News - 04.12.2019

Ridha Bergaoui: La «Street-Food », un secteur prometteur en Tunisie

Ridha Bergaoui: La «Street-Food », un secteur prometteur en Tunisie

La Tunisie dispose d’un patrimoine culinaire très riche et très varié résultat de l’influence du mélange de nombreuses civilisations et cultures qui ont traversé notre pays (berbères, turcs, andalous, français…). Chez soi, dans la rue, dans les restaurants ou les hôtels, on constate la grande variété des plats préparés en fonction des disponibilités locales, les saisons, les gouts et les traditions.
Depuis des années, le Tunisien a pris l’habitude de manger à l’extérieur de son domicile (travail oblige) et se rabat à l’heure du déjeuner sur les gargotes, les « fast-foods », les pizzerias et sandwicheries et enfin les petites échoppes qui vendent des aliments divers. A part les gargotes qui représentent des restaurants bas de gamme et populaires, on peut appeler tout le reste la cuisine de rue ou « Street-food ».

La Street-food

Très ancienne, la street-food, ou cuisine de rue, existe depuis  très longtemps et partout dans le monde surtout en Asie (Bangkok, Singapour, Hanoï, Tokyo, Istanbul… . De petits magasins et même de petits chariots  vendent des plats divers à consommer sur place ou à emporter. Il y a de tout : du poissons, des crustacés, de la viande, des légumes, des pâtes… Le tout est cuit sur des plaques chaudes, grillé, frit, bouilli… On y trouve aussi bien du salé que du sucré avec une interminable façon de préparer qui reflète généralement la richesse de la cuisine et les  traditions culinaires locales.

La Tunisie dispose d’une grande variété de spécialités  et de recettes vendues dans la rue et parfois sur le trottoir ou sur de simples brouettes. Ces plats sont appréciés par certains consommateurs et peu chers. On peut citer quelques plat bien connus comme le lablabi avec toutes ses options, le keftagi et shan tounsi, ojja aux merguez, les sandwichs (petit pain, mlawi, melfouf, makloub, chapati, mtabga…) également avec de nombreuses options, le fricassé, le brik à l’œuf, la viande de mouton ou méchoui, les ftayers, les patés divers, foul mdammes au cumin… Comme sucrés je cite quelques uns : le sohlob ou drôo, les beignets et banbalouni, les zlabia et mkharak, la hérissa hlouwa… Il ya aussi le hindi, le fenouil  ou besbes, la « soupe » de fenugrec ou holba… et la liste n’est pas complète. De nombreuses autres spécialités régionales existent mais sont moins connues ou ne sont consommés qu’à des périodes ou des occasions précises de l’année.

Mal vue il y a quelques années, surtout pour le manque d’hygiène, et considérée comme la cuisine des pauvres, la cuisine de rue est actuellement un phénomène à la mode dans de nombreux pays  . Même de grands chefs s’y mettent. Le fameux  guide gastronomique Michelin s’y est même intéressé et a donné des étoiles à certains chefs de ces « street-foods » preuve que la qualité et la saveur des plats cuisinés ne se trouve pas uniquement dans les restaurants luxueux mais également dans la rue.

De nos jours, le consommateur fuit de plus en plus les « fast-foods », qui servent des burgers (associés de frites et de soda), pour ses effets négatifs sur la santé.  Ces plats sont connus pour leur taux excessif de graisses, de sel, de sucreet d’énergie, menant à l’obésité, des problèmes cardiaques, du diabète et même une déficience immunitaire. Le consommateur est à la recherche d’alternatives qui peuvent lui offrir une alimentation plus saine. Par ailleurs le consommateur est de plus en plus pressé enfin il dispose d’un budget limité. Il est à la recherche d’un repas sain, diversifié, peu cher et servi rapidement. La street food répond à toutes ces conditions, elle  se renouvelle et invente de nouveaux concepts. Le plus récent de ces concepts est le « Food-truck » ou camion resto.

Les food trucks

Il s’agit de camions ou de remorques transformés et aménagés d’une façon judicieuse en cuisine avec tout le matériel et dans le respect  des règles d’hygiène. Ces food-trucks très pratiques présentent de nombreux avantages dont la mobilité puisqu’ils peuvent se déplacer pour atteindre le consommateur là où il se trouve (les rues très animés, stades, foires, festivals, plages, marchés hebdomadaires…). Ils offrent également un ratio espace/investissement imbattable comparé à un restaurant classique et nécessitent un capital limité. Ils dispensent durant toutes les heures de la journée des aliments à consommer sur place ou à emporter.

Venus des Etats-Unis, les food trucks se développent partout dans les grandes capitales européennes et ont même débarqués chez nous. Les food trucks posent cependant quelques problèmes surtout pour l’obtention des autorisations de circulation et de stationnement. Ils sont fréquemment rejetés par les propriétaires des restaurants pour concurrence déloyale (en réalité les food trucks ne s’adressent pas à la même clientèle que celle des restaurants) et les habitants du coin pour gêne et pollution (odeurs, bruit, attroupement des consommateurs…). Ils peuvent présenter certains problèmes lors de leurs déplacements surtout dans les rues un peu étroites et très fréquentées. Certains ont  soulevé le problème du manque des toilettes pour le personnel du food-truck et de l’élimination des déchets (déchets de cuisine, emballages vides, restes des aliments…).

La Street-Food, un support touristique intéressant

La Street-food intéressante pour le consommateur tunisien (fonctionnaire, salarié, ouvrier…) surtout pour répondre à son besoin de manger un aliment sain et bon marché, peut représenter également  une source de diversification de notre produit touristique. Elle peut attirer de nombreux touristes qui  auront une idée sur nos traditions et notre patrimoine culinaire. Dans certains pays des agences spécialisées organisent  même des « food tours » pour les touristes pour leur faire connaitre la cuisine du pays et les différents plats typiquement locaux. Il y a même des cours payants donnés par des chefs pour apprendre à cuisiner certains plats typiques.

A Rennes en France est organisé chaque premier dimanche du mois « le marché à manger » ou «food market » qui regroupe une quarantaine de cuisiniers et pâtissiers et qui attire des milliers de gourmets  qui viennent en famille déguster de bons petits plats typiques et pas chers. Cet événement représente aussi bien pour les locaux que les touristes  un rendez vous à ne pas manquer. Un tel événement exige peu de moyens et est facile à organiser à Tunis ou dans toute autre ville touristique du pays et pourrait drainer de nombreux touristes pour leur montrer notre savoir faire en matière de cuisine de rue. On pourrait aménager dans les régions touristiques  des espaces destinés à accueillir les artisans du street-food tunisien et présenter la panoplie des plats locaux à faire gouter et découvrir par les touristes étrangers. L’élaboration d’une application indiquant l’emplacement des meilleures échoppes où on peut manger des spécialités locales du street-food permettrait  aux touristes de découvrir en même temps la ville et la cuisine locale.

Pour un street-food acceptable

La street food doit répondre à des critères de salubrité, d’authenticité, de présentation et d’emballage du produit et du respect de l’environnement.

Tout d’abord la propreté et l’hygiène.  En effet manipuler à la main des produits alimentaires aussi sensibles que le thon, les œufs, la viande, les salades… peut présenter un grand danger de contamination pour le consommateur  surtout que la température est favorable à la multiplication des germes. La propreté du local, du matériel et surtout du personnel est primordiale. La manipulation des aliments et du matériel  doit être précise pour éviter les contaminations croisées. Une formation adéquate du personnel est nécessaire. Les produits utilisés doivent être de bonne qualité (le prix bas des plats n’est pas une excuse pour utiliser des produits alimentaires bas de gamme ou de mauvaise qualité). La disponibilité et la qualité de l’eau utilisée durant l’activité (préparation des repas, nettoyage des ustensiles et autre matériel, nettoyage des mains…) doit être suivie de prés pour éviter les contaminations. Il est possible d’envisager des installations sanitaires collectives pour permettre à ces artisans de faire leurs besoins dans les meilleures conditions. Quoique le consommateur attache généralement de l’importance à l’hygiène en veillant à bien choisir d’où il va acheter sa nourriture, le contrôle et  le suivi par les autorités locales est primordial s’agissant d’une question de santé publique. La réglementation et l’organisation de cette activité sont donc nécessaires. La formation d’inspecteurs spécialisés peut se révéler intéressante.

La présentation, le conditionnement et l’emballage du produit jouent un rôle décisif dans le choix du consommateur et l’acte d’achat mais également a un impact certain du coté de l’hygiène et de la santé du consommateur ainsi que sur l’environnement.

L’emplacement réservé pour ce genre d’activité doit être bien étudié afin d’éviter l’encombrement de la circulation et  l’occupation anarchique et illégale de l’espace public et l’occupation des trottoirs. La personne impliquée doit s’attacher lors de son installation à ne pas polluer l’environnement  par les déchets qu’il va directement générer durant son activité ou indirectement par l’intermédiaire des clients qui peuvent jeter les emballages divers et les restes de la nourriture dans l’environnement immédiat.

La street food joue un rôle socio-économique important. Elle est source d’emplois pour une couche sociale à faible revenu mais également à faible niveau d’éducation et de compétences limitées. C’est un domaine où la femme est généralement présente et active. L’organisation du secteur nécessite l’implication des intéressés eux-mêmes, mais également les ONG par son impact social. La formation et la sensibilisation des artisans surtout aux questions hygiène sont nécessaires. L’octroi de licences et l’élaboration d’un cahier des charges est un aspect à étudier.

Les food-trucks en Tunisie sont freinés par les procédures juridiques et légales complexes concernant les autorisations d’installation et de circulation de ces camions. Une adaptation des textes se révèle nécessaire pour lever ces blocages et permettre à ce secteur de se développer et à de nombreux jeunes  entrepreneurs de concrétiser leurs projets. J’ai été agréablement surpris de lire une annonce de la faculté des sciences économiques et de gestion de Tunis (université d’El Manar) au sujet de la location d’un emplacement d’un food-truck au campus universitaire. Ce food-truck sera destiné à vendre des aliments aux étudiants et représente une rentrée intéressante d’argent pour l’établissement en question. C’est un exemple intéressant à généraliser dans tous les établissements universitaires (à partir d’un certain effectif d’étudiants) ce qui arrange tout le monde et notamment les étudiants qui peuvent s’offrir un repas de qualité et peu cher.

La street-food en Tunisie joue un rôle socio-économique important surtout avec le taux de chômage élevé notamment  pour les diplômés du supérieur. Ce n’est pas forcement de la malbouffe. Il peut fournir des aliments de qualité et authentiques dans le respect de l’environnement.  L’encadrement et l’organisation du secteur aura un impact sur le consommateur local. Il peut représenter un support intéressant pour la promotion du tourisme et la bonne image du  pays. La street-food est très ouverte à l’innovation et aux nouvelles technologies et peut s’adapter à différents niveaux d’investissement allant du tricycle (food-bike) au local le plus chic. Enfin, la street-food peut s’ouvrir à la cuisine internationale et l’adoption de recettes connues des pays proches et amis.

Professeur Ridha Bergaoui
 

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