Opinions - 06.02.2020

Mongi Ben Raies: la confiance est entre les mains des citoyens

Mongi Ben Raies: la confiance est entre les mains des citoyens

Les grandes causes révèlent les grands Hommes ! Le destin d’un héros s’accomplit par l’amour de son pays ; chaque action menée devient un chant qui nous rappelle ceux qui ont lutté pour la liberté. Hier j’ai fait un rêve ! J’ai vu un homme qui se battait pour quelque chose de plus grand que lui-même, pour la liberté et la dignité d’être. Un homme qui se battait contre la peur et la tyrannie. J’ai rêvé qu’après lui, tout le monde naissait réellement libre et heureux. Quel beau rêve!

«Il n’y a qu’une fatalité, celle des peuples qui n’ont plus assez de forces pour se tenir debout et qui se couchent pour mourir. Le destin d’une nation se gagne chaque jour contre les causes internes et externes de destruction». (CHARLES DE GAULLE). Les Tunisiens sont de plus en plus actifs dans le domaine social mais d’une manière désordonnée. Si les vrais militants, certes minoritaires, sont de moins en moins nombreux et invisibles, les citoyens désireux de changer la gouvernance du pays et de prendre en main leur destin collectif se multiplient. Reste à savoir si cette participation citoyenne émergente pourrait coexister avec les structures de gouvernance à mettre en place. Dire que 2019 fut une année de turbulences pour la société Tunisienne serait un euphémisme, au point qu’en 2019, le militantisme citoyen avait atteint un niveau inédit. L’année 2020 a commencé par des manifestations inattendues et sans précédent sur fond d’incertitude institutionnelle. Au changement revendiqué par les citoyens, les autorités ont opposé une exigence de stabilité civile. Or, aux yeux de certains, la stabilité est synonyme de stagnation et de démission. En réponse aux accusations dirigées contre l’élite corrompue, les biens illégalement acquis et la richesse excessive de nombreuses personnalités, les autorités ont accusé les militants d’antipatriotisme et de détourner des actions relatives à la lutte contre la corruption à des fins d’autopromotion politique. Les protestataires ont poursuivi les débats sur les questions jugées urgentes, projets économiques soutenus par l’État, affectations du budget public, contrôle des dépenses publiques par l’État, et système de protection sociale ciblant les plus défavorisés, notamment les enfants. Rapidement, les militants civiques espérant un changement social profond en début d’année ont sombré dans le pessimisme, furieux de l’immobilisme apparent des nouvelles instances. Le gouvernement a assuré qu’il engageait une guerre active et féroce contre la corruption et en faveur des valeurs nationales traditionnelles ; mais cela n’a pas suffi à apaiser la colère de la population. Les spécialistes de la gouvernance et des questions sociales en Tunisie soulignent que les multiples formes de corruption systémique observées dans le pays, de la simple corruption aux conflits d’intérêts au sommet de l’État, ont généré une crise de confiance sociale dans la société politique. D’après eux, le peuple n’a guère confiance en ses gouvernants, en sa police, en l’application de la loi en général, tout comme les autorités n’ont pas confiance en leurs propres citoyens. Il est difficile de convaincre les Tunisiens qu’un nouveau cycle de réformes donnera de meilleurs résultats que les précédents, très peu fructueux. Pourtant, les lois et règlements adoptés entre 2011 et 2019 représentent un grand pas en avant, et joueront inévitablement un rôle positif pour l’avenir du pays. Mais le fossé entre la rédaction d’une loi et son application reste béant. L’impunité des élites, l’unilatéralité des décisions et l’absence d’un dialogue social ouvert n’ont fait qu’aggraver la crise de confiance ; aussi, selon de nombreux observateurs, toute tentative de réforme pour la transparence et la responsabilité des autorités publiques est vouée à l’échec. Néanmoins et contrairement à l’opinion dominante, une part importante de la société pourrait jouer un rôle déterminant sur ces questions et sur le rétablissement de la confiance en général. Des initiatives citoyennes ainsi que la société civile doivent s’impliquer dans la vie citoyenne, l’action associative et caritative, l’égalité, la dignité, l’écologie et la protection sociale. Les projets et les activités à mener n’ont aucune visée

Politique; ils mettent simplement des moyens matériels et humains au service de résultats concrets. Les citoyens ordinaires, enseignants, étudiants, entrepreneurs, cadres ou employés de bureau, actifs ou retraités, qui n’avaient jamais milité de manière organisée, ont adhéré à des projets visant à améliorer la vie de leurs concitoyens, le suivi des progrès écologiques, la protection des catégories défavorisées contre les décisions illégales, etc. Ces efforts, invisibles pour la plupart et intéressant peu les médias, ont suscité un regain de confiance mutuelle, portant en germe les prémices d’une réelle société civile. Finalement, ces groupes doivent faire entendre leur voix, exiger davantage de transparence des organismes publics et des élections plus justes et moins censitaires, mais selon des modalités radicalement différentes de celles des protestations sociales que la Tunisie avait connues auparavant. Les nouveaux citoyens militants n’ont pas seulement à exiger le changement; ils doivent s’attaquer directement aux problèmes les plus épineux en intégrant des conseils et instances officielles, en créant un système indépendant de surveillance des marchés publics, en finançant des actions sociales, ou en contrôlant le comportement des autorités nationales. Depuis 2012, les citoyens ont réalisé que les améliorations ne proviendraient jamais de l’extérieur, mais d’eux-mêmes; depuis lors, le contrôle citoyen doit considérablement s’intensifier. Nous devons prendre conscience que, dans un pays gangréné par la corruption, le combat pour la transparence et la responsabilité ne peut être mené par les seules et faibles autorités, et il est nécessaire d’impliquer directement des citoyens éclairés dans les rouages de la vie publique et de la gouvernance publique au sens large, comme interlocuteurs de confiance. Évidemment, le développement de la conscience civique, de la participation sociale et de l’engagement public ne sera ni rapide, ni aisé. Pour compliquer les choses, une partie des dirigeants ne voit pas cette évolution d’un très bon œil, peut-être parce que, n’ayant aucune expérience de la collaboration positive, ils la redoutent. Mais une chose est certaine, il faudra beaucoup de temps et d’efforts pour convaincre l’État, traditionnellement autocentré, qu’un nouvel ordre citoyen est en train de voir le jour, et que la confiance du public et le changement social ne naissent pas d’une structure de pouvoir rigide et verticale, mais d’une structure horizontale émanant de l’intérieur de la société.

Les ingrédients de la confiance, vision des stratégies à déployer pour rétablir la confiance dans le pays qui souffre encore de cette crise. Depuis 2011, l’économie tunisienne est sous perfusion. Le pays est en récession, nous voyons la croissance devenir négative ; le chômage, déjà élevé, va encore augmenter, marquant la jeune génération au fer rouge. La solidité du système démocratique et du multilatéralisme est actuellement mise à rude épreuve, et n’est plus un acquis. Cette situation n’est pas de nature à redonner aux citoyens confiance vis-à-vis du système ; la crise actuelle a fait chuter de manière vertigineuse la confiance entre les citoyens, les gouvernements et les milieux financiers et d’affaires. Le contrat social est rompu et la colère monte. Une réponse politique inadaptée engendre à nouveau extrémisme, racisme, ostracisme et xénophobie. Avant 2011, le fonctionnement systémique tunisien se caractérisait par de multiples contradictions, dont celle entre les revenus très élevés d’une minorité et les revenus de la grande majorité de la population, ainsi qu’entre le pilier économique et le pilier environnemental du développement durable. La réflexion sur un nouveau modèle économique devrait aider à comprendre comment assurer le plein emploi et des conditions de travail décentes dans un monde où les ressources sont limitées. La crise financière et économique mondiale a infirmé la croyance selon laquelle une déréglementation débridée du marché du travail, ainsi que de faibles institutions encadrant ce marché, constituent des conditions nécessaires à la réussite économique et au succès des politiques de l’emploi. La crise a montré que ces conditions étaient au cœur de la croissance des inégalités de revenus et, du travail précaire, comme de l’économie parallèle. Elles ont aujourd’hui un coût économique, social et politique très élevé.

Pour mener des politiques du marché du travail efficaces, de nombreux leviers sont disponibles, tels que des systèmes de formation qualifiante, préalables à l’entrée sur le marché du travail, qui véhiculent un sens de l’identité professionnelle et de la confiance en soi; des dispositifs de formation tout au long de la vie pour garantir l’employabilité; un équilibre entre forces du capital et du travail, notamment par un pouvoir accru des syndicats assumant leur rôle et une extension de la couverture des conventions collectives ; des mesures visant à réduire les différences injustifiables de traitement entre catégories de travailleurs; la conjugaison de prestations de retraites élevées et d’obligations de recherche d’emploi rigoureuses, avec un investissement important dans les programmes actifs de retour à l’emploi. Les systèmes d’imposition sont de moins en moins capables de recueillir les recettes nécessaires au financement d’un État moderne, du fait du caractère prohibitif de la pression fiscale trop élevée, de l’érosion croissante de la base d’imposition et du transfert de bénéfices et de réduire les inégalités, du fait de concessions excessives faites aux contribuables les plus aisés. Il faut améliorer les politiques fiscales pour renforcer la croissance et l’égalité de tous par et devant l’impôt. Il faudra notamment réévaluer la pertinence du déplacement de la charge fiscale vers la consommation, et imposer plus largement les biens immobiliers et la fortune. Au-delà du rôle des politiques publiques pour réduire les inégalités de revenus, la crise doit conduire à remettre en question la réglementation limitée et la tolérance à l’égard des déséquilibres ayant favorisé son déclenchement. Il faut réduire la complexité, le manque de transparence et, souvent, la taille du secteur financier par la réglementation, la taxation financière et le déploiement de réformes structurelles dans l’ensemble du pays. La priorité est de mettre le secteur financier au service de l’économie réelle, et d’éviter que la spéculation financière ne nuise aux perspectives de croissance durable. Les décideurs devraient aussi être plus attentifs à la question des institutions innovantes et au rôle de l’État dans l’adoption de politiques économiques actives permettant de stimuler l’offre et la demande. Alors que les chaînes de valeur mondiales et les réseaux de production influent toujours plus sur les choix d’implantation de la production et sur l’emploi, le pays doit agir pour la compétitivité par le haut, notamment en respectant les normes du travail, en élevant les niveaux de qualification et en motivant les salariés. Enfin, les résultats économiques doivent être appréciés selon des critères plus larges que le PIB par habitant qui, en lui-même, en dit peu sur la qualité de vie des citoyens. Cet indicateur n’apporte aucune information sur la répartition des revenus, sur les différences entre riches et pauvres, quant à la santé et à l’espérance de vie, sur la mobilité sociale, sur la durabilité environnementale et sur d’autres déterminants fondamentaux de la qualité de vie. Surtout, il ne permet nullement de savoir si la majorité des citoyens sont en mesure de choisir la vie qui, à leurs yeux, mérite d’être vécue. La crise économique est une injustice. Renforcer l’emploi et la cohésion sociale nécessite des actions urgentes pour éviter l’exclusion de toute une génération de jeunes, du marché du travail. Il faut également s’attaquer à la question de la répartition des revenus pour protéger les plus vulnérables et garantir une plus grande égalité des chances dans l’ensemble du pays. Le pays est confronté à de graves difficultés économiques, et plus encore du fait de la crise actuelle mondiale qui pourrait le conduire à faire face à une récession prolongée. Le chômage reste élevé, et continue même à augmenter; or l’expérience montre que des niveaux de chômage élevés ont tendance à devenir persistants. Une génération entière de jeunes pourrait ne jamais avoir d’assise solide au sein du marché du travail. Des mesures urgentes sont nécessaires pour contrer cette évolution, le chômage étant la première cause d’exclusion sociale et de pauvreté. La main-d’œuvre est notre ressource la plus précieuse. Atteindre un taux d’emploi élevé doit être au cœur des priorités du gouvernements, certains groupes ayant des liens distendus avec le marché du travail, tels que les jeunes ; ils sont plus exposés que d’autres aux fluctuations de l’emploi et particulièrement touchés par la récession, et cette tendance ne devrait pas s’inverser si l’on en croit des études qui montrent que des périodes de chômage prolongées au début de la carrière peuvent nuire à la performance professionnelle ultérieure. L’inactivité due au chômage érode les compétences et affaiblit les liens avec le monde du travail, puis avec la société dans son ensemble. Nous devons donc impérativement lutter contre le chômage élevé des jeunes avant qu’il ne devienne structurel. La société a besoin des compétences, des idées et de l’énergie de sa jeunesse pour revitaliser la main-d’œuvre et développer l’économie.

Le chômage des jeunes est non seulement un gâchis de ressources humaines et de compétences, mais il constitue également un frein au renouvellement et à la régénération de la société. Des systèmes éducatifs plus efficaces et plus ouverts sont nécessaires pour relever ces défis. À terme, il s’agit du moyen le plus efficace de réduire le nombre de jeunes qui abandonnent leurs études. Parallèlement, il est légitime de se demander si des études plus longues se traduisent automatiquement par de meilleurs résultats économiques et sociaux. Dans de nombreux secteurs, des employeurs ne parviennent pas à trouver de collaborateurs, alors même que le taux de chômage et de sous-emploi des jeunes atteint des sommets. Pour résoudre ce problème, il est important d’améliorer le système d’enseignement professionnel et les dispositifs de formation. Des programmes d’enseignement professionnel bien conçus, associés à des stages mettant en pratique les connaissances acquises, peuvent apporter aux jeunes les compétences recherchées par les entreprises, tout en favorisant la poursuite des études, la formation perpétuelle et le passage à la vie active. Le développement de marchés du travail efficaces et flexibles est également déterminant. Des programmes ciblés peuvent contribuer à empêcher les groupes éloignés du marché du travail de devenir passifs et de se décourager, et donc de perdre leurs compétences. Par ailleurs, la progression du taux d’activité des femmes, reste encore marquée par de grandes différences. Le travail a permis l’indépendance économique des femmes qui ont pu développer et utiliser leurs compétences professionnelles, au point que l’emploi féminin s’est avéré crucial pour l’économie nationale. Cet aspect pourrait gagner en importance dans les années à venir, lorsque le vieillissement de la population pèsera toujours plus sur les finances publiques. Un consensus émerge autour de la nécessité de conduire une évaluation des performances économiques portant non seulement sur la progression des revenus, mais aussi sur leur répartition. Un système de protection sociale complet, allié à des politiques actives de développement du marché du travail, constitue à cet égard un atout important. Le système de protection sociale doit garantir un accès équitable aux prestations d’assurance sociale et à d’importants services tels que l’éducation et la santé, en favorisant par là même l’égalité des chances. Ce dispositif rend le marché du travail plus flexible et l’économie moins vulnérable aux chocs, facilitant les évolutions structurelles de l’économie et encourageant la prise de risques. Dans le pays où la rigueur budgétaire s’impose, des mesures d’assainissement des finances publiques seront nécessaires, mais elles doivent être justes et bien pensées pour protéger les plus vulnérables. Cela permettra d’obtenir un large consensus sur les mesures nécessaires, et également de sécuriser la pérennité et la stabilité de la croissance future. Pour que les mesures de rééquilibrage réussissent, il faut que la coopération étroite entre les autorités et les partenaires sociaux favorise l’émergence d’un consensus sur la nécessité des réformes. Le partage des efforts doit être perçu comme relativement équitable, ce qui peut renforcer la confiance des citoyens vis-à-vis de la capacité des pouvoirs publics à faire face à la crise et à remettre l’économie sur le chemin d’une croissance plus durable.

Mongi Ben Raies

Universitaire, Juriste,
Enseignant et chercheur en droit public et sciences politiques,
Université de Tunis El Manar, Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis.

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