News - 14.02.2020

Boubaker Benkraiem: N’est-il pas temps, neuf ans après, de se remettre, sérieusement, au Travail?

Boubaker Benkraiem: N’est-il pas temps, neuf ans après, de se remettre, sérieusement, au Travail?

La participation de la population tunisienne aux différentes élections effectuées depuis 2011, qu’elles soient municipales, législatives ou présidentielles, a régressé au fur et à mesure que le temps passait et, à chaque fois, se révélait, en deçà de l’attente des  uns et de l’espoir des autres mais sans aucune surprise de la part de la majorité de nos concitoyens qui s’y attendait, compte tenu de la grande déception populaire qui allait crescendo au vu de la cherté de la vie, l’augmentation du chômage et le favoritisme partisan. Mais ceux-ci et ceux-là, les acteurs politiques de toutes les sensibilités, ne se sont pas remis en question et pour cause!!

En effet, ceux qui ont gouverné le pays depuis 2011, tous ceux qui ont créé les quelques deux cents partis politiques, aveuglés par les projecteurs et les lampions du pouvoir, se croyaient inamovibles tant qu’ils détiennent le sceau magique, oubliant que le vent peut, sans aucun avertissement, tourner à contre sens. Si les uns étaient, soit des novices dans la gestion des affaires de l’Etat, soit des débutants dans la vie politique, les autres n’ont tiré aucun enseignement des erreurs et des maladresses de leurs prédécesseurs.

Pourtant, des patriotes sincères, des nationalistes francs et loyaux, appartenant tous à la génération de l’indépendance et qui ont participé, avec leur cœur, avec leur sueur, avec leurs tripes et parfois avec leur sang, à la fondation de l’Etat moderne, ces sentiments qu’ils ont essayé, de transmettre à nos concitoyens ont, compte tenu de leur expertise, de leur expérience, de leur amour pour la patrie, et des services rendus, ont, des dizaines de fois, tiré la sonnette d’alarme pour attirer l’attention de ces politiques sur tout ce qui leur semble inapproprié pour l’avenir et le devenir de notre pays. Combien de fois, de bonnes recommandations et de précieux conseils ont été prodigués à propos de certaines questions stratégiques ou de lignes de conduite à suivre dans l’intérêt suprême du pays.  

Malheureusement, par orgueil, par prétention, par vanité ou par indifférence de certains cabinets ou conseillers, ces conseils n’ont pas retenu l’attention de ceux qui croyaient tout connaitre et savoir. Et pourtant, on ne peut pas oublier comment ont été traitées l’affaire de la Banque Franco-Tunisienne et, à un certain moment, des causes du classement de notre pays dans la liste noire des pays suspectés de «blanchiment d’argent et de financement du terrorisme» entre autres pour arriver aux résultats que nous connaissons tous.

Cependant, neuf ans après la révolution, notre pays n’a pas avancé d’un iota dans tous les domaines exception faite de celui de la liberté d’expression qui, malheureusement, à lui seul, ne nourrit pas son monde. Aussi, tous ceux qui sont arrivés au pouvoir ont cru qu’ils y resteront très longtemps et que rien ni personne ne peut les en déloger. D’autre part, croyant tout connaitre et tout savoir  et pensant que nos concitoyens sont incapables de les gêner, ils se sont comportés d’une manière hautaine et prétentieuse. D’ailleurs, toutes les promesses faites aux jeunes ainsi qu’aux régions défavorisées, sont restées lettre morte. D’autre part, le populisme, le laisser-faire et le laisser-aller des questions épineuses ont été la démarche suivie par la plupart des gouvernants. Et les exemples sont fort nombreux : on a laissé bafouer l’autorité et le prestige de l’Etat, on n’a pas réagi, efficacement, lorsque des citoyens ont brûlé les symboles de l’Etat que sont les postes de la police et de la garde nationales, on n’a pas utilisé la force publique pour empêcher les groupes de jeunes qui, demandant des emplois, ont empêché les citoyens de rejoindre leurs lieux de travail et ont, même, bloqué l’extraction et la production des phosphates, on ne sait pas si on a réagi contre ceux qui, à Kerkennah, ont jeté une voiture de la police à la mer, on n’a pas * dérangé* des jeunes qui ont bâti une murette sur les rails, se laissant, sans aucune crainte, se faire filmer par la télé, on n’a rien fait contre les jeunes qui ont investi une zone saharienne dans la région d’El Kamour, zone dont l’accès a toujours été subordonné à autorisation. La plupart de ces délits n’ont été levés qu’une fois les demandes des fauteurs ont été satisfaites et des sociétés de l’environnement ont été créées, ici et là, ajoutant à nos difficultés financières, des situations inextricables. Aussi, le sentiment d’impunité était manifeste car des fautes très graves ont été commises et rien n’a transpiré quant aux sanctions infligées car celles-ci sont faites pour ramener les fautifs à la raison d’une part, et pour servir d’exemple, de l’autre : le commandant de bateau qui, en pleine mer, tamponna un autre, le pilote d’avion qui se bat avec son mécano en présence des passagers, le conducteur du train qui arrête son train, en rase campagne, pour aller faire des emplettes, le pilote d’avion qui arrive avec deux heures de retard de son vol, le cambriolage des effets des voyageurs à l’aéroport, pillages qualifiés de minimes par le Responsable du transport comme si les vols minimes n’étaient pas condamnables, etc….

Sentant un certain laxisme et beaucoup d’hésitation de la part des responsables, les malfrats dans les domaines de la corruption, de la contrebande, de la fraude fiscale, des tromperies de toutes sortes «fourniture de viande avariée, de viande d’ânes et de chats, égorgement de bêtes mortes, la gestion de certains abattoirs, etc….» se sont donnés à cœur joie pour faire fortune au détriment du peuple qui souffre en silence tellement la vie est devenue difficile dans notre pays, dans ce pays où il y a une décennie, Tunis était classé parmi les cinq villes les moins chères du monde.         

Et ce furent les élections présidentielles de 2019 et le peuple a voté. Les résultats ? Inutile de les rappeler mais le citoyen n’est pas dupe et les peuples n’oublient pas!

Faut-il rappeler que le peuple, c à d le citoyen, soucieux de subvenir, avec tant de difficultés, aux besoins de sa famille, donne l’impression de n’être, nullement, concerné par quelle personnalité, quel groupe ou quel parti politique remportera les élections et arrivera ou se maintiendra au pouvoir. Son seul souci, son plus grand défi et sa plus importante attente est de voir le renchérissement du couffin de la ménagère décroitre pour atteindre un niveau acceptable. Les prix des denrées essentielles qui, au lieu de croitre, normalement de cinq à sept pour cent chaque année, ont été multipliés par trois et quatre par rapport à 2010 alors que rien ne peut justifier ces augmentations abusives; et les autorités n’ont rien fait pour contrôler cette situation inadmissible qui n’a fait qu’empirer année après année. Et ce qui est incompréhensible, c’est que ce domaine est parfaitement maitrisable en désignant, par exemple, des équipes de contrôle appartenant à différents services et devant être relevées chaque semaine; en trouvant la formule permettant de participer à la fixation des prix des produits d’usage courant, et ce, à condition d’avoir la volonté politique de le faire.

De même, et neuf ans après la révolution, et durant cette période transitoire qui n’a que trop duré, il n’y a pas eu de grands projets réalisés pour assécher ou au moins, réduire, partiellement le chômage des diplômés du supérieur et des autres qui, au lieu de décroitre, s’aggrave, indubitablement. 

C’est surtout lors de ces moments difficiles qu’on reconnait le bon grain de l’ivraie.  La jeunesse de notre pays s’est soulevée pour la liberté, la dignité et le travail. Certains gouvernants, au début de cette révolte, n’ayant aucune expérience du pouvoir, ont dépensé sans compter, ont utilisé les réserves destinées aux générations futures et ont même emprunté des sommes énormes……. que  le pays doit, un jour, rembourser. Ces dépenses inutiles n’ont pas servi au développement des régions défavorisées mais à payer les salaires de centaines de milliers de personnes injectées dans la fonction publique qui n’en avait aucunement besoin et dont personne n’en parle aujourd’hui. De même, les dédommagements attribués, et tel ministre de l’éducation qui ramena le volume horaire hebdomadaire des enseignants du primaire de trente à quinze, dix-huit heures, mesure unique au monde mais qui nous a obligés à doubler les effectifs des enseignants ainsi que leur masse salariale, tel autre ministre de l’intérieur qui accorda, en une seule fois, jusqu’à trois avancements à des milliers de personnels, mesure et décision inédites, sans se soucier des répercussions budgétaires, tout cela ajouté au ralentissement et parfois à l’arrêt même de la production des phosphates tout le long de nombreuses années, sont à l’origine de nos difficultés financières. Le malheur est que personne n’a levé le petit doigt alors que la solution était très simple... c à d, y mettre le holà et demander à ces responsables de se tenir à la Loi des Finances. Pareilles mesures qui engagent l’avenir du pays ne peuvent, dans un pays de droit et de règles, être prises par un ministre seul et c’est, normalement, tout le gouvernement qui doit en décider et bien sûr, en assumer les conséquences. Voilà des mesures prises par des responsables peu responsables car on n’engage pas le budget de l’Etat, par compassion ou par la volonté d’un ministre parce qu’il y a des règles et une procédure à suivre.

Notre pays compte sur le tourisme pour gagner les devises dont il a toujours besoin pour l’importation des équipements nécessaires au développement sous toutes ses formes et il vous suffit de traverser, à Tunis, l’avenue Bourguiba et utiliser les rues parallèles pour faire le constat, malheureux, des tas de détritus sur les trottoirs et sentir les odeurs nauséabondes indignes du pays du jasmin. Nos villes, grandes ou petites, jadis joyaux et merveilles de la méditerranée, sont à la traine des pays qui, à ce propos, nous prenaient comme exemple et modèle. Maintenant que les municipalités sont……. autonomes ou presque, leurs présidents qui ont promis, lors de la campagne électorale, la propreté permanente de leurs cités, l’environnement le plus approprié aux habitants et l’assainissement de toutes les difficultés rencontrées, dans ces domaines, par leurs administrés, nous leur demandons surtout, au cours de cette année 2020, de garantir et d’assurer l’hygiène, la propreté et la salubrité de leur mairie.

Est-il besoin de rappeler aux gouvernants d’avoir le courage de prendre leurs responsabilités et utiliser les gros moyens quand il le faut car il est très facile de gouverner en laissant faire et en laissant aller. Pareille méthode peut nous mener très loin et même trop loin, à tel point qu’on risque, un jour, de ne plus pouvoir tenir les rênes. Et cet exercice à répétition commence à nous coûter les yeux de la tête.  

Et comme un malheur n’arrive jamais seul, des gangs dans différents domaines se sont formés, dans plusieurs régions de l’intérieur, pour fonctionner en pays conquis tellement leurs œuvres sont réalisées avec beaucoup de facilités et énormément d’assurance. Aussi, les braquages se multiplient, de jour comme de nuit, en ville et dans les transports publics et inquiètent, sérieusement, nos concitoyens et surtout la gent féminine. Sans oublier les stupéfiants qui font des ravages dans les rangs des jeunes et surtout des très jeunes. On ne peut pas ne pas se demander pourquoi tout cela n’était pas aussi développé avant 2011 ? C’était, tout simplement, *la peur du gendarme* comme on le dit communément et les sanctions étaient non seulement sévères, mais encore, assez lourdes pour être dissuasives et c’était cela qui les empêchait de commettre pareils forfaits et d’y penser mille fois avant de passer aux actes.

Beaucoup de nos concitoyens croient que tous ces gangs, ainsi que les barons de la contrebande, du marché parallèle, et ceux qui ne paient pas leurs impôts, ont commencé à décupler leurs actes répréhensibles, et à agir ainsi, avec force et en puissance, parce que le code pénal n’est pas assez sévère. Faut-il penser d’urgence à le faire réviser pour que les sanctions, c’est à dire la privation de liberté, soient des plus dissuasives. C’est seulement ainsi que les malfrats et leurs acolytes réfléchiront mille fois avant de continuer leurs basses besognes. Il faut faire promulguer, et le plus tôt possible, des textes de Loi avec des sanctions des plus dissuasives. La fraude fiscale est punissable de prison dans de nombreux pays. Pourquoi ne pas faire autant si cela n’existe pas chez nous ?

De même, et depuis ce qui s’est passé dans notre pays en 2010-2011 et qu’on appelle révolution, on ne sait plus ce que veut dire le mot *TRAVAIL * car il faut qu’on ouvre grandement les yeux pour se rendre à l’évidence : personne ou rares sont ceux qui travaillent avec sérieux et application et ont un rendement digne de grand travailleur ; le tunisien ne veut, malheureusement, plus travailler et veut vivre au- dessus de ses moyens, alors que faire?

Notre pays serait, d’après les experts en fiscalité, doté de capacités financières lui permettant de ne pas avoir recours à l’emprunt extérieur à la seule condition de n’en exempter personne. Pourquoi ne le fait-on pas ? Pourquoi n’utilise-t-on pas la Loi contre ces manquements à la Loi?

D’autres questions, les unes aussi importantes que les autres, sont, régulièrement, éludées, telles que la recherche des responsables des recrutements de nos jeunes envoyés aux foyers du terrorisme, en Syrie, en Irak, en Libye et ailleurs !!  Pourquoi cet effort et ces initiatives n’étaient pas utilisés pour convaincre la jeunesse tunisienne qui remplit, quotidiennement, les cafés, à effectuer leur devoir du service national pour participer au combat contre les terroristes dans notre pays en vue de les éliminer ou de les en chasser une bonne fois pour toutes.  

Aussi, notre pays, traversant une période très délicate de son Histoire et devant, au plus tôt, mettre fin à cette période transitoire qui n’a que trop longtemps durée, exige de toutes les composantes de la société tunisienne, chacune en ce qui la concerne, de prendre sa part et jouer son rôle, dans le but de relever les nombreux défis qui se sont accumulés et qui, au lieu de s’atténuer, ne font que s’amplifier inexorablement. En conséquence, il est demandé:

1- Au prochain Chef de Gouvernement qui, tout en étant juste et équitable, doit faire preuve
de beaucoup d’autorité, de courage, de discernement et de détermination, 

2- Aux partis politiques de se remettre en cause en mettant de côté leur égo et de faire preuve d’un patriotisme à toute épreuve,

3- Aux organisations nationales, notre fierté, qui ont toujours agi dans l’intérêt national, de donner au TRAVAIL le sens et la valeur qu’il mérite et de susciter, auprès de leurs adhérents, la productivité pour que notre pays redonne espoir et chance à notre JEUNESSE, aveuglée par l’envie de quitter notre pays et d’émigrer, 

4- A la société civile et tout particulièrement à la femme tunisienne, gardienne de notre présent et assureuse de notre avenir, l’ELISSA des temps modernes, d’être alerte et mobilisée en vue de protéger nos acquis et de participer à la remise de notre pays sur la voie du développement, de la prospérité, de la sécurité et du bonheur,

5- A tous nos concitoyens, quel que soit leur rang, leur position et leur sensibilité politique, de faire preuve de discipline et d’avoir ce sursaut d’orgueil, d’éveil, de conscience et d’honneur de ceux qui croient en ce pays et qui l’aiment, de ceux à qui ce pays a tant donné et de veiller à ce que la Tunisie, pour moi le plus beau pays du monde, redevienne, comme elle l’a été, il n’y a pas si longtemps, et pendant des décennies, l’exemple et le modèle.

Le Grand Bourguiba n’a-t-il pas dit * je ne crains pour mon pays que les malheurs que lui feront subir ses enfants* ?

Que Dieu garde et protège la Tunisie Eternelle, l’héritière de Kairouan et de Carthage.                               

Boubaker Benkraiem
Ancien  Sous-Chef d’Etat- Major de l’Armée de Terre,
Ancien Gouverneur