de Russie et d’autres… Tout cela constitue un dépassement flagrant des prérogatives qui lui sont assignées par la constitution, mais Mr Ghanouchi n’en a cure: à sa manière, il réinstalle une dictature non dite. Dictature dans laquelle l’étape cruciale consiste à faire plier le futur locataire de la Kasbah pour avoir un gouvernement tout acquis à Ennahdha. Que les citoyens ayant voté Ennahdha s’arrêtent un instant et considèrent les agissements de ce parti auquel ils ont accordé leurs voix!

En vérité, celui qui gêne le plus Rached Ghanouchi n’est pas tant Elyès Fakhfakh que Kais Saied avec ses trois millions d’électeurs, alors que notre président du parlement, n’a obtenu, avec son parti, qu’un petit 20% des voix populaires et qu’il n’a été, lui-même, élu que par les députés, après des tractations douteuses ! En vérité, Kais Saied représente le principal rival qu’il s’agit de contrer lorsqu’on a des prétentions de pouvoir absolu!

Seconde leçon: n’est-il vraiment pas possible de se passer des voix d’Ennahdha, de la reléguer avec ses 52 fidèles, dans l’opposition et d’obtenir une majorité confortable? La solution pour M. Fakhfakh serait de s’allier Nabil Karoui et ses députés et d’offrir à Qalb Tounès les postes refusés par les nahdhaouis. Est-ce vraiment pour Elyès Fakhfakh une attitude intenable, lui qui a intégré le mouvement «El Karama» dans ses négociations ? Pour cela, il faudrait convaincre les dirigeants de Kalb Tounès qui viennent d’annoncer qu’ils se rangent dans l’opposition, (suivant en cela leur protecteur et gourou), mais aucune position n’est inébranlable. Qu’on se souvienne, (juste après les élections législatives) des déclarations respectives d’Ennahdha et de Qalb Tounes, durant la campagne pour les législatives, lorsque les deux partis clamaient haut et fort qu’ils ne s’allieraient jamais ! Qu’on se souvienne que, peu de temps après, ce sont les voix de Qalb Tounes qui ont assuré à Ghanouchi une majorité confortable pour être nommé président de l’ARP. Une pareille option est-elle envisageable?  En politique, toutes les décisions peuvent être revues, voire reniées… reste qu’il faudrait offrir à Nabil Karoui les garanties (pour sa sécurité personnelle) qu’Ennahdha a mis dans la balance…

Avec tout cela, le peuple est pris en otage par des politiciens plongés dans leurs calculs et leurs stratagèmes. L’extrême dénuement de certaines franges de la population, le taux de 15 % de citoyens pauvres (soit un million 700.000 personnes), avancé par l’institut national de statistiques, tout cela ne dérange pas nos partis. En clair, ils n’ont pas le temps. Pas le temps de s’occuper du quartier d’habitation, privé d’eau potable, quartier qui n’a même pas «l’excuse» d’être aux fins fonds de la campagne, mais se niche au cœur de l’agglomération de Kairouan. Pas le temps de se soucier de la faillite annoncée de l’hôpital La Rabta, des pénuries permanentes de médicaments essentiels. Pas le temps pour le marasme persistant de Tunis air. Pas le temps d’accorder leur confiance à un gouvernement qui pourrait se mettre au travail pour pallier à la décomposition du pays. En bref, ils n’ont pas le temps de faire preuve du minimum de patriotisme qui leur permettrait de se détourner de leurs affaires pour regarder ce pays qui les regarde en silence.

Messieurs les politiciens, arrêtez de faire perdre du temps au pays! Ce temps n’est pas le vôtre, mais celui de millions de Tunisiens qui vivent mal et attendent que leurs conditions s’améliorent. Arrêtez de pinailler pour protéger vos intérêts! Pareille attitude est d’une indécence sans bornes et ne pourra que se retourner contre vous. Méfiez-vous du silence du peuple! Il est souvent lourd d’une colère qui couve et finit par exploser, un jour. C’est alors que vos électeurs d’hier se retourneront contre vous et descendront dans la rue…

Azza Filali




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